Interview de Henry Pena-Ruiz: Spécialiste de la laïcité


Est-il encore nécessaire de présenter Henri Pena-Ruiz, spécialiste et militant infatigable de la laïcité?  Nous reproduisons ci-dessous la transcription d’une interview d’Henry Pena-Ruiz effectuée par la Libre Pensée de France et diffusée sur les ondes de France Culture:  http://www.fnlp.fr/IMG/mp3/France_culture_11Nov07_MP3.mp3. Le CLP-KVD vous invite à lire également son article du 1er décembre 2014: « Laïcité: Lettre ouverte aux élus »,  disponible sur notre site ainsi que celui de Mediapart: http://blogs.mediapart.fr/blog/henri-pena-ruiz/011214/laicite-lettre-ouverte-aux-elus

La Libre Pensée reçoit Henri Pena-Ruiz, spécialiste de la laïcité

http://www.fnlp.fr/spip.php?article102

Jeudi 15 novembre 2007

1- Lors des dernières élections, presque tous les candidats de diverses sensibilités politiques se sont déclarés, les uns et les autres, profondément attachés à la laïcité. Mais tous n’attribuaient pas au mot laïcité nécessairement le même contenu. Dans un souci de clarté, Henri Pena-Ruiz, pouvez-vous revenir sur les principes fondateurs de la laïcité ?

« Je crois que c’est très simple. C’est un principe très positif que celui de la laïcité, car il consiste à mettre en avant ce qui est commun à tous les hommes. Or la religion ou l’humanisme athée sont deux options spirituelles distinctes qui sont communes à certains hommes. Le souci d’universalité de la laïcité consiste à dire que la religion ne doit engager que les croyants ; l’humanisme athée ne doit engager que les humanistes athées. Sur cette base là, trois principes fondamentaux doivent régir l’État en tant que puissance publique commune à tous. Premier principe : liberté de conscience ; deuxième principe : égalité de droit de tous les êtres humains quelles que soient leurs options spirituelles ; qu’ils soient croyants, athées ou agnostiques, les hommes doivent être traités de la même façon par la puissance publique, ce qui évidemment interdit tout privilège public donné aux religion, comme cela interdit également tout privilège public qui pourrait être donné à l’humanisme athée ou à l’humanisme agnostique. Enfin le troisième principe est, je crois, évident : c’est celui selon lequel l’action de la puissance publique doit être exclusivement consacrée à ce qui est d’intérêt commun à tous les hommes, disons le principe d’universalité. Donc, liberté de conscience, égalité de traitement de toutes les options spirituelles et universalité de l’action publique sont les trois principes intangibles de la laïcité ».

2- Ce qui juridiquement, s’est exprimé dans la loi de séparation de 1905, dont, l’article 2, on ne le rappellera jamais assez, stipule : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». On va cependant assister à des tentatives de brouillage conceptuel , de la part y compris de ceux qui se réclament de la laïcité, en introduisant insidieusement dans le vocabulaire des expressions telles que laïcité ouverte ; laïcité plurielle ; en opposant une laïcité d’apaisement à une soi-disant laïcité de combat. Toutes ces expressions sont-elles conceptuellement cohérentes, et ont-elles juridiquement un sens ?

« Je me méfie beaucoup des gens qui éprouvent le besoin d’ajouter un adjectif au mot « laïcité ». C’est comme si on ajoutait un adjectif à « droits de l’Homme » ou à « justice ». Est-ce qu’on milite pour une « justice ouverte » ou pour une « justice fermée » ; pour des droits de l’Homme « ouverts » ou pour des droits de l’Homme « fermés » ?C’est absurde. Ceux qui disent qu’ils sont pour une laïcité « ouverte » sont des anti-laïques puisqu’ils suggèrent ainsi que la laïcité sans adjectif serait une laïcité « fermée ». Donc, il faut revenir à l’essentiel. Il faut militer pour une laïcité qui soit sans adjectif, ni ouverte ni fermée. La laïcité n’a pas à s’ouvrir parce que cela supposerait qu’elle est fermée. En revanche, ce qu’il faut remarquer, c’est que ceux qui militent pour une prétendue laïcité « ouverte » sont des adversaires de la laïcité qui appellent « ouverture » la restauration de privilèges publics pour les religions. Par exemple quand on dit qu’il faut des accommodements raisonnables au principe de laïcité, comme le suggère Jean Baubérot, et qu’il appelle « accommodement raisonnable » le fait que l’on finance sur des fonds publics des écoles privées religieuses ou autres, il s’agit tout simplement d’une mise en cause du principe de laïcité qui veut que l’argent public ait pour seule finalité l’intérêt commun à tous, c’est-à-dire le bien public ».

