Leur Noël et le nôtre


Jean COTEREAU, La Documentation anti-religieuse. Éd. de « l’Idée-Libre »

Parmi les libres penseurs, certains considèrent les fêtes ou cérémonies comme des manifestations puériles, indignes d’êtres raisonnables; les autres croient préférable de prendre l’homme tel qu’il est, de ne faire fi d’aucune méthode susceptible de l’améliorer. Je m’inscris résolument dans la deuxième catégorie. En attendant de donner les motifs qui me font souhaiter le maintien de certains rites – convenablement laïcisés – et comme facteurs d’unification et de progrès, et comme ornements de la vie humaine, j’étudierai le cas d’une fête qui mérite spécialement d’intéresser les libres penseurs. Elle concerne la catégorie d’êtres humains la plus accessible aux facteurs sentimentaux et aussi la plus disputée entre nos adversaires et nous-mêmes… Noël est la fête des enfants. Allons-nous interdire aux nôtres les joies naïves qu’elle comporte ? A supprimer par exemple l’arbre illuminé traditionnel, ne risquerions-nous pas de leur faire regretter, en plus de cet arbre, la crèche, et l’enfant Jésus, et la Vierge et les légendes, bleu et or, du christianisme, dont ils ignorent le revers tragique ? Au cours d’une réunion de libres penseurs, comme une militante, maladroitement zélée, proposait cette suppression, ma fillette, âgée de six ans, et élevée, dois-je le dire, aussi laïquement que possible, déclara dans son langage : « Elle est méchante, la dame, qui ne veut pas l’arbre de Noël !… ». En revanche, une de nos sections, qui a organisé un tel arbre, avec distribution de jouets et allocution sur la Fête, a obtenu un gros succès et heureusement amorcé la désintoxication religieuse des nombreux enfants – et parents – qui avaient répondu à son-appel. A ce propos, le signataire, auteur de l’allocution, fut jugé digne de la prison par un catholique… d’extrême-gauche ! N’avait-il pas osé dire, devant d’innocents enfants, qu’on ne connaissait pas la date de la naissance de Jésus-Christ, pour l’excellente raison qu’on n’était même pas bien sûr de l’existence de celui-ci… Ce catholique, d’extrême-gauche, connaissait bien mal sa religion. Qu’il interroge son curé ! Celui-ci pourra, à son tour, dans la bibliothèque du presbytère, si elle le comporte, consulter un livre classique : Les Origines du Culte chrétien, œuvre non pas de Lorulot ou autre écrivain impie, mais de Mgr Duchesne. Il lira textuellement, p. 271 : « Il n’y a pas de tradition autorisée (à plus forte raison, pas de texte) sur la naissance du Christ. L’année même est incertaine. » Je ne conseille pas à notre ecclésiastique de poursuivre ses investigations. Il apprendrait avec horreur, d’après les écrits les plus certains, que la Noël n’est pas une fête chrétienne. Il pourrait peut-être même, je frémis en y pensant, pris dans l’infernal engrenage, se laisser entraîner… au diable, comme ses anciens collègues, nos amis Turmel, Claraz, Alfaric et combien d’autres… N’ayant pas les mêmes craintes, laissez-moi vous faire part du résultat de mes recherches…L’année de la naissance du Christ ? Pourquoi pas de Guillaume Tell ? Les références que fourniraient les Évangiles se contredisent totalement, comme si un évangéliste de l’an 2000 faisait naître un messie moderne au temps de la guerre civile d’Espagne (1936), Doumergue étant depuis deux ans président de la République française (1926), et datait l’ère nouvelle à partir de 1930, sous le principal de Tardieu (1) ! Les astronomes s’en sont mêlés, et, considérant la fameuse étoile des mages, ont fixé la nativité, les uns, comme l’illustre Kepler, à la date d’une conjonction de Saturne et de Jupiter, les autres à l’apparition d’un météore signalé par des annales chinoises (2), d’autres enfin lors d’un passage de la comète de Halley, ce qui à notre transposition donnerait l’avènement du cartel ou la fin de la grande guerre. « L’année est incertaine » déclarait Mgr Duchesne, et c’est le moins qu’on puisse dire ! Ce même auteur nous fait connaître les incertitudes plus grandes encore qui régnaient quant à la date. Saint-Clément d’Alexandre fait mention de calculs qui aboutissaient au 18, au 19 avril ou encore au 29 mai (3), et il raille les chrétiens qui ont effectué ces calculs, un certain ouvrage du IIIe siècle « De Pascha computu » parle du 28 mars. Mgr Duchesne lui-même n’ose pas affirmer l’authenticité d’un texte – récemment découvert – de saint Hippolyte (début du IIIe siècle) qui établirait la date actuelle et préfère ne remonter qu’à l’an 336 (4). C’est comme si, aujourd’hui, nous voulions fixer la date de naissance d’un contemporain de Louis XIII né dans l’Empire du Grand Turc. Quant à la fête proprement dite, son histoire reste compliquée. Une longue confusion paraît avoir subsisté entre la Noël et l’Épiphanie, ce qui n’a rien d’étonnant, cette dernière cérémonie commémorant l’adoration des Mages et s’étant substituée, à en croire certains auteurs, à la fête de Dionysos, jeune Dieu, mourant et renaissant en lequel s’incarna la vigne (4 bis). Monseigneur Duchesne résume très nettement son étude critique, assez aride : « … Vers la fin du IIIè siècle, dit-il, l’usage s’établit dans toute l’Église de célébrer l’anniversaire de la naissance du Christ ; mais on n’adopta pas partout le même jour. En Occident on choisit le 25 décembre ; en Orient, le 6 janvier. Les deux usages, d’abord distincts, finirent par se combiner, de sorte que les deux fêtes furent observées par tout le monde ou à peu prés… ». « Comment, se demande-t-il, est-on arrivé à ces dates ?… » A vous aussi, j’en suis sûr, la question venait aux lèvres. Je vais tâcher d’y répondre. A quelque système que l’on se range, il faut parler avec Mgr Duchesne « de considérations astronomico-symboliques ». L’hypothèse la plus compliquée, celle que préfère notre auteur (5), part de la date de la Passion fixée très tôt au 25 mars, date que l’érudit catholique juge historiquement irrecevable, mais qui a été choisie parce que coïncidant avec l’équinoxe du printemps. Aux yeux des premiers chrétiens, si étrange que puisse nous paraître pareille mentalité, la perfection même du Christ lui interdisait de passer sur terre un nombre fractionnaire d’années ! L’Incarnation (comme la Passion) avait donc lieu le 25 mars date de l’amélioration, et la grossesse de neuf mois s’achevait le 25 décembre. Certains hérétiques montanistes qui fêtaient la Passion le 6 avril avaient leur Noël le 6 janvier (6) ce qui confirme quelque peu cette hypothèse. Une autre, bien plus courante (6 bis), veut que la date de Noël soit purement et simplement celle du solstice d’hiver. Les deux me semblent d’ailleurs fort réductibles l’une et l’autre, le temps de la gestion ayant toujours été pour notre espèce celui-là même qui sépare de l’équinoxe du printemps le suivant solstice d’hiver. D’après sir Jacques Frazer (7), un auteur syrien du IVe siècle, chrétien d’ailleurs, expliquait ainsi le choix de la date de Noël : « Voici pourquoi la Noël fut fixée au 25 décembre. C’était une coutume des païens que de célébrer ce même 25 décembre, l’anniversaire du Soleil…, les chrétiens prenaient, eux aussi, part à ces réjouissances. Aussi, quand les Docteurs de l’Église s’aperçurent que les chrétiens avaient un certain goût pour cette fête, ils tinrent conseil et décidèrent qu’on fêterait, ce jour-là, la véritable nativité. » Les motifs sont en conséquence d’ordre non pas historique, mais astronomique et religieux. Le solstice d’hiver, que nous avons le 22 décembre, tombait le 25 avec le calendrier romain. « En l’absence de tout document, écrit M. Vacandard (8), qui fixât la naissance du Christ, pourquoi n’aurait-on pas songé tout simplement à la faire coïncider avec la naissance du soleil matériel. » Et l’auteur de citer avec abondance des textes de la Bible et des Pères où l’Homme-Dieu est appelé Soleil de justice, Lumière pour éclairer les nations, Soleil nouveau, notre Soleil (9), sans parler de fréquentes allusions que comporte l’office de Noël. Enfin dans sa luxueuse brochure Noël, Noël, éditée par Flammarion, très probablement à perte, ad majorem Dei gloriam, dès la première page, le pseudo médiéval M. Ghéon, avec talent mais sans malice, rapproche la renaissance de l’astre de celle de l’Enfant-Jésus… Ce qui confirme ce rapprochement, c’est le célèbre passage où l’Apocalypse relate la naissance d’un Christ sidéral. Le caractère astrologique du poème a été souvent souligné (10). Les quatre animaux empruntés au zodiaque, les quatre cavaliers aux couleurs de quatre planètes, les vingt-quatre anciens représentant les vingt-quatre anciens représentant les vingt-quatre constellations, font une cour incontestablement céleste au génie que tour à tour incarne l’Étoile du matin, le Lion de Juda et surtout l’Agneau pascal ou Bélier de l’Équinoxe, premier signe zodiacal. Le chapitre capital pour nous (11) évoque la femme « couronnée de douze étoiles » (nombre des signes zodiacaux et des tribus d’Israël), « la lune sous les pieds », saisie des douleurs de l’enfantement et mettant au monde « un enfant mâle », cependant que « le grand Dragon… l’antique serpent »,  » dont la queue balaie le tiers des étoiles », se précipite sur elle pour dévorer le nouveau-né heureusement ravi à temps. Tous les auteurs assimilent la femme à « la Vierge » du zodiaque, dont l’enfant mâle serait le soleil. Cette scène apocalyptique et les légendes de la Nativité rapportées par les Évangiles constituent, pour une grande partie, un rébus astrologique que je n’essaierai pas de résoudre après tant d’ingénieux auteurs. Ce ne sont certainement pas de pures coïncidences que le signe de la Vierge succède à celui du Lion, ce dernier symbole de la race de David, originaire de Bethléem et dont la dépossession du trône devait être préliminaire à l’apparition du Messie ; que dans le monde des constellations la Vierge céleste soit protégée par le Bouvier « des atteintes du Dragon » comme la Vierge terrestre par Joseph de celles d’Hérode, représentant de Satan ; que la crèche soit en grec le nom d’un espace vide du ciel compris entre deux étoiles qui sont « les Ânes » ou « Ânons ». Quand on songe à l’importance dans les religions antiques et la Kabbale des Juifs des préoccupations astrologiques on ne peut qu’accorder leur pleine importance devant la crèche de l’Enfant-Dieu, aux Rois Mages adorateurs du Soleil, aux Bergers contemplateurs du Ciel et plus encore au rôle de la fameuse étoile. Ce n’est certainement pas sans raison comme le rappelle notre ami Daniel Massé, que Thertullien a écrit dans son traité de l’Idolâtrie : « l’astrologie finit, du jour où l’Évangile commence ». Ne voulant pas reproduire les schémas astrologiques, compliqués et contradictoires, qu’ont établis les divers auteurs, je me bornerai à citer un passage, particulièrement explicite, du premier théoricien des origines solaires des religions, Charles Dupuis. Dans son Abrégé de l’Origine de tous les cultes, chapitre IX, Explication de la fable faite sur le Soleil, adoré sous le nom de Christ (12), ce précurseur écrit : « c’est un fait indépendant de toutes les hypothèses…, qu’à l’heure précise de minuit, le 25 décembre, dans les siècles où parut le christianisme, le signe céleste qui montait sur l’horizon… était la vierge des constellations. C’est encore un fait que le Dieu, né au solstice d’hiver, se réunit à elle et l’enveloppe de ses feux à l’époque de notre fête de l’Assomption ou de la réunion de la mère à son fils. C’est encore un fait qu’elle sort des rayons solaires… au moment où nous célébrons son apparition dans le monde ou sa nativité (8 septembre). Nous n’insisterons pas davantage sur une théorie dont on a pu faire un usage excessif, mais qui apparaît solidement fondée… Incarnation du Soleil, ou figure du Soleil, le Christ, au moment de sa manifestation, avait à conquérir les nations sur une foule d’autres dieux solaires, dieux nationaux ou initiatiques. En dehors du classique Apollon, Hercule et Dionysos chez les Gréco-Romains, Osiris, chez les Égyptiens avaient été de tels dieux, des Dieux qui, comme le Christ, après une mort expiatoire, avaient plus ou moins ressuscité. Vis-à-vis de ces dieux, l’Église recourut à sa méthode normale. Lasse des vandalismes odieux et inopérants qui lui avaient fait détruire tant de chefs-d’œuvre de l’art antique, elle comprit qu’il valait mieux consacrer les temples païens, baptiser les statues de Dieux. C’est ce que conseilla explicitement à ses missionnaires en Grande-Bretagne le pape Grégoire le Grand, afin, disait-il des païens, d’élever leurs esprits obstinés non par sauts mais par degrés. Une application partielle avait déjà été faite de cette bonne méthode à la fête de Noël. De la même façon qu’elle multiplia ceux que l’érudit Saint Yves a appelés « les Saints successeurs des Dieux », l’Église substitua la Vierge Marie aux innombrables Vierges-Mères (d’origine zodiacale) que comportaient les religions antiques et le Christ à tous les Dieux solaires. N’est-il déjà pas troublant qu’au dire de saint Jérôme lui-même (Épître 58, 3) la grotte de Bethléem ait été un sanctuaire d’Adonis où les femmes allaient se lamenter ou se réjouir en l’honneur du Dieu, au cours de fêtes dont le lever d’une étoile, Vénus Astarté, amante du Dieu, donnait précisément le signal (13) ? Quant au 25 décembre, avant d’être la Noël chrétienne, c’était – et tous les auteurs catholiques le reconnaissent – l’anniversaire de la naissance de Mithra, d’après les calendriers de l’époque, la Natalis solis invicti, la Nativité du Soleil inconnu. M. Vacandard le dit nettement : « les chrétiens furent trop heureux d’opposer au culte du Sol Invictus celui qu’ils adoraient sous le nom de Soleil véritable. » Il ne faut pas oublier en effet que le dieu solaire Mithra était l’objet d’une religion à tendance universaliste, si semblable au christianisme primitif dans ses fêtes et ses sacrements que Tertullien par exemple conclut à l’imitation diabolique (14) et dont la concurrence aux quatrième et cinquième siècle, sous le règne en particulier de l’empereur Julien l’Apostat, s’avéra des plus redoutables pour la religion naissante. Combien de chrétiens de l’époque crurent adorer le Christ alors qu’ils adoraient toujours le dieu solaire de leurs pères ! Eusèbe d’Alexandrie, rapporte l’erreur de ses ouailles, qui saluaient l’astre à son lever, et le pape Grégoire le Grand relève cette adoration comme une impiété invétérée chez des gens qui croient cependant agir selon la religion. On pourrait suivre également les décisions des conciles de cette époque tendant à réprimer des pratiques païennes de toute espèce, que n’avait pas éliminées la christianisation superficielle de leur objet éternel. Mais l’Église n’arriva point (et n’arrivera jamais) à débarrasser ses rites artificiels de ce qui est au fond manifestation durable du vieux naturisme humain… Ainsi donc, au jour du solstice d’hiver, au jour de, la Nativité de Mithra, les chrétiens ont établi la Nativité de leur Dieu. Le savant abbé Kellner, dans son « Année ecclésiastique », nous fournit des renseignements qui paraissent objectifs sur les premières Messes de Noël. Il nous révèle même un faux non dépourvu d’intérêt ; il s’agirait en effet d’une prétendue correspondance entre le pape Jules 1er et Saint Cyrille de Jérusalem, correspondance dans laquelle le pontife aurait déclaré avoir trouvé dans l’historien juif Josèphe la date du 25 décembre comme celle de la Nativité du Christ. Justification maladroite ! Car Josèphe, les spécialistes le savent, a déjà été falsifié outrageusement en tout un passage qui mentionne (ou ne mentionnait pas) Jésus… Quoi qu’il en soit, la fête remonterait un peu plus haut que l’an 353 : elle était établie dans toute la chrétienté orthodoxe au début du Ve siècle. En Arménie cependant, et en Mésopotamie, pays longtemps hérétiques, elle ne se distingua de l’Épiphanie qu’en plein XIVe siècle (15) ! Païenne dans son origine, la Noël allait le rester. Bien mieux, en se répandant dans les pays idolâtres, elle allait s’annexer toutes les coutumes, tous les rites, tous les mythes que comportait naturellement une époque de l’année aussi intéressante pour tous les hommes et particulièrement pour les populations campagnardes. Nos coutumes de Noël n’ont à peu près aucun rapport, sauf quelques-unes non équivoques, avec la légende chrétienne que cette fête rappellerait. Rien dans les récits évangéliques – canoniques ou apocryphes – ne donne prétexte au Réveillon, ou à l’Arbre de Noël, ou à la Bûche. L’origine de ces coutumes est extrêmement complexe, multiple pour certaines d’elles, de très vieux rites d’origine analogue se retrouvant après des siècles et fusionnant naturellement. Je ne saurais, dans le cadre d’un article, entrer dans des précisions ; aussi bien l’étude du folklore de Noël est loin d’être mise au point, principalement en France, les livres traitant de ces choses étant anglais ou allemands (16). Je résumerai de mon mieux les renseignements que j’ai grappillés. Dès le début, pour la Noël Mithraïque, nous voyons les païens et, à leur imitation, les chrétiens, allumer des lumières en signe de fête. Et, nous dit l’écrivain syrien que nous mentionnions plus haut, l’Église maintint la coutume d’allumer des feux jusqu’au 6 janvier (17) : « Nos ancêtres, dit l’anglais John Brand, avaient coutume d’allumer des bougies de dimensions extraordinaires, appelés bougies de Noël et ils mettaient une bûche de bois sur le feu, appelée bûche de Noël, pour illuminer la maison et transformer la nuit en jour… La bûche… avait originellement pour but de secourir le soleil hivernal… de rallumer ses rayons qui paraissaient mourir. » Un peu partout s’est maintenue cette coutume d’allumer des feux, ceux du solstice d’hiver, nativité de Jésus-Christ, répondant d’étrange façon à ceux du solstice d’été, nativité de Jean- Baptiste. En Provence, à chaque Noël, on sortait, de l’armoire à linge, une chandelle, toujours la même, que de génération en génération on n’allumait que ce jour-là (18). Dans les pays du Nord, l’usage de la bûche est confirmé, nous le verrons, par la survivance sous l’apparence chrétienne, d’une archaïque fête du feu (18). En Basse-Bretagne, les fidèles se rendant à la Messe de minuit s’éclairaient avec des torches (19). A Caen les enfants se promènent avec de petites lanternes (19). Enfin, un peu partout, de nos jours encore, l’illumination générale des Noëls et des Christmas, en particulier des arbres dont nous parlerons plus loin, en même temps qu’elle tempère l’obscurité des plus longues nuits, rappelle le culte archaïque de Mithra, dieu du Soleil, né aussi dans une caverne…Un autre héritage de l’antiquité païenne est celui des Saturnales un peu antérieures (du 17 au 23 décembre) mais que la fête nouvelle ne tarda pas à annexer, comme le note expressément Polydore Virgile. « Les amis se rendaient réciproquement visite et festoyaient en-semble, ou échangeaient des cadeaux… rameaux, bougies de cire et poupées d’osiers (celles-ci en souvenir des anciens sacrifices d’enfants au Baal phénicien devenu à Rome Saturne ou Chronos). Les boutiques, comme aujourd’hui, étaient pleines de cadeaux. Un jour, Dies juvenalis, était consacré aux enfants. » (20). Comme je l’avais développé, d’une façon très romancée, dans un Conte de Noël, la fête de joie des tout-petits a été sans doute, en ses débuts, une atroce cérémonie où, pour lui rendre sa force, on immolait au Soleil-enfant d’autres enfants. Quoi qu’il en soit, la Noël chrétienne a emprunté aux Saturnales la coutume des Réveillons, et nos modernes viveurs qui soupent sur les boulevards rejoignent inconsciemment, par-dessus deux millénaires d’un christianisme de surface, les orgies de la décadence païenne. C’était donc bien vainement que les conciles du Haut-Moyen-Age interdisaient, le jour de Noël, de disposer des viandes devant la porte à l’intention des passants et de s’adresser entre amis des gâteaux et victuailles, entre-autres des oies rôties (21). En pénétrant dans les pays océaniques, la fête méditerranéenne acquiert des caractères nouveaux. En Gaule où elle rencontre les traditions des Druides adorateurs, d’après une légende chartraine de « la Vierge qui doit enfanter », elle adopte le gui des adorateurs du chêne, le gui symbolique qui, au plein cœur de l’hiver, atteste la survivance des forces de la nature. Dans quelques églises du Nord (22), malgré des interdictions, on décorait les églises avec du gui ; de même encore, ça et là, les maisons avec du houx, afin de « pourvoir les esprits sylvains d’un asile où ils puissent se retirer à l’abri des frimas jusqu’au renouveau de leurs frondaisons favorites (23) ». Enfin la coutume du gui l’an neuf, baisers échangés compris, se rattache sans aucun doute aux vieilles traditions celtiques. En Germanie et dans la Grande-Bretagne, la nouvelle fête vient coïncider avec des cérémonies fort anciennes, les fêtes d’Yule ou « Yuletide » dont le nom est resté vivant dans la langue anglaise moderne. Écho septentrional des Saturnales romaines, c’était une époque de réjouissances, de visites et de festins. Que veut dire le mot Yule ? ou Juhl ? ou Youlu ? Ne cherchez pas dans nos dictionnaires. A part les sources anglaises, je ne l’ai guère trouvé que dans celui des religions de l’Encyclopédie Migne. Il s’agit d’une fête assez complexe consacrée à divers dieux de la mythologie germanique. Odin visitait la terre et on vidait une première coupe en son honneur à titre de Dieu des morts ; les deux suivantes étaient bues en l’honneur de Njord et de Freya, dispensateurs de fécondité (24). On honorait aussi les Juhles (25), génies aériens résidant sur les arbres, pour l’alimentation desquels on suspendait à un des arbres, proche de la maison, des coffres de bouleau pleins de victuailles. Chez les Lapons, Youlu (25), était également une fête où il était de règle de boire dru. Certains auteurs ont voulu dériver Yule de Odin ou Wotan, surnommé Jolner et roi des Juhles, Dieu initialement solaire – dieu mort et ressuscité… « dans quelques rares districts de forêts, c’est Wotan en personne que l’on voit sauter de cheval et pénétrer, sombre et mystérieux, afin d’allumer la bûche » (26) et apporter des présents, Yule étant fête du Feu et fête de l’Abondance. Qui ne pense à ce propos au légendaire Père Noël ? Celui-ci serait-il donc le successeur débonnaire du farouche Dieu germanique ? D’autres voient en lui le succédané de saint Nicolas ; mais, nous référant encore à la thèse de Saintyves, nous nous demanderons si ce saint n’est pas le « successeur d’un Dieu » et noterons une indication (27) qui le ferait procéder de Njord, génie de l’abondance, mentionné un peu plus haut. Quoi qu’il en soit de ses origines – et suivant les contrées l’une et l’autre peuvent être admises – le bon vieillard porteur de hotte n’apparaît pas du tout chrétien et l’on ne s’étonne pas que M. Marc Sangnier l’ait autrefois réprouvé comme un déplorable succédané de l’Enfant Jésus (28)… La « Yuletide », nous l’avons dit, était dédiée aux défunts (29). Quoique cette affectation n’ait pas laissé des traces trop manifestes, on la retrouve à la base de superstitions populaires relatives aux nuits de Noël, nuits essentiellement magiques d’après le folklore chrétien. Les âmes du Purgatoire se réuniraient ce soir-là, dans des chapelles ruinées, pour des messes libératrices, tradition dont Alphonse Daudet a tiré un fort joli conte (30). Ailleurs au dîner de Noël on laisse sans y toucher une part pour les défunts, on les voit, et dans la Loire-Inférieure, on croit que l’esprit des ancêtres va visiter les enfants (31). Sans risquer une hypothèse trop hardie, à l’époque de l’année ou précisément le vieux soleil meurt et est remplacé par un soleil nouveau-né, ne pourrait-on pas, à la lumière de cette dernière survivance, considérer la fête d’Yule, fête des morts et des enfants, comme une célébration de ces transmigrations auxquelles croyaient les Druides, ou, sous un angle plus rationaliste, du renouvellement fécond des générations, à laquelle présidait spécialement le dieu Odin, chargé de conduire à leur séjour les âmes des morts ? Mais nous avons aussi affaire à une fête des germinations, à une véritable fête du Blé, d’ordre magique, ayant pour but, alors que le grain germe secrètement dans la terre, d’assurer sa prospérité pour l’abondance de tous. Comment d’ailleurs ne pas apercevoir ici encore la relation, incontestable, partout observée, entre les fêtes du grain appelé à ressusciter et celle des morts appelés à revivre de façon ou d’autre ? Des coutumes locales attestent ce caractère. En Corrèze on ceinture de paille pour leur faire honte les arbres qui ne produisent pas (32). Dans le Jura les enfants font brûler sur des lieux élevés des fagots de paille nommés failles ; pendant qu’ils flambent, c’est à qui criera le plus fort : « Failles, failles, que chaque gerbe fasse le quart ! », Ailleurs on mêle au blé semé des cendres de la bûche de Noël (33).

En Scandinavie « le matin de Noël on prend la plus belle gerbe… on la fiche au bout d’une perche… on plante la perche sur le toit (de la plus belle maison) à côté de la cloche de commandement… Ainsi veut-on qu’à l’exemple de l’homme, les oiseaux puissent fêter Yule (34) »… Yule est tout simplement le symbole du solstice d’hiver et la gerbe qui le représente figure la renaissance d’une année pleine de promesses » de l’an nouvel ou Noël (35). Toutes les coutumes d’échanger des cadeaux et de banqueter n’ont pas d’autre signification et même le fait de tuer le cochon à cette époque se rattacherait au « sanglier de Noël en qui s’incarnerait l’esprit du blé » (36). Yule a toujours eu pour centre une sorte d’idole symbolique le figurant. En Angleterre le Yule de Christmas est toujours la bûche de Noël (37) ; si les grandes personnes n’invoquent plus celles-ci, les enfants, plus imaginatifs, s’agenouillent çà et là devant elle pour l’inviter à bien brûler, au besoin en l’arrosant de vin (38). Ailleurs la fête est concrétisée d’une façon plus anthropomorphique, par une gerbe, par exemple, comme nous l’avons vu plus haut ; cette gerbe en Suède s’appelle le Vieil homme d’Yule (39) et on lui donne vaille que vaille une silhouette d’homme ou de femme, voire de chèvre ou de coq. Notons en passant que ce joue un certain rôle pendant notre fête ; immolé en Laponie (40) pendant les beuveries du Joulu, dans d’autres pays, au Danemark par exemple, « quand arrive le moment où l’on célèbre la naissance du Christ, l’oiseau de l’aube chante toute la nuit » (41). A l’emblème de fécondité, que symbolise la gerbe, se rattache aussi l’idée du recouvrement de la vie végétale, du renouveau de la verdure et la vieille coutume de l’Arbre de Noël, idole naturelle de la fête, procède de cette idée. On sait quel rôle a joué l’arbre, probablement le premier domicile de l’homme, dans la religion des peuples. Sans parler de la passion qu’ont certains artistes pour les arbres, la mystique rationnelle du reboisement n’est pas sans se rattacher au vieux culte de ces êtres bienfaisants. Comme c’est le cas dans toutes les légendes un peu généralisées, l’origine de l’arbre de Noël doit être multiple. Le dieu Atlys, autre précurseur de Jésus, était déjà un pin et le culte de l’arbre figurait en bonne place dans les mystères du Dieu Mithra dont le Christ a usurpé jusqu’au jour de la naissance (42). Toutefois c’est dans les grandes forêts de l’Europe océanique qu’il faut chercher l’origine germanique ou Scandinave de nos arbres de Noël. Déjà l’emploi du gui ou du houx dénote une influence celtique. Certains prétendent non sans vraisemblance que le prototype de l’arbre en question est le fameux frêne Yggdrasil de la mythologie germanique, arbre mythique toujours vert qui constitue l’Univers et autour duquel s’agite, du coq d’or qui veille à son faîte jusqu’au serpent qui ronge sa racine, toute la faune mythologique et tout le panthéon d’Odin. Les Germains adoraient des troncs d’arbre, images- du frêne géant dont Charlemagne fit détruire un des plus sacrés (43). Saint Colomban, évangélisant la Gaule, pendant une nuit de Noël, illumina de tâches en forme de croix un arbre adoré par les habitants et convertit ces derniers (44). L’origine païenne de l’arbre apparaît incontestable. On a tenté de le christianiser en le rattachant à la célébration d’un Mystère, celui de la chute d’Adam et d’Eve, que l’on jouait la veille de Noël comme préface au mystère d’une Incarnation rendue nécessaire par cette chute. L’arbre de la science du Bien et du Mal, dont une bouture aurait donné celui de la croix, était figuré dans le décor par un arbre chargé de pommes, le premier arbre de Noël. C’est possible et cela n’exclut aucune autre théorie ! Notons que l’arbre du paradis terrestre est d’origine babylonienne, donc païenne de toutes façons (45). D’une façon plus unanime, on rattache l’arbre de Noël illuminé et chargé de fruits à la légende d’après laquelle les plantes reverdiraient pendant la divine nuit. Mais c’est là symbole naturiste, dont des faits réels pouvaient être l’origine. D’après l’ouvrage du Docteur Thile (46), les Germains, encore païens ou même devenus païens attachaient une valeur de talisman à des branches qu’ils coupaient sur des arbustes à floraison précoce. De tels arbustes existaient près de Nuremberg et de Bamberg lesquels « dans la plus froide saison en la nuit de la naissance du Christ se couvraient de fleurs et de pommes grosses comme le pouce et cela au milieu d’une neige épaisse, sous la morsure d’un vent glacial ». D’un pareil buisson à Glatorsbury (Angleterre) et qu’aurait planté Joseph d’Arimathie, les marchands de Bristol tiraient un gros bénéfice en vendant des branches ou boutures, même à de royaux personnages ; détruit pendant la guerre civile, cette aubépine, donna lieu à un rejeton planté à Quainton. Celui-ci causa une émeute en 1752 parce qu’ayant refusé de fleurir, lors d’une Noël qu’avait avancée de onze jours un décret administratif ! De là provient sans doute la coutume des anciens Germains de disposer dans la terre ou dans l’eau, à l’entrée de l’hiver, des baguettes cueillies dans les haies ; de celles qui fleurissaient dans la maison ou les étables une année prospère et on recevait en échange des cadeaux. Aux boutures qui risquaient fort de sécher au lieu de fleurir on substitua sans peine des branches d’arbre toujours vertes fleuries artificiellement (47). Quant aux lumières artificielles dont ces arbres furent chargés, ce sont celles que la coutume primitive assignait à la Noël, fête du feu. D’ailleurs les légendes d’arbres miraculeusement illuminés, arbres de Noël ou de Mai, sont à évoquer ici. Un frêne de Modhenfell se fleurit de mille lumières que le vent ne peut éteindre sur la tombe de deux innocents exécutés (48). D’autres arbres illuminés apparaissent dans les chansons de geste du Perceval français, de Durmals le Gallois, etc… Quant aux jouets ou objets multiples qui chargent nos arbres, s’ils se rattachent immédiatement à la tradition des cadeaux, ne sont-ils pas sans évoquer toute la faune mystérieuse qui hantait le frêne Yggdrasil ? L’arbre de Noël est d’origine Scandinave. Certains disent d’introduction récente. Cependant, dans une lettre charmante à son fils, Luther raconte la joie que dans son enfance lui avait inspirée un tel arbre (49). Goethe en parle dans Werther et dès le XVIIIe siècle, « parmi les absurdités, écrit le pasteur Dannhauer de Strasbourg, dont à Noël les hommes sont plus occupés que de la parole de Dieu, il y a aussi l’arbre de Noël ou sapin qu’ils dressent dans leurs maisons et auquel ils suspendent des poupées et des sucreries ; ils le secouent ensuite et lui font répandre ses fleurs. J’ignore l’origine de cette coutume, c’est un jeu d’enfant… Il serait bien préférable de conduire ces enfants vers le cèdre spirituel Jésus-Christ » (50). Mussolini ne parlait pas autrement l’an dernier quand il assignait une origine non chrétienne ni latine au fameux arbre et l’interdisait en Italie. Celui-ci n’en résiste pas moins aux théologiens et dictateurs. Quoique récemment importé en Angleterre puisqu’introduit au début seulement du dernier siècle par le prince consort de la reine Victoria (51), il fait figure d’une institution archaïque. Là, comme ailleurs il répond à un besoin profond d’adoration de la part de l’homme qui s’adresse plus logiquement à un arbre vivant et bienfaisant qu’à la statue inerte d’un Dieu cruel. Ainsi nous en avons fini avec les rites de Noël. Sauf la crèche d’origine évangélique, mais également astronomique, sauf la liturgie religieuse proprement dite, rien n’est chrétien dans une fête plus empreinte du souvenir de Mithra et de Wotan, du Soleil, que de celui de Jésus-Christ. D’ailleurs, une fois célébrée comme des formalités le plus souvent une messe, combien de chrétiens s’abandonnent à des réjouissances dont la naissance du divin enfant n’est qu’un prétexte poli ? Même nos vieux Noëls, si naïfs, souvent si charmants, contiennent des détails réalistes, parfois grossiers, qui scandalisent les bien-pensants. En Angleterre Christmas, héritière des Saturnales, participait plutôt du Carnaval et des fêtes orgiaques d’Yule que du recueillement prosterné des mages et des bergers. En France, la fête de l’Âne et celle des Fous se célébraient pendant l’antique temps d’Yule et en ces fêtes, on le sait, en pleine église, des clercs tonsurés parodiaient les rites sacrés avec une licence telle qu’une comédie mille fois plus innocente mènerait aujourd’hui le moindre libre-penseur au tribunal correctionnel; leur cynisme et obscénité les firent enfin condamner. Aussi comme le pasteur Dannhauer, comme Marc Sangnier et Mussolini, comme les conseils des premiers siècles, tout ce que le Christianisme a compté de farouche et de fanatique n’a eu garde de se tromper sur le paganisme de Noël. En 1644 les Puritains de Cromwell firent supprimer la fête : ils envoyèrent des soldats visiter les domiciles de ceux qui étaient soupçonnés de manger des gâteaux de Noël ; des persécutions et des émeutes s’ensuivirent. Aujourd’hui encore ils appellent le Yuletide « Fooltide », ou temps des fous, et au moins en 1904 célébraient très peu notre fête. Par contre l’Allemagne de Hitler s’est efforcé de rendre à la Noël son sens païen ; dès 1933, les journaux et les revues font campagne dans ce sens. Noël, affirment-ils, était jadis « la fête des flammes, engendrant l’enthousiasme qui brave la mort ». Le Dr Kurt écrit dans le « Beobachter » : « Seul l’homme héroïque et nordique peut discerner, au plus profond de la forêt hivernale, l’annonce de la vie qui va renaître. Seul, l’homme nordique peut avoir l’esprit d’avant-garde qui lui permette de sentir éclore une nouvelle vie au cours de la nuit sombre de l’hiver, au milieu des glaces. De tout temps les Allemands furent les premiers à deviner la vie et la nature de l’esprit et de tout temps, ce peuple héroïque et ses « fuhrer » ont formé les troupes d’assaut, afin de ceindre la couronne. Nous sommes l’avant-garde d’une ère nouvelle. Notre destin est de sentir au plus profond de l’hiver les tressaillements d’une vie nouvelle et de nous sacrifier pour elle. La fête allemande de Noël annonce le sacrifice pour une nouvelle civilisation… Soyons durs, soyons sévères, soyons des soldats. Le laïque (52) qui cite ce texte peut s’inquiéter des conséquences d’une telle mentalité. Mais de là à regretter le Noël du petit Jésus… Le choix n’est pas circonscrit entre le christianisme faussement pacifiste et un néo-paganisme belliciste. Tout en détestant comme criminel le dernier appel du « Docteur », tout en estimant ridicules de vanité certaines de ses affirmations racistes, nous n’aurions pas à changer grand chose à certaines de ses phrases pour les faire entièrement nôtres. Nous aussi, libres penseurs, pour des conclusions opposées, considérerons cette fête non pas comme chrétienne, commémorant l’inutile incarnation d’un Dieu, mais comme païenne, rattachée aux mythes les plus symboliques du naturisme éternel. Gratitude des hommes envers le soleil générateur de toute énergie ; acte de foi en la permanence de la vie même au temps des plus longues nuits qu’on aurait dû vouer à la mort, qu’on lui a vouées en effet, mais en la corrigeant d’un espoir tenace en une quelconque survie ; confiance en la fécondité de l’œuvre, même à l’heure où le grain enterré semble gelé sous la neige, en la montée des épis ; hommage inconscient à celui qui inventant le feu, symbolique Prométhée, permit non seulement l’illumination de l’arbre et la crémation de la bûche, mais la victoire de l’homme sur le fauve et la matière, l’essor de son industrie ; adoration de la Nature notre Mère, éternelle génitrice, symbolisée en l’arbre chargé et enguirlandé, réduction à notre échelle du cosmique frêne Yggdrasil ; il n’y a rien là-dedans qui ne puisse se rationaliser, laïciser, transposer pour les enfants, dont c’est la fête, en haute et saine leçon. Même dépouillée de son stupide appareil théologique, la scène traditionnelle de la crèche, devant la bûche, ne symbolise-t-elle pas la prosternation au foyer humain de l’humanité adulte prête au déclin, non pas devant un enfant divin, mais devant l’enfant humain, devant le petit être impuissant sur qui reposent nos espoirs de meilleure humanité ? Ne devons-nous pas en un certain sens imiter les chrétiens du cinquième siècle qui christianisèrent les rites païens, et nous, laïques du XXe, laïciser les rites chrétiens ? Comme l’écrivait le très authentique libre-penseur et socialiste Sembat : « Il y a aussi les grandes fêtes… Elles ne se laissent pas oublier. Elles sont voulues et décrétées, non par une loi ni par un catéchisme, mais par la Nature. Le Printemps renaît et veut sa fête qui sera aussi celle de la Jeunesse. L’Été s’épanouit, l’Automne se dore, l’Hiver se glace et tous les hommes à certaines dates consacrées, dès avant qu’aucune des religions chrétiennes eut été prêchée, voulurent fêter l’été, l’automne et le foyer d’hiver, ainsi que le germe endormi sous le sol gelé. Les ambiances physiques ont depuis longtemps façonné… la vie de nos sociétés et par là nos cœurs… (Ces fêtes), il nous faut les célébrer directement sans mythe et sans intermédiaire religieux ». L’auteur, rappelant les Noëls humaines auxquelles d’heureuses tentatives l’ont convié, nous ne saurions mieux conclure cette étude résolument objective qu’en souhaitant la résurrection de ces Noëls humaines avec des ressources techniques, le cinéma en particulier, que l’avant-guerre n’a pas connues, mais avec une foi qu’elle pourrait nous apprendre. Fête de l’avenir, de la nature et de la joie, la Noël ne peut rester l’apanage d’une religion de passé, d’antinature et de tristesse. C’est à nous de la lui reprendre, puisqu’elle-même l’a volée, de rendre à cette nuit de joie rajeunie à la mesure de la science actuelle, ce caractère spontané, primitif et bienfaisant que lui avait donné le sûr instinct de nos ancêtres et que la malfaisance sacerdotale a, pour sa domination et notre esclavage, confisqué et perverti…

Jean COTEREAU, La Documentation anti-religieuse. Éd.de « l’Idée-Libre »

(1) H. Rogers, Voir Les Religions révélées, II, 47, Guignebert, Vie cachée de Jésus, p. 25. (2) Strauss, Vie de Jésus, II, 66. (3) Origines du culte chrétien, p. 271. (4) Ibid. page 272. (4 bis) Ch.-A. Julien, dans « Monde ». (5) Ibid. page 277. (6) Ibid. page 278. (6 bis) Saint Yves, Les Saints Successeurs des Dieux, p. 358. (7) Le Rameau d’or, p. 340 (traduction française). (8) Études de critique et d’histoire religieuse, de Vacandard. (9) Malachie, IV, 2, texte capital ; Luc, II, 32 ; Saint Cyprien, De orat. Dom. ; Saint Grégoire de Naziance ; Saint Jean Chrysostome, etc., de Kellner. (10) Voir en partiofei Coucherai, L’Apocalypse. (11) Apocalyspe, XII, 1,10. (12) Page 212 de l’édition de 1822. (13) Frazer, Adonis, trad. française, p. 203. (14) Contre les hérétiques, IX : « le Diable imite les sacrements de Dieu dans les mystères des idoles » et l’auteur cite comme exemple des pratiques mithraïques comme l’oblation du pain. (15) Kellner, ouvrage cité, p. 181 de la traduction française. (16) En particulier : Alexander Tibe : Die Geschichte der deutschen Weinacht (Leipzig, 1893). (17) Le Rameau d’or, de Frazer, pp. 340,595,601. (18) Ghéon, Noël! Noël!pp.33et34. (19) Revue des traditions populaires, année 1887, p. 538 et 1891, p. 24. (20) Annales des fêtes civiles, t. Il, p. 49. Article « Les Arbres de Noël ». (21) Mêmes annales, t. Il, p. 14. (22) Ibid. t. Il, p. 49. (23) Brands, Antiquities, tome I, p. 520. (24) Contribution à l’étude du culte d’Odin, par Jan de Vries, FF. Communications num. 94, p. 59 (en anglais). (25) Articles du dictionnaire Migne susdit. (26) Ghéon, Noël I Noël I pp. 55 et 49. (27) Revue des traditions populaires, 1887, p. 570. (28) Annales des fêtes civiles, t. Il, p. 14. (29) Étude de Jan de Vries, p. 19. (30) Ghéon, Noël ! Noël I p. 37. Autres légendes, pp. 36 et 37 ; « Les trois messes basses » (Lettres de Mon Moulin). (31) Revue des traditions populaires, 1893, p. 610,1888, p. 7. (32) Sébillot, Folklore français, tome III, p. 378. (33) Sébillot, Folklore français, tome III, pp. 459,452. (34) Larousse du XIX’ siècle, art. Arbre de Noël ; en tête, citation de R. Enault, Voyage en Norvège. (35) On donne plutôt Natalis comme étymologie de Noël. Que les érudits se prononcent I (36) Le Rameau d’or, p. 436. (37) Larousse susdit, article Christmas. (38) Ibid. article Arbre de Noël. (39) Article de Jan de Vries cité, p. 19. (40) Article Joulu du dictionnaire Migne. (41) Hamlet, acte I, scène I. (42) Loisy, Mystères païens, mystères chrétiens. (43) Mythologie générale Larousse, p. 223. (44) Ghéon, p. 10. (45) Article cité sur les arbres de Noël de Mme J.-H. Philpo. (46) Cité dans les Arbres de Noël, Annales des Fêtes civiles, II, 49 sq. (47) p. 95. (48) Mannhard, Germanische Mythes, p. 470

Document PDF : LEUR NOËL ET LE NÔTRE