Positive, ouverte, inclusive…


Peut-on adjectiver la laïcité ?
Martine Cerf et Catherine Kintzler

Plusieurs qualificatifs ont été accolés au mot laïcité, ce qui modifie et dénature intentionnellement ou non le concept.

Laïcité positive

La simple juxtaposition des mots « laïcité » et « positive » en termes d’injonction se présente comme une thèse à contrario : en demandant à la laïcité de devenir « positive », on suggère qu’elle serait « négative » !

Si l’on entend par là une quantité de contenu au sens doctrinal, effectivement, il n’y a rien de plus minimal que la laïcité. Elle n’est pas une doctrine, puisqu’elle dit que la puissance publique n’a rien à dire s’agissant du domaine de la croyance et de l’incroyance, et que c’est précisément cette abstention qui assure la liberté de croire et de ne pas croire dans la société civile. Ce n’est pas non plus un courant de pensée au sens habituel du terme : on n’est pas laïque comme on est catholique, musulman, stoïcien, bouddhiste… Au contraire, on peut être à la fois laïque et catholique, laïque et musulman, etc. La laïcité n’est pas une doctrine, mais un principe politique visant à organiser le plus largement possible la coexistence des libertés.

Cependant, confondre minimalisme et négativité, est une erreur dans la mesure où la notion de négativité suppose une forme de restriction des droits ou d’obstacle aux droits, alors que le minimalisme se caractérise au contraire par une extension des droits. On doit à l’inverse lier le minimalisme à un acte de position des droits.

La laïcité pose la liberté, précisément par son minimalisme qui devient producteur, du point de vue du droit positif, de libertés concrètes.

C’est en effet protégées par une puissance publique, qui s’abstient de toute inclination et de toute aversion en matière de croyances et d’incroyances, que les religions, comme d’autres courants de pensée, peuvent se déployer librement, à l’abri d’un État qui professerait une croyance officielle et à l’abri des autres courants de pensée. En s’interdisant toute faveur et toute persécution envers une croyance ou une incroyance, la puissance publique laïque les protège toutes, pourvu qu’elles consentent à respecter la loi commune.

 Il n’y a rien de plus positif que la laïcité. Elle pose bien plus de libertés politiques et juridiques que ne l’a jamais fait aucune religion. […] Quelle religion a institutionnalisé la liberté de croyance et d’incroyance ? Laquelle a seulement accepté, de son plein gré, le droit des femmes à disposer de leur corps, à échapper aux maternités non souhaitées ? Laquelle serait prête à reconnaître celui des homosexuels à vivre tranquillement leur sexualité et à se marier ? Laquelle reconnaît de son plein gré la liberté de prononcer des propos qui a ses yeux sont blasphématoires ? Aucune de ces libertés positives n’a été produite par une religion, directement, en vertu de sa propre force, de sa propre doctrine et par sa propre volonté : toutes ont été concédées sous la pression de combats et d’arguments extérieurs. […]

La laïcité n’a donc pas à devenir positive : elle l’a toujours été. […] Pour que l’association laïque puisse organiser la coexistence des libertés et par conséquent assurer la liberté religieuse, il est nécessaire que les religions s’ouvrent au droit positif profane et le respectent, en renonçant à toute tentation hégémonique.

Il convient donc d’inverser l’injonction : c’est la laïcité qui demande aux religions de devenir positives et de renoncer à l’exclusivité tant intellectuelle que politique et juridique. […]

Laïcité ouverte

Les défenseurs de la laïcité ouverte demandent que soient reconnus les religions et leur rôle dans la société. […] Ces opposants à la laïcité lui reprochent d’être « fermée ». Comme le dit le philosophe Henri Pena-Ruiz : « la notion de laïcité ouverte est maniée par ceux qui en réalité contestent la vraie laïcité, mais n’osent pas s’opposer franchement aux valeurs qui la définissent ».

L’économiste québécois Louis Gill dénonce également cette manipulation sémantique : « la laïcité dite ouverte se révèle par contre comme une négation de la laïcité puisqu’elle permet toute forme d’accommodement des institutions publiques aux privilèges réclamés par telle ou telle religion ». […]

Quels que soient les qualificatifs accolés au mot laïcité et ils sont nombreux (Jean Baubérot parle d’inclusive, ce qui laisse croire que la laïcité pourrait exclure), on voit bien qu’ils déforment la réalité.

Dictionnaire de la laïcité, Sous la direction de Martine Cerf et Marc Horwitz, Armand Colin Éditeur, extraits tirés des pages 19 à 21