3- Un autre problème que j’aimerais aborder avec vous, Henri Pena-Ruiz, c’est la confusion entre la laïcité et lutte anti-religieuse. Pouvez-vous revenir sur cette distinction fondamentale ?

« En fait, un certain nombre d’adversaires de la laïcité, veulent, pour pouvoir mieux la condamner, lui attribuer ce qui n’est pas en elle. Notamment, ils attribuent à la laïcité, une hostilité à la religion. Or, c’est un contresens total. La laïcité ne consiste pas à combattre la religion, mais à rappeler, comme je le disais tout à l’heure, que la religion ne doit engager que ceux qui croient. Donc, demander à la religion de se tenir dans la sphère privée individuelle ou collective, ce n’est pas faire preuve d’hostilité à la religion c’est simplement rappeler que la religion n’engageant que ceux qui croient, ne doit pas être une référence publique imposée à tous. Si la laïcité n’est pas hostile à la religion, en revanche, elle est hostile aux privilèges publics qu’on accorderait indûment à la religion. Il faut mettre un terme à toutes ces polémiques de plus ou moins mauvaise foi. La laïcité n’est pas non plus l’anticléricalisme ; mais tout dépend de ce qu’on entend par « anticléricalisme ». Si par cléricalisme, on entend activité du clerc ou des clergés dans les limites de leur communauté religieuse, cette activité ne dérange personne. En revanche, quand les clergés débordent les limites de leur communauté religieuse, et prétendent dicter la loi commune à tous, empêcher ici l’interruption volontaire de grossesse, ou empêcher là que soit mise en place une réflexion sur l’euthanasie au nom d’une vision du monde qui leur est particulière, à ce moment là cela veut dire qu’il y a cléricalisme sur la chose publique, et ce cléricalisme-là, on ne peut que le combattre puisqu’il prétend annexer la chose publique à une croyance privée particulière qui n’engage que les croyants ».

4- Une autre confusion est savamment entretenue par les forces anti-laïques qui nous expliquent que, puisque la loi de 1905 traite de la religion, et qu’ « elle garantit le libre exercice des cultes (…) » dans son article 1, elle n’interdirait donc pas le financement d’édifices religieux. De plus en plus de municipalités cèdent ainsi des terrains municipaux sous forme de baux emphytéotique pour la construction d’une synagogue et d’une mosquée. Précisons, pour éviter tout faux procès, que les libres penseurs ne sont pas contre la construction d’édifices religieux, mosquées, églises, temples et synagogues ; mais contre leur financement par des fonds publics. Ces financements sont d’ailleurs totalement contraires à l’article 2 de la loi de 1905 ! Qu’en pensez-vous ?

« La loi de 1905 est très claire. Elle stipule que le patrimoine des églises qui est légué par l’histoire, environ 35 000 ou 38 000 églises et cathédrales construites avant 1905, et qui appartient à l’État depuis la Révolution française, continuera à être entretenu en tant que patrimoine artistique et national, mais que cet entretien n’incombera pas à l’État lorsqu’il s’agira d’édifices postérieurs à 1905, car aucune loi n’est rétroactive. Les édifices religieux construits après le 9 décembre 1905, plus exactement à partir du 1er janvier 1906 (date d’effet de la loi) étant propriété privée des autorités religieuses, devront être entretenus par elles. La règle est absolument claire. Le fait qu’on entretienne un patrimoine historique ne signifie pas qu’on ait à financer de nouveaux édifices religieux. Ceux qui prétendent le contraire sont de mauvaise foi. Il y a eu pour le législateur, pour Aristide Briand et Jean Jaurès, à régler deux problèmes distincts : le problème de savoir ce qu’on faisait du patrimoine, et le problème de savoir qu’elle allait être la nouvelle norme. Or, comme vous l’avez très bien rappelé, la nouvelle norme est dite sans ambiguïté par l’article 2 : « L’État ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». On ne peut pas assimiler à une subvention, l’entretien d’un patrimoine architectural légué par l’histoire. Ceux qui font une telle assimilation sont de mauvaise foi.

