La révolution d’octobre et la séparation institutionnelle des Eglises et de l’Etat


En cette année du centenaire de la révolution russe, il n’est pas inutile de rappeler le Décret sur la liberté de conscience et les sociétés ecclésiastiques et religieuses, décret proposé et appuyé par Lénine. Par ce décret, œuvre d’un gouvernement de coalition (bolcheviks et socialistes-révolutionnaires) la laïcisation de l’État, de son  administration et de l’instruction publique est appliquée. On est loin de l’image d’un Lénine dictateur. L’Eglise orthodoxe est dépossédée de tous ses privilèges. La loi du 23 janvier 1918 décrétera et organisera la séparation des Eglises et de l’État à l’image de la loi française de 1905.

C’est d’autant plus intéressant de rappeler le contenu de ce décret, que Staline le remettra en cause et, que Poutine a redonné à l’Église orthodoxe la place que lui avait ôtée la révolution d’octobre.

Signalons que dans la foulée de la révolution de 1917, seront également promulgués les décrets instituant le droit au divorce, retirant à l’Église le contrôle de l’état civil, instaurant le statut d’objecteur de conscience…  

Décret sur la liberté de conscience et les associations ecclésiastiques et religieuses
 Pour tout citoyen soviétique, la religion est affaire privée

1. L’Église est séparée de l’État.
2. Il est interdit sur le territoire de la République d’adopter des lois ou décrets locaux qui porteraient atteinte à la liberté de conscience ou la limiteraient, ou
établiraient quelque avantage ou privilège que ce soit sur la base de la confession professée par les citoyens.
3. Tout citoyen peut professer n’importe quelle religion ou n’en professer aucune. Toutes les limitations de droits liées au fait de professer quelque foi que ce soit ou de ne pas en professer sont abolies.
Toute mention d’appartenance religieuse doit être supprimée des passeports et de tous les documents officiels, quelle qu’en soit la nature.
4. L’activité des organes d’État ou autres organes officiels ne s’accompagne d’aucune manifestation ou cérémonie religieuse.
5. Le libre exercice des manifestations religieuses est assuré dans la mesure où elles ne troublent pas l’ordre public et ne portent pas atteinte aux droits des citoyens et de la République soviétique.
Dans ce cas, les autorités locales ont le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’ordre public et la sécurité.
6. Personne ne peut se soustraire à l’accomplissement de ses obligations civiles en arguant de ses convictions religieuses. Il est licite, sur décision du tribunal populaire dans chaque cas particulier, de libérer un citoyen d’une obligation donnée à condition de la remplacer par une autre.
7. Le serment, civil ou militaire, de nature religieuse est supprimé. En cas de nécessité, il est remplacé par un engagement solennel.
8. Les actes d’état civil sont effectués exclusivement par les autorités civiles, dans les bureaux d’enregistrement des mariages, des naissances et des décès.
9. L’École est séparée de l’Église. L’enseignement des dogmes religieux n’est pas admis dans les établissements d’enseignement général, qu’ils soient assurés par l’État, par collectivité ou privés. Les citoyens peuvent enseigner ou étudier la religion de façon privée.
10. Toutes les associations ecclésiastiques et religieuses sont soumises aux règles communes régissant les associations et unions privées, et ne bénéficient d’aucun privilège ni d’aucune subvention que ce soit de l’État ou de ses institutions locales autonomes ou autogérées.
11. La collecte forcée de droits ou de taxes au compte d’associations ecclésiastiques et religieuses n’est pas autorisée, de même que des mesures de coercition ou de punition à l’égard de leurs membres.
12. Les associations ecclésiastiques ou religieuses n’ont pas le droit de propriété. Elles n’ont pas la personnalité juridique.
13. Tous les biens des associations ecclésiastiques et religieuses qui existent en Russie sont déclarés biens du peuple. Le mode d’enregistrement, de garde et d’utilisation des bâtiments ou objets destinés expressément au culte est défini par un décret des autorités étatiques centrales ou locales.

L’usage, à titre gratuit, des bâtiments ou objets destinés expressément au culte est, sur décret spécial des autorités étatiques centrales ou locales, concédé aux associations religieuses concernées. (1)

Le président du Conseil des commissaires du peuple, V. Oulianov.
N. Podvoïsky. V. Algassov. V. Trutovski.
A. Chlikhter. P. Prochian. V. Menjinski.
A. Chliapnikov. G. Petrovski.
Le chef du service administratif gouvernemental, Vlad. Bontch-Brouievitch.
Le secrétaire du Conseil des commissaires du peuple, N. Gorbunov.
Petrograd, 20 janvier 1918

(1) Amendement écrit par V. I. Lénine sur une feuille séparée, avec la mention : “fin du § 13”.