Athéisme, apostasie, résistance contre la loi de blasphème


Communication faite lors des Journées des Athées à Varsovie en Pologne par Philippe Besson1, membre du Conseil international de l’Association internationale de la Libre Pensée.

La Libre Pensée, tant la Fédération française que l‘Association internationale de la Libre Pensée, est fondée sur la base de la lutte pour la Séparation des Eglises et de l’Etat et le refus de tous les dogmes religieux. Elle se prononce aussi contre toute forme d’exploitation économique et contre le militarisme et la guerre.

Du point de vue philosophique, elle combat les religions comme système de croyance et comme coercition de l’esprit. Il est de bon ton dans certains milieux, de considérer que le polythéisme est un art mineur en matière de religion, et que le monothéisme représente une avancée de l’Humanité. Disons-le nettement, je pense que non, car je considère l’avènement du monothéisme comme une régression de la pensée.

Dès que l’on affirme qu’il n’y a qu’un seul dieu, qui a tout fait et qui décide de tout, on fonde une Vérité révélée devant laquelle on appelle les hommes à se prosterner. Dès lors, sont créés et légitimés tous les procédés visant à imposer cette croyance monolithique. La torture, l’Inquisition, les bûchers, les massacres et autres guerres saintes tirent leur fondement du monothéisme comme enfants naturels et produits directs de cette conception.

Si aujourd’hui, (cela n’a pas toujours été le cas dans son Histoire) la Libre Pensée compte une majorité d’athées, il y a toujours eu place pour les spiritualistes à condition qu’ils ne soient pas dans une Eglise ou une confession organisée ; et les agnostiques. L’athéisme n’a jamais été dans les principes exigés de ses membres.

Adeptes du libre examen qui a débouché ensuite sur la liberté de conscience, la Libre Pensée agit pour que chacun agisse en suivant ce que lui dicte sa conscience. En ce sens, elle n’impose aucune croyance, aucune conception philosophique d’aucune sorte. L’être humain doit être maître de sa destinée, l’homme libre refuse tout destin qui sera écrit dans un grand livre écrit sous la dictée divine.

Plongeant ses racines dans l’Antiquité, en passant par le Moyen Âge, puis la Renaissance, triomphante dans les Lumières du XVIIIème siècle et la Révolution française, la Libre Pensée fut l’œuvre de tous ceux qui refusèrent les vérités révélées et imposées par les autorités et qui osèrent se dresser un jour pour dire non à l’obscurantisme et à l’oppression.

Un grand moment de cette histoire se trouve dans la Réforme, au début du XVIème siècle. La Réforme est à la fois révolte sociale dans le Wurtemberg et révolte contre les dogmes de Rome à Genève. De nombreuses sectes religieuses se constituent alors, parmi lesquelles celles de libre-examen qui ne se reconnaissent dans aucune religion révélée. Le plus pur représentant en sera Erasme.

La Libre Pensée n’est pas une doctrine, c’est une méthode, celle du libre examen. Notre devise pourrait être : « Ne tenir pour vrai que ce qui est vérifiable et vérifié ». Pour nous, la preuve doit toujours précéder le concept. C’est à dire l’exact opposé de la vérité révélée, mère de toutes les Inquisitions et des croisades. Voilà pourquoi nous sommes anti-dogmatiques et aussi pourquoi nous considérons que tous les libres penseurs de toutes les époques, avec leurs ombres et leurs lumières, font parties du Panthéon de la Libre Pensée. Même si les positions de ces hommes et ces femmes, qui sont des jalons de la conscience humaine, peuvent être discutables et discutées à la lumière des connaissances d’aujourd’hui.

Pour nous, la Libre Pensée est bien antérieure aux religions monothéistes. Elle a connu un essor formidable dans la Grèce antique. Elle eut pour orateurs Athënagoras, Socrate, Epicure et Protagoras qui, le mieux, a tout dit en proclamant que l’homme est la mesure de toute chose. Dès lors, le divin n’avait plus sa place pour régenter le monde. Le véritable humanisme ne peut être qu’athée, sinon il n’est qu’une pâle copie du religieux, car il fait de l’homme une créature soumise et malléable à la volonté omnipotente de son créateur. C’est pourquoi, ce ne sont pas nous qui sommes contre l’Eglise. Ce sont les Eglises qui sont contre la Libre Pensée. On a vu beaucoup de libres penseurs sur les bûchers, mais jamais un seul évêque.

Le consensus mou a trouvé son cheval de Troie, c’est la tolérance dressée contre la laïcité institutionnelle. Mirabeau déclarait à l’Assemblée nationale, au moment de la discussion sur la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui sera votée le 26 août 1789 : « La tolérance, c’est le fait du prince ». Il avait profondément raison. La tolérance, cela a deux bouts, il faut quelqu’un qui tolère et un autre qui soit toléré. Et celui qui tolère peut demain ne plus tolérer. Toute l’histoire a montré des despotes éclairés à un moment et au soir de leur vie beaucoup moins éclairés.

La tolérance est une vertu individuelle et non un principe constitutionnel. Il vaut mieux être, bien sûr, tolérant que sectaire, mais ce n’est pas un concept législatif. Il ne faut pas confondre l’Etat et l’individu. L’Etat doit être laïque, car il s’arrête où commence la conscience (Edmond de Pressensé, alors Président de la Ligue des Droits de l’Homme). Mais l’individu ne peut être neutre, il a un point de vue qu’il doit manifester quand il le désire. La laïcité n’est pas un principe philosophique, c’est un mode d’organisation des services publics et de l’Etat. L’athéisme est une philosophie positive, mais il serait un monstre juridique s’il devenait un principe constitutionnel. Etat athée ou Etat théocratique, ce sont les deux faces d’une même médaille, celle de l’oppression.

Nous faisons toujours notre la devise du journal La Libre Pensée de 1868 : « La tolérance s’inscrit dans la sphère des faits et non dans celle des idées ». Nous combattons pour que chacun puisse exprimer ses convictions, mais nous ne sommes nullement obligés de les partager. Nous avons même un devoir de les combattre si nous ne sommes pas d’accord avec. Cela s’appelle la démocratie et la libre confrontation des points de vue.

Chaque peuple a sa propre histoire, chacun parcourt son propre chemin, mais tous aspirent à la liberté humaine et à l’émancipation intégrale. Le mouvement de laïcisation dans le monde est inexorable, car l’Humanité refuse et refusera toujours qu’on lui mette des fers. C’est pourquoi, nous avons constitué l’Association Internationale de la Libre Pensée en 2011, en Norvège. Nous renouons avec l’histoire en réaffirmant que la Révolution américaine fut la mère de la Révolution française. C’est pourquoi nous avons tenu en septembre 2002 à la Sorbonne un colloque international pour célébrer la déclaration de Thomas Jefferson sur le Premier Amendement qui constitue « un mur entre les Eglises et l’Etat ». Il y a totale continuité entre le Premier Amendement de la constitution des USA, la loi française de 1905, la loi de séparation du Mexique en 1917 et le décret de Lénine sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1918 en URSS.

Les Eglises et les religions s’arc-boutent pour résister, mais elles reculent. L’intégrisme et le fondamentalisme ne sont que les attitudes crispées de religions qui tentent d’endiguer la vague humaine de libération. Notre optimisme est fondé sur le fait que sur notre planète, il y a aujourd’hui un milliard d’athées soit 16% de la population mondiale. L’ensemble des confessions chrétiennes se monte à 33%. Il faut faire la distinction entre le nombre de fidèles qui ne cessent de baisser sur tous les continents et l’influence politique des Eglises qui se maintient. La Libre Pensée dans le XXIème Siècle continuera sur le chemin de l’émancipation intégrale. Sur cette route, il y aura, comme toujours, des avancées et des reculs, mais l’Humanité ira toujours plus loin.

Sur un autre plan, nous récusons les termes d’apostasie et du droit au blasphème. Ces notions sont religieuses. Pour nous, quelqu’un qui renie sa religion, qui la quitte, ou qui en change, n’est pas dans l’apostasie, mais dans l’exercice de sa pleine et entière liberté de conscience. C’est ce principe que nous défendons en tous temps et tous lieux et non le droit à l’apostasie qui sent bon le religieux.

De même, nous ne revendiquons pas le droit au blasphème. Le blasphème est une conception religieuse qui ne peut s’appliquer qu’aux croyants. Quand un libre penseur dit que la soi-disant sainte-Trinité est une fumisterie, il ne blasphème pas, il exerce son droit à une critique rationnelle. Quand il dit que l’ascension, la résurrection, la marche sur l’eau, le miracle des pains, le changement de l’eau en vin, la virginité de Marie relève du conte pour enfant crédule, c’est son droit à la liberté d’expression et à la libre critique qu’il utilise.

Revendiquer les droits à l’apostasie et au blasphème, c’est légitimer le religieux. C’est lui donner le rôle de matrice d’origine. C’est se relever après avoir accepté d’être agenouillé.

Il ne peut y avoir de liberté de penser quand existent encore sur ce continent le délit moyenâgeux de blasphème, les impôts d’Eglise, les religions d’Etat, les concordats et le financement public des religions. Tout cela porte un nom, hier comme aujourd’hui : c’est le cléricalisme. C’est pourquoi nous, libres penseurs, combattons partout, encore et toujours en Europe et dans le monde, pour la séparation des Eglises et des Etats.

Dans l‘Union européenne, institution supranationale qui entend imposer ses diktats aux Etats, aux peuples et aux nations au mépris de leurs droits démocratiques à disposer d’eux-mêmes, la laïcité est un combat plus que jamais brûlant, actuel et nécessaire.

En effet, sur 28 pays membres, deux seulement connaissent une loi de Séparation des Eglises et de l’Etat (et encore il faut relativiser fortement pour le Portugal), Dans la totalité des pays, les religions sont enseignées dans les écoles publiques ; dans la plupart des pays, les prêtres, les rabbins, les pasteurs et les imams peuvent être enseignants et fonctionnaires dans les écoles publiques. Et dans tous les pays, conformément à une résolution votée par le Parlement européen il y a quelques années, les écoles privées confessionnelles sont financées par les fonds publics, faisant en sorte que les impôts de tous financent l’école privilégiée de quelques-uns. Voici la réalité aujourd’hui dans l’Union européenne.

Philippe Besson
Mars- Avril 2017

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1.  Philippe Besson a notamment publié dans les revues La Raison et l’Idée Libre :

– « A Nation Under God ? »
– « L’Eglise catholique et sa Doctrine Sociale dans l’Amérique de la Grande Dépression »
– « Le Québec de Duplessis : un régime corporatiste et clérical (1936-1959) »
– « L’Irlande, guerre de religions ou question nationale ? »
– « L’Eglise et sa Doctrine Sociale contre la Révolution au Portugal »
– « De la République et des Républicains en Grande-Bretagne »
– « L’Ordre d’Orange »
– « La Libre Pensée au carrefour de son destin dans les années 1980/1990 »
 – « Universalisme vs Multiculturalisme »