5- Il faut aussi remarquer qu’un certain nombre de lois antilaïques existent encore. Citons :  la loi de Pétain du 25 décembre 1942, jamais abrogée même à la Libération, qui a rendu aux associations cultuelles et aux congrégations le privilège de bénéficier de donations et de legs testamentaires tout en étant exonérés d’impôts. – les lois Debré, Guermeur, Lang-Cloupet etc…grâce auxquelles les écoles privées catholiques reçoivent plus de 9 milliards de fonds publics (budget de 200 000 postes volé à l’éducation nationale !)  le statut concordataire d’Alsace-Moselle et des TOM représente une dépense indue de 72 millions d’euros ;  l’article 89 de la loi du 13 août 2004 confirmé par une circulaire du ministère de l’intérieur du 8 août dernier, qui reprend les mêmes termes que la loi initiale, fait donc obligation aux communes de financer les écoles privées hors de leur territoire… 60 millions d’euro supplémentaires viendront ainsi s’ajouter aux 425 millions déjà versés par les communes aux établissements privés sous contrat On peut se demander ce qui reste, en France, dans les faits de la laïcité institutionnelle. Il existe donc tout un arsenal juridique qui détourne la loi. Suite à la situation politique issue du 6 mai dernier, il est à craindre que vont s’ajouter à cet arsenal, d’autres mesures Quelles sont, selon vous, les menaces immédiates concernant la remise en cause de la laïcité institutionnelle ?

« Lorsque M. Sarkozy était ministre de l’intérieur, il a mis sur pied une commission, la commission Machelond, qui a remis un rapport qui propose une révision de la loi de 1905. Ce rapport, à mots couverts, prétend qu’il ne remet pas en question la laïcité. Je considère, au contraire, que c’est extrêmement grave. Même si pudiquement, ou hypocritement, on parle de toilettage ou de petits ajustements, en réalité, si jamais on révise notamment l’article 2, en réintroduisant l’idée qu’il pourrait y avoir un financement public plus ou moins indirect des associations cultuelles, en brouillant la frontière pourtant claire entre associations culturelles et associations cultuelles, je n’appelle pas ça un toilettage, mais une destruction de la loi de 1905. Évidemment, cela est toujours fait pour de très beaux prétextes, de mettre au même niveau toutes les religions, par exemple de permettre aux musulmans qui avaient très peu de mosquées à l’époque de bénéficier d’un patrimoine architectural dont seuls les catholiques bénéficient… On met toujours en avant un joli prétexte d’égalité ; simplement, je ferai remarquer une chose : en République, l’égalité doit s’entendre de toutes les options spirituelles. Si jamais on dit qu’il faut permettre aux musulmans de financer des mosquées sur fonds publics, évidemment toutes les autres religions vont demander le même financement, car en République aucune loi n’est sélective. On pourrait dire chiche ; et pourquoi pas la Libre Pensée ne pourrait-elle pas demander le financement, sur fonds publics, de maisons du peuple où en enseignerait l’humanisme ; les francs-maçons le financement de temples maçonniques…Or je crois qu’il ne faut pas rentrer dans cette logique, car c’est une logique de communautarisation de l’argent public. L’argent public doit rester intégralement dévolu à ce qui est d’intérêt commun. Aujourd’hui, c’est très important de le rappeler. En effet j’ai entendu dire qu’on allait demander aux patients une franchise pour financer la recherche sur la maladie d’ Alzheimer. Il est absolument scandaleux d’imaginer que l’État n’ait plus assez d’argent pour financer une recherche médicale d’intérêt commun, alors qu’il se découvrirait assez riche pour financer la religion qui n’engage que les croyants ! Je trouve qu’il y a là quelque chose qui est littéralement antirépublicain, puisque l’État se replie de ses missions sociales traditionnelles, notamment financer la meilleure santé pour tous, il se réinvestirait dans un subventionnement public de la croyance religieuse. Il faut alerter les citoyens, leur demander s’ils ne trouvent pas absolument scandaleux que ce qui est d’intérêt commun soit délaissé alors que ce qui est d’intérêt particulier serait promu ».

6- Concernant le domaine de l’École, dans la continuité du rapport Debray, se met progressivement en place un enseignement dit « du fait religieux ». Qu’en pensez-vous ?

« Je crois qu’il ne faut pas faire de mauvais procès aux instituteurs et aux professeurs de la IIIème ou de la IVème République. Ils n’ont jamais été incompétents et ne se sont jamais déclarés incompétents, comme l’insinue Régis Debray, avec sa fameuse expression « laïcité d’incompétence ». Il s’agit d’une laïcité authentique, où les professeurs de l’École publique considéraient qu’ils ne devaient pas statuer sur les croyances des uns et des autres, ni en bien ni en mal, mais qu’ils avaient simplement un rôle d’information et d’instruction. Expliquer ce qu’est la doctrine chrétienne du péché originel, ou expliquer ce que furent les massacres de la Saint Barthélémy, cela fait partie tout naturellement de l’enseignement public qui doit avoir une « ouverture grand angle » sur tout ce qui a compté dans l’histoire. En revanche, si sous prétexte de donner à connaître le fait religieux, on admet que soit réintroduit de façon plus ou moins détournée, un enseignement qui privