Liberté, égalité, laïcité


Liberté égalité laïcité

Liberté, égalité, laïcité

 

La Liberté guidant le peuple

La Liberté guidant le peuple

Les équipes d’Envoyé Spécial ont consacré en deuxième partie de soirée un reportage sur la laïcité en se posant la question suivante : « Est-ce que les atteintes à la laïcité se multiplient en France ? ».

Le lancement est plutôt interpellant puisque la séquence met en scène une conversation entre un habitant dévot et le maire de Publier (Haute-Savoie) au sujet d’une statue de la Vierge Marie installée dans un domaine public et réalisée avec les deniers publics.

L’habitant ne comprend pas le tollé (1) suscité par cette statue qui « nous rappelle notre culture » (2) au nom d’une loi « vieille de 110 ans ». L’ancêtre n’épilogue pas sur sa conception de la culture ou de l’histoire de France mais il n’hésite pas à balayer d’un revers de la main une date-clé de l’histoire de la laïcité en France : la loi Combes de 1905!

Article 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] »

Article 28 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

Quant au maire, ragaillardi par le soutien des ouailles du coin alors qu’une condamnation de la justice française le somme de déplacer sa statue dans un espace privé, il surenchérit : « Pas une seconde je n’ai eu envie d’obliger les gens qui arrivent face à cette vierge de s’arrêter, de faire une génuflexion, celui qui aime, la regarde, celui qui n’aime pas ne la regarde pas, mais on va dans une société où l’on ne sait plus trop où on habite, il n’y a plus ces repères, et je voulais garder ces repères dans un pays d’éducation judéo-chrétienne, la fille de l’église c’est la France, j’oblige pas les gens à être catholique mais quand même il y a une histoire dans notre pays. »

Malheureusement de telles inepties reviennent souvent dans la bouche des gens qui se sentent outragés par une loi qu’ils jugent un peu démodée… Quels sont les arguments de l’édile ?

1. Il n’y a aucune obligation, on a le choix de s’arrêter ou pas devant la statue.

Ce que le maire feint de ne pas comprendre, c’est qu’il a retiré ce choix et cette liberté à ses concitoyens en faisant édifier cette statue sur un domaine public. Il viole la loi et entrave la liberté tout en l’arguant pour son propre combat. Il n’a pas à être le promoteur d’un culte ! Il viole la loi de 1905 de la séparation des Églises et de l’État, la laïcité des institutions publiques et porte atteinte à la liberté de conscience des citoyens. En outre, il confond de manière étonnante et douteuse les notions de « sphère publique » et d’ « espace public ».

2. La génuflexion n’est pas obligatoire, nous pourrions admirer la beauté de la Vierge.

Et pourquoi pas une statue de Jaurès alors ? Enfin, nous sommes rassurés que ce maire élu, représentant de la république (res publica), ne nous oblige pas à la génuflexion. Par contre, ne nous leurrons pas, il tente bien de nous manipuler en nous lançant sur un autre argument, celui de l’art (3). Peu importe la qualité de l’ouvrage ! La France regorge de bijoux artistiques qui ont pour sujet la religion que les associations laïques admirent volontiers. Si nous sommes prêts à voyager pour découvrir la splendeur de l’art roman auvergnat et le comparer à celui de la Bourgogne, nous refusons ce recadrage sémantique. Ce n’est pas la qualité de l’ouvrage mais bien le sujet choisi qui pose problème. Plus loin, l’homme brandit une des nombreuses lettres de soutien qu’il a reçues pour nous donner l’avis indigné d’une Alsacienne : « Bientôt, on va nous demander de raser les calvaires dans notre département ». Cette tentative d’argument d’autorité a pour but de faire passer le combat sur un autre terrain que celui sur lequel il se joue : les laïques de France sont assimilables aux terroristes de Daesh (4) qui détruisent les vestiges antiques au nom de la religion !

3. « On va dans une société où l’on ne sait plus trop où l’on habite, il n’y a plus ces repères »

Enfin un point où nous rejoignons l’élu, nous sommes dans une société qui a perdu ses repères puisqu’il a fallu une longue procédure judiciaire pour rappeler à l’ordre et au bon sens cet homme. A ce jour, la statue n’a toujours pas été déplacée ! Le glissement opéré par l’élu ne sent tout même pas très bon. Une France sans Vierge Marie est une France qui se perd, une France sans valeur, ni repères. Et que pense l’élu d’une France où les représentants du peuple contournent la loi pour mieux servir les intérêts financiers de l’Église ?

La perte des repères sévit aussi en Belgique… Récemment, nous avons été mis au courant d’un procédé étonnant mis en place sur le parvis de l’église Saint-Pierre à Uccle. Sur le fronton de l’église, le flâneur peut lire que « le pape François demande aux catholiques de sortir sur la place« . Pour quelles raisons ? Que diraient ce curé et ses ouailles si une mosquée bruxelloise osait afficher un message semblable ? Il suffit de songer à l’inutile tapage suscité par le dernier roman de Houellebecq pour en avoir une idée…

4. La France est un pays d’éducation judéo-chrétienne, la fille de l’église c’est la France, je n’oblige pas les gens à être catholique mais quand même il y a une histoire dans notre pays.

A nouveau le maire a raison, la religion fait partie intégrante de l’histoire de France. Cependant, il omet bien vite de rappeler que la France est héritière des cultures gréco-latines, celtes, paganistes, arabes, et ce, au même titre que la Révolution française ou la laïcité qu’il oublie rapidement.

Son propos reste quand même étonnant sur le plan historique. En effet, l’enseignement français gratuit, laïque et obligatoire a fait l’objet d’un combat digne d’être inscrit dans la Grande Histoire de France n’en déplaisent à France Gall (5) et au maire. Ce combat comme d’autres en France ont été menés malgré les tentatives de l’Église française de le saborder.

Les témoignages de soutien des paroissiens de Publier pleuvent et sont à pleurer… L’un déplore la décision du tribunal en avançant que la mosquée construite à Evian ne le dérange pas. Tous les catholiques de France ne sont donc pas islamophobes mais ont-ils bien tous compris que ce qui était choquant à Publier résidait dans le financement public d’un monument religieux qui trône dans un domaine public ? Pas certaine.

Une autre grenouille de bénitier vocifère : « On est quand même des catholiques en France, bientôt, on ne pourra plus rien faire. » N’en déplaise à cette dame, la France n’est pas un état catholique, ni musulman, ni athée ou papiste : elle est laïque ! N’en déplaise à cet homme, les catholiques n’ont pas plus de droits que les autres, ils doivent respecter la loi.

Conforté par cette salve de bêtises humaines, l’édile local se lance dans une diatribe dangereuse. Il propose de réviser la loi de 1905 qui, selon lui, n’est plus adaptée à la société actuelle. Moi, qui pensais que la France voyait ses églises se vider et préférait lutter pour l’enseignement du cours de latin pour rendre la messe moins assommante (6), j’en reste pantoise…

« Où mettre le curseur? Un jour, on va réclamer la suppression des clochers d’église qui rythme le quotidien » assène le maire. Les habitants interrogés affirment défendre leur édile mais il semblerait qu’ils vivent dans la même temporalité que la nôtre et que, contrairement à ce qu’affirme leur représentant, les sons du clocher qui annoncent les complies ou les vêpres ne poussent pas plusieurs milliers de Français à cesser toute activité pour se mettre à prier.

A Ambilly, un patelin proche de Publier, le maire a osé expliquer la décision judiciaire qu’il approuvait. Qualifié immédiatement d’ « intégriste de la laïcité », l’homme est sous protection policière car il est régulièrement menacé de mort. Ces menaces ne sont évidemment pas le fait de tous les catholiques de France mais elles sont bien une entrave à la liberté d’expression d’un représentant de la république.

Après, la journaliste enquête dans deux villes où la laïcité se voit quotidiennement remise en question : Argenteuil et Sarcelles.

A Argenteuil, l’actuel maire UMP crie haro sur le baudet au sujet de la gestion calamiteuse du maire sortant, le socialiste P. Doucet. Que lui reproche-t-il ? D’avoir voulu séduire les foules et particulièrement celles des voix musulmanes en louant un local (impayé pendant plusieurs années) et en employant un homme au profil douteux pour mener une propagande efficace lors des élections dans les mosquées et écoles coraniques avoisinantes où l’homme était administrateur. Cet agent municipal, contraint par la loi à ne pas s’exprimer sur ses croyances religieuses, aurait enfreint la loi en refusant de serrer la main de sa supérieure hiérarchique et tentant d’adapter les horaires de sa vie au travail à celui dicté par sa croyance. Un conseiller communal qui s’était opposé à la création d’un conseil des cultes proposée par Doucet et menacé expose que la manipulation s’exerce des deux côtés. Ainsi, l’homme politique accepte de manière tacite de financer un culte religieux en se disant qu’il pourra toujours feindre l’ignorance de la loi de 1905 pour accepter une chose qui contrevient à la législation française, entrave irrémédiablement et gravement aux principes de la laïcité républicaine. Un autre habitant se félicite de ses bonnes relations avec l’ancien maire sans qui il n’aurait pas, aussi facilement, acquis de permis d’urbanisme pour la réaffectation d’un garage en mosquée peu avant les élections. De son côté, il a exhorté ses fidèles à s’inscrire sur les listes communales.

A Sarcelles, on peut supposer que le poids des électeurs est tout aussi déterminant dans l’agenda du maire qu’à Argenteuil et pourtant l’homme s’en défend en mettant en avant la composition particulière de la ville. A Sarcelles vivent de nombreux croyants musulmans, juifs et chrétiens. Si le maire semble bien avoir compris que le financement des cultes est interdit, il met en avant que, quotidiennement, le fait religieux est omniprésent dans sa ville qu’il doit en tenir compte au nom du « vivre ensemble ». Alors gestion de bon sens ou langue de bois servile pour conserver un électorat acquis qu’il convient de bichonner?

Réfléchissons aux conséquences désastreuses engendrées par une politique démagogique comme celles menées dans ces deux villes. Les chefs religieux sont devenus, aux yeux de ces élus, les représentants de quartiers de citoyens. Autrement dit, les habitants sont renvoyés à leur appartenance réelle ou supposée à une religion. C’est du communautarisme religieux, ne nous leurrons pas! A nouveau, en contrevenant à la loi de séparation des Églises et de l’État, ces maires n’ont pas mis tous leurs citoyens sur un même pied d’égalité oubliant que tous naissaient libres et égaux !

La journaliste achève son enquête sur une anecdote épineuse. Ainsi, elle commente que, sans vouloir déroger au principe de laïcité, certains hommes politiques sont confrontés à une loi « subtile » et « mouvante ». La défense des collectivités se retrouve confrontée à des traitements différents par les tribunaux administratifs. Par exemple, le statut de la crèche de Noël qui fut jugée comme un élément non religieux et donc autorisée à Melun mais interdite à Nantes où le tribunal administratif l’a considérée comme un emblème religieux. Le cas peut faire jurisprudence et affaiblir les 2 articles initiaux.

Quant à notre plat pays, la Constitution belge en son article 181 dispose que l’État finance les religions reconnues, et depuis 1993 la laïcité organisée. Notre cercle condamne ce financement. En effet, le combat pour une réelle séparation des Églises et de l’État, pour le non financement des cultes par des fonds publics, pour la laïcité institutionnelle est devenu plus difficile du fait de l’intégration de la laïcité organisée. Cette modification de la Constitution n’est pas sans importance. En effet, comme le soulignait le Pr de droit public M. Uyttendaele : « … Ce qui est grave dans la révision constitutionnelle opérée en 1993, c’est que, par l’aboutissement d’un long combat, les laïques ont crédibilisé et donné une force accrue au principe même du financement par l’État des cultes et de leurs activités. Il sera beaucoup plus malaisé, demain, de contester le financement des églises par l’État dès lors que la laïcité elle-même en bénéficie. Plus que jamais, il sera difficile de laïciser l’État, c’est-à- dire de reléguer dans la sphère des intérêts privés tout ce qui concerne la croyance et l’exercice des cultes …  » (7)

Cette situation est l’une des nombreuses raisons à la création de notre Cercle de Libre Pensée. (8)

Clairon, Bruxelles le 13 juin 2015

  1. Pour contourner la loi de 1905, les églises avec la complicité d’élu-e-s utilisent l’argument fallacieux du culturel pour oblitérer le cultuel, afin de pénétrer la sphère publique, de faire financer des activités religieuses par des fonds publics. 2. Nos camarades français de la Fédération Nationale de la Libre Pensée sont à l’origine de ce combat. htpp//www.fnlp.fr/spip.php ?article1205. 3. Vieille ficelle: Pour obtenir des fonds publics, les Églises, et ce avec la complicité de certains élus politiques, invoque le caractère culturel de leurs activités cultuelles! 4. Nos camarades français sont régulièrement invectivés, citons l’exemple récent de l’aumônier national des Anciens Combattants, le père Michel Viot, qui s’exprimait sur son blog, en écrivant que « La libre Pensée est l’alliée objective de l’Etat Daesh » 5. France Gall, Sacré Charlemagne 6. Brassens, Tempête dans un bénitier : mai “le latin, sans le latin, la messe nous emmerde”. 7. www.lesoir.be; 10/09/1994 8. Article 2 des statuts du CLP-KVD du 8 mai 2015, http://clp-kvd.org/francais-statuts-du-clp/?lang=fr