Migrations – le bilan Réflexions citoyennes & perspectives politiques


Nous diffusons volontiers la  carte blanche  dénonçant la politique migratoire de l’Union Européenne (U.E.). Cependant, le CLP-KVD ne souscrit pas à l’encyclique « Fratelli tutti », mentionnée dans le texte, qui n’est qu’une reformulation habile de la Doctrine Sociale de l’Église du dénommé François, propagandiste en chef de l’obscurantisme.
Cette réserve faite, il est clair que la politique migratoire de l’UE doit être dénoncée et arrêtée. Cette politique confine à un quasi-génocide quotidien, couvert par des discours lénifiants, comme c’est souvent le cas avec l’U.E.
En conséquence, celles et ceux qui le souhaitent trouveront ici le lien permettant d’apposer votre signature à cette pétition.

« 2020 aura été synonyme de crise sanitaire ; les vagues — et le mot est délibérément choisi — provoquées par cette crise auront pour beaucoup d’entre nous, Européen.ne.s, évacué un autre drame. Les chiffres viennent de tomber : 2200 personnes sont mortes en essayant de rejoindre une des portes d’entrée maritimes de l’Europe. Ce seuil tant espéré, ces personnes ne le franchiront jamais. À l’échelle du monde, le bilan s’élève à 3174 individus. Loin d’être une fatalité, ces décès sont le résultat de politiques migratoires sciemment votées sous le prétexte de protéger des frontières. Des alternatives existent pourtant : le secteur associatif et humanitaire porte des projets et des missions considérables. Il démontre de manière statistique, concrète et souvent pérenne que l’accueil est tout à fait possible sur les plans financier, logistique, professionnel ou éducatif alors que les gouvernements continuent de prétendre que ce n’est pas le cas.

Les lignes qui suivent proposent une rétrospective non exhaustive de l’année 2020 concernant les questions migratoires. Elles visent à attirer l’attention de chacun et chacune sur les enjeux dans l’espoir que plus aucune vie ne soit sacrifiée sur les chemins de la migration.

La politique adoptée

La politique adoptée est assez claire : il s’agit de refouler coûte que coûte toute personne qui ne représente aucun intérêt pour les États européens. Pour mettre en place cette politique et pour garder les frontières1, des sommes considérables sont investies2. C’est l’agence Frontex qui est mandatée pour assurer cette mission. D’année en année, le budget qui lui est alloué et ses prérogatives augmentent : depuis ce 1er janvier, les agents sur le terrain peuvent dorénavant être armés3. Frontex est liée par contrat à l’Union européenne. Or, il apparaît que ce contrat est flou. Quelles sont les directives européennes exactes ? Qui gère ce contrat ? Si c’est une agence indépendante, qui en est l’organisme contrôleur ? Dans le cas où les agents de Frontex violent les lois européennes, qui est chargé de dresser des PV, d’émettre et d’appliquer des sanctions ? Nous avons toutes et tous eu vent d’histoires terribles de naufrages trop rarement relayées dans les médias que bon nombre de citoyen.nes et d’associations relatent pourtant avec fermeté et de façon répétée : leurs protestations rencontreront-elles enfin un écho politique ? Quelle caution apportent les responsables de gouvernement à ces faits ?

En Belgique également, cette politique basée sur la détention en centre fermé et sur le retour revient très cher à l’État. Lorsqu’on analyse les chiffres, on découvre que le coût du retour pour une personne est passé de 12.457 euros en 2014 à 14.267 euros en 2018. Cela représentait pour 2017 une augmentation de 35% (soit 85 millions d’euros). En ce qui concerne le coût quotidien de la détention d’une personne en centre fermé, il est en augmentation constante pour atteindre le montant de quelque 202 euros par jour en 2020.

Dans le même temps, la Belgique place les demandeurs et demandeuses d’asile face à des procédures qui peuvent s’étendre sur des mois, voire des années, période durant laquelle ces personnes ne peuvent réaliser pleinement leur installation. Celles qui sont déboutées et se retrouvent sans papiers sont exposées à des abus, des dangers et des violations graves de leurs droits humains. Exclues des fonctionnements élémentaires de la société, elles ne peuvent prétendre par exemple à s’inscrire à des formations, ou ne disposent pas des droits nécessaires pour se défendre face à leurs employeurs.euses. L’art. 13.4 de la directive sanctions rendant efficace le mécanisme de sanction des patrons abuseurs n’ayant pas été transposé, les travailleurs.ses sans papiers ne bénéficient d’aucune protection (titre de séjour) durant la procédure : ils sont rendus corvéables à merci par les failles de la législation rendant caduc le principe supérieur de la Victime4.

Comme si cela ne suffisait pas, les gouvernements vont jusqu’à criminaliser les demandeurs et demandeuses d’asile en leur conférant un statut d’illégalité. Ils et elles se retrouvent accusé.e.s de surcroît de vouloir faire du “shopping social”. Le réseau humanitaire est également visé : les citoyens et citoyennes qui se mobilisent pour apporter assistance à ces personnes en danger — on peut citer Cédric Herrou — , les hébergeuses et hébergeurs, les associations qui distribuent des colis alimentaires, les voyageur.ses qui se lèvent dans les avions pour protester contre des expulsions ou encore les sauveteurs et sauveteuses (nul ne peut oublier Carola Rackete ou Pia Klemp) ont été accusé.e.s de trafic d’êtres humains ou d’entrave à la loi.

Ces dérives sont soutenues par une partie de l’opinion publique, mue par la peur d’une hypothétique invasion. Des personnalités politiques siégeant tant au niveau national qu’international invoquent des valeurs européennes à protéger. S’il s’agit de valeurs chrétiennes, il n’est pas inutile de citer la dernière encyclique du Pape (octobre 2020), enjoignant les décideurs et décideuses politiques à prôner l’accueil de toutes et tous5. Peut-être ces personnalités se réfèrent-elles à la charte européenne6 ? Si les conventions signées communément représentent effectivement les valeurs de l’Europe, nous pouvons dès lors affirmer que les instances européennes elles-mêmes bafouent les leurs propres (cfr articles 13 et 14 de la Convention de Genève).

Quels sont les devoirs et responsabilités de l’Europe en matière de migration ?

Conformément à la Convention de Genève, l’UE a des devoirs et des responsabilités clairs quant à la gestion de la demande de protection internationale : organiser et garantir l’accès aux procédures, informer correctement les demandeurs et demandeuses de leurs droits, permettre leur arrivée et leur accueil dans des conditions dignes. Or, comme en témoignent de nombreuses associations et ONG, ou encore les faits constatés auprès des migrants, demander l’asile quel que soit le pays est un parcours de combattant.e.s : les États se rejettent la responsabilité et offrent rarement l’accueil minimal humain auquel chaque arrivant.e a droit légalement.

Un bilan lourd et coûteux

Pour illustrer ces propos, de nombreux constats peuvent être mis en lumière. En effet, les voies légales d’accès étant bloquées, les personnes en exil sont contraintes d’emprunter des chemins clandestins sur lesquels les risques de trouver la mort, l’emprisonnement et la confrontation à d’autres périls sont permanents.

De par l’Europe tout d’abord, des milliers de personnes sont retenues dans des camps de détention, contraintes de vivre dans des conditions insalubres et indignes : peu ou pas d’accès à l’eau potable, manque de soins, exposition à des intempéries et à une météo peu clémente, surpopulation (le camp de Moria en Grèce, d’une capacité de 3000 personnes, en comptait 12 000 au moment d’un violent incendie en septembre 2020), etc. Les enfants y sont rarement scolarisés, les mineurs étrangers non accompagnés ne sont bien souvent pas pris en charge et les chances de voir leur dossier traité en tant que mineur diminuent à mesure que le temps passe. De nombreux humanitaires ont également observé et rapporté l’état psychologique dramatique des populations en camp, et tout particulièrement des enfants dont certains vont jusqu’à évoquer le suicide. Enfin, dans le cadre de la crise du coronavirus, la situation sanitaire s’est considérablement dégradée : peu de possibilités de respecter les consignes de distanciation dans des camps surpeuplés, peu d’accès à l’hygiène de base indispensable, camps totalement fermés au mépris du danger encouru par les personnes concernées.7

Des embarcations de fortune en détresse sont refoulées ou abandonnées en mer sans vergogne. La plupart des navires affrétés par les organisations humanitaires sont retenus à terre sous divers prétextes, et lorsqu’ils peuvent naviguer et effectuer leurs missions de sauvetage, débarquer les personnes secourues et les mettre en lieu sûr devient alors une gageure, les ports européens se rejetant la responsabilité. Pendant ce temps, Frontex négocie avec la Libye, connaissant pertinemment les risques de torture, de détention et d’esclavage que cela comporte. De plus en plus régulièrement, les cas de pushback (refoulement), pourtant interdits par les conventions européennes, se multiplient en Méditerranée, qu’ils soient le fait des agents de Frontex ou des garde-côtes d’un État européen.

Ensuite, en Belgique, comme cela a été évoqué, faire une demande de protection internationale s’avère un défi extraordinaire. En outre, dès le début de la pandémie, les demandeurs.euses d’asile se sont retrouvé.es face à de nouveaux obstacles : bureaux de l’Office des Étrangers et du CGRA fermés durant des mois, empêchant le dépôt de nouvelles demandes ; rendez-vous reportés des mois plus tard, procédures en ligne souvent inaccessibles ; surpopulation dans les centres fermés et les centres d’accueil, accès aux soins compliqué, arrêt de presque toutes possibilités de formation ou de cours de langue ; enfin, expulsions et ordres de quitter le territoire ont continué d’être délivrés malgré le contexte pandémique et l’interdiction de voyager. Pour les personnes sans papiers, la situation sanitaire a aggravé leurs difficultés : pas d’accès au chômage puisque travaillant sans contrats, pas de possibilité de soins, alors même que ces personnes occupent le plus souvent des emplois essentiels.

Pourquoi L’Europe continue-t-elle de pratiquer cette politique mortifère ?

Cette politique restrictive prend certes appui sur une partie de l’opinion publique, et les inquiétudes de celle-ci. Une raison souvent évoquée est le flux migratoire constant. Mais si l’on prend en compte les entrées et les sorties du territoire, on réalise rapidement que les chiffres sont loin d’être aussi importants qu’on l’imagine parfois. En toute objectivité, à l’aune de la population globale, l’apport annuel est infime.

Une autre crainte demeure : celle du terrorisme. Les attentats qui ont ébranlé l’Europe ont marqué la population. Cependant, force est de constater que la toute grande majorité de ces attentats n’ont pas été perpétrés par des ressortissants hors UE, mais bien par des personnes nées et ayant grandi en Europe. On peut corollairement s’interroger quant au rôle de la politique mise en place : elle génère davantage de ressentiments et de nouvelles vocations qui aboutissent parfois au terrorisme.

En revanche, des exemples de personnes en situation d’exil qui se sont démarquées par leurs actions citoyennes, leur réussite professionnelle, leurs projets créatifs et solidaires sont courants. L’exemple ultime réside sans doute dans ces chercheurs arrivés enfants en Allemagne et qui ont contribué de façon très significative à la mise au point des vaccins contre la Covid8.

Dès lors, si l’inquiétude du contribuable par rapport au coût d’une politique d’accueil éthique est légitime, on peut cependant attirer l’attention sur le fait que, comme le démontrent nombre d’études, le bénéfice humain est incalculable sous tout rapport.

La migration, un apport réel pour les sociétés accueillantes9

Si on se focalise un instant sur notre pays, le dernier rapport de la Banque Nationale concernant l’année 202010 est éloquent : les personnes migrantes, présentes sur le territoire depuis maximum 5 ans ont participé à la production des richesses en Belgique à hauteur de 15 milliards d’euros, sans compter le travail au noir des 100 000 sans papiers vivant en Belgique, forcé.e.s d’accepter tout contrat informel pour survivre, au prix de leur vie. Pour rappel, si le travail de 100 000 sans papiers était légalisé, 65 millions d’euros nets par mois seraient versés annuellement dans les caisses de la Sécurité sociale.

Le partage d’une humanité commune devrait être à la base d’une politique de l’asile et de la migration bien pensée. Nous attendons dès lors des personnalités en charge de cette politique qu’elles apportent leur soutien de manière concertée et participative et qu’elles sensibilisent nos concitoyennes et concitoyens à cette communauté de destin, plutôt que de nourrir la méfiance et la peur.

À partir de là, il semble évident que la prise en charge de l’accueil doit être répartie sur le territoire national, en tenant compte des réalités institutionnelles de notre pays et en évitant de transbahuter des familles avec enfants d’une région à l’autre, les obligeant ainsi chaque fois à une complète réadaptation (langue, environnement, tissu social …). Le nombre des ILA (initiatives locales d’accueil) gérées par les communes et les provinces a été réduit sous les législatures précédentes. Il convient d’amorcer un mouvement inverse, que ce soit en ville (où le logement coûte cher) ou en zone rurale, où la présence de familles en demande d’asile peut permettre le maintien d’écoles locales et une réanimation de certains villages aux populations vieillissantes. Par contre, les facilités de transport dans ces zones sont plus rares. La mise en place de politiques de transport améliorées pourrait dès lors bénéficier à tous.

Où qu’il se fasse, dans tous les cas, il convient d’expliciter le projet d’accueil aux populations locales, de s’appuyer sur les initiatives citoyennes existantes et sur les associations de terrain tout en invitant les personnes plus réticentes à s’engager progressivement et dans la mesure de leurs possibilités. Une dynamique vertueuse peut ainsi se mettre en place. Les personnes exilées sont reconnues dans leur humanité. Elles ont un nom, un prénom. Leur histoire, émaillée d’obstacles surmontés avec courage et ténacité, prouve — si besoin en est — leur résilience et leurs forces vives. Elles ont bien souvent des compétences qu’elles souhaitent exercer ou le désir d’en acquérir pour participer activement à un tissu social commun : les y aider évitera de les laisser dans une inactivité susceptible de mettre à mal leur potentiel. Si nous choisissons, toujours plus nombreux, de les accueillir, leur volonté associée à la nôtre permettra sans conteste une inscription véritable dans un paysage sociétal que nous partagerions désormais.

En tant que citoyens et citoyennes soucieux et soucieuses de voir s’organiser une politique éthique en matière de migration, nous formulons l’espoir et la demande explicite que chaque humain soit considéré en tant que tel ; qu’il trouve sa place dans une société qui offre des perspectives d’un avenir commun, avec la solidarité comme valeur incontournable et fondatrice. Comme Levinas l’écrivit dans Éthique et infini : “plutôt que le dévisager, envisager l’autre11”. »

RÉDACTRICES/RÉDACTEURS – CONTRIBUTRICES/CONTRIBUTEURS

Martine Demillequand, enseignante, UCLouvain

Alec Devries, philosophe

Béatrice Dispaux, Instructrice de pleine conscience, tutrice MENA et bénévole de la Plateforme Citoyenne de soutien aux réfugié.e.s

Nadia Echadi, enseignante, coordinatrice asbl Maxi-Liens

Marianne Stasse, accompagnatrice d’exilé.es

Vincent Yzerbyt, Professeur de psychologie sociale, UCLouvain

___________________________________________________________________________

1https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/06/18/20002-20150618ARTFIG00162-l-europe-a-depense 13-milliards-en-15-ans-pour-lutter-contre-l-immigration.php
2 Notons qu’il s’agit bien de l’argent des contribuables européens qui est utilisé pour “protéger” les frontières.
3https://www.infomigrants.net/fr/post/29431/frontieres-de-l-ue-les-premiers-garde-cotes-europeens armes-deployes
4 https://www.lalibre.be/debats/opinions/pourquoi-les-declarations-du-nouveau-gouvernement-sur-la politique-du-retour-et-la-detention-en-centre-ferme-des-personnes-en-situation-irreguliere-nous inquietent 5f7f2eae9978e2192d34f4b6?fbclid=IwAR0rUbnYYiLvWxNQE8E0d1iVEEGsJVZWCYpi6b6f7BD263t7 p_rPuBKmsDA
5 https://eglise.catholique.fr/vatican/encycliques/lencyclique-fratelli-tutti/
6 https://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf
7 https://www.msf-azg.be/fr/news/d%C3%A9pressions-automutilations-et-m%C3%AAme tentatives-de-suicide-chez-les-enfants-dans-les-camps-des
8 https://www.lecho.be/entreprises/pharma-biotechnologie/le-couple-germano-turc-en-tete-de-la course-contre-le-covid/10265259.html
9 http://www.economiesolidaire.com/2015/03/09/avantages-et-inconvenients-de-limmigration/ 10 https://www.nbb.be/fr/articles/limpact-economique-de-limmigration-en-belgique-
11 Emmanuel Levinas, Ethique et infini, Fayard, Paris, 1984.