Fiche de lecture: « Critique de la religion »


Critique de la religion

de Yvon Quiniou

 

Critique de la ReligionDans l’introduction de son ouvrage, l’auteur souligne à juste titre l’actualité de la critique de la religion. En effet, de nombreuses sociétés dans le monde subissent encore le poids des religions sous différentes formes. On pense bien évidemment aux fanatismes qui mènent parfois à des violences extrêmes. L’Église a montré aussi une fois de plus son refus de l’égalité des droits lors des récentes manifestations contre « le mariage pour tous ». Dans le domaine scolaire, des Églises tentent actuellement d’intervenir pour demander que le créationnisme et la théorie de l’évolution soient enseignés à égalité, y compris en Europe, notamment aux Pays-Bas, comme l’indique Yvon Quiniou. Et on pourrait multiplier les exemples prouvant que, encore de nos jours, « la religion constitue un problème pour l’humanité et non une solution aux maux qu’elle rencontre. »1

Cet ouvrage très clair et très bien construit, ce qui en facilite la lecture, constitue une synthèse approfondie des critiques de la religion dans l’histoire de la philosophie. L’auteur veut démontrer, à l’aide de ces critiques, que la religion représente une triple imposture : intellectuelle, morale et politique. L’ouvrage comporte deux grands moments : la critique philosophique de la religion par des penseurs des 17ème et 18ème siècles, suivie de l’explication critique de la religion par des auteurs des 19ème et 20ème siècles. Par ces deux étapes, il exprime le passage d’une critique, certes rationnelle mais qui ne parvient pas à se libérer de la religion, à une élucidation de l’origine historique et psychologique de la religion ayant pour conséquence l’idée que l’humanité peut s’en émanciper.

Yvon Quiniou amorce le premier moment en insistant sur le lien entre la critique des religions et l’histoire de la philosophie, puisque la philosophie est fondée sur la raison et non pas la religion. La critique de Spinoza, dont l’auteur souligne à juste titre à la fois « l’extraordinaire audace » et l’ « extraordinaire actualité »2, est l’une des plus stimulantes. Ce philosophe du 17ème siècle, en rupture avec la tradition, refuse l’idée d’un Dieu transcendant, c’est-à-dire extérieur et supérieur à la nature. Il qualifie même de préjugé menant à la superstition la conception d’une puissance divine à laquelle nous devrions nous soumettre et nous adresser par des prières. Il dénonce également les Églises, leur hypocrisie et leur ambition, ainsi que leur relation avec les pouvoirs politiques. Yvon Quiniou insiste ensuite sur l’analyse de Hume au 18ème siècle.

Pour celui-ci, la religion provient de la « stupidité », repose sur « des principes irrationnels et superstitieux », et l’idée que les hommes se font de Dieu relève « de la débilité de leur faible entendement ». Les conséquences pratiques sont par conséquent déraisonnables : fanatisme, persécutions, valorisation de la souffrance….. A la même époque, Kant dénonce l’immoralité des religions existantes, sources d’hypocrisie, de soumission au pouvoir des prêtres comme à celui des gouvernements. Yvon Quiniou évoque le souci kantien fondamental de la liberté de penser niée par les Églises. Cependant, ces différentes critiques n’entraînent pas une rupture totale avec toute conception religieuse. Et c’est notamment le cas chez Kant qui envisage une religion rationnelle, « une religion essentiellement morale : elle consiste en la pratique de la vertu telle que la raison nous la commande. »3

On lit alors avec un grand intérêt l’explication d’Yvon Quiniou selon laquelle ces critiques de la religion en restent à un « face-à-face abstrait » entre la raison et la religion et ne mettent pas en évidence « les conditions concrètes qui engendrent la religion sous ses différentes formes. »4 Et c’est pourquoi l’auteur est conduit à développer un deuxième grand moment, où il présente des penseurs à la recherche des racines historiques pu psychologiques de la religion et des conditions permettant à l’humanité de s’en émanciper réellement.

Il s’agit, nous dit fort justement l’auteur, de se situer sur le terrain du matérialisme. Au 19ème siècle, Feuerbach affirme que l’essence de la religion réside dans l’aliénation, c’est-à-dire dans le transfert à Dieu de qualités auxquelles aspire le genre humain (la perfection, la puissance…). L’idée de Dieu apporte donc à l’humanité « une satisfaction imaginaire »5. Mais l’auteur montre bien que Feuerbach substituera à l’idée de Dieu (qu’il faut détruire) une divinisation de l’homme. Cette analyse apparaît donc trop abstraite à Marx dont l’auteur développe largement la pensée. Pour Marx, la religion s’explique à partir de l’histoire et de la société. C’est une idéologie, c’est-à-dire une illusion, le reflet d’une société divisée en classes. Sa fonction est la conservation de cette société. En finir avec la religion nécessite d’abord de renverser cette société, la société capitaliste, pour aboutir à une société sans classes, la société communiste qu’Yvon Quiniou a le mérite de défendre (ce qui est rare parmi les penseurs contemporains). Puis l’auteur se consacre aux réflexions de Nietzsche sur la religion. S’il dénonce à bon droit ses conceptions anti-démocratiques, on lit toutefois avec enthousiasme les critiques virulentes de Nietzsche à l’égard de la religion opposée à la vie. On peut enfin donner raison à l’auteur de terminer son ouvrage en complétant son explication de la religion par des causes psychologiques, à l’aide de Freud. Selon celui-ci, « la religion enfonce l’homme dans l’infantilisme »6, puisqu’elle renvoie au besoin de protection infantile. Ne parle-t-on pas en effet de « Dieu le père » ? Mais l’humanité peut sortir de l’état d’enfance grâce à la raison.

Yvon Quiniou conclut sa démonstration par l’affirmation salutaire (et à l’opposé de nombreuses thèses actuelles) selon laquelle il n’existe pas de « besoin religieux » « inhérent à l’humanité »7. L’auteur avait dès le début de l’ouvrage rendu hommage à la Libre Pensée8 qui défend cette idée.

On peut néanmoins s’interroger sur quelques remarques contenues dans le livre. Peut-on soutenir le précepte chrétien d’aimer son prochain9, lorsque celui-ci est un exploiteur ? L’ouvrage peut-il se fixer « l’objectif minimal » de « modifier les religions, au moins dans leurs excès flagrants »10, alors qu’il en a dévoilé le caractère indéfendable ? Le débat est ouvert. Un ouvrage à lire et à faire lire.

Martine Bodin : Critique de la religion, p.34 in La Raison n°599 – mars 2015

1)  Introduction p.14

2)  p.47

3)  p.58

4)  p.64

5)  p.77

6)  p.l65

7)  p.l79

8)  note p.31

9)  p.29

10)  p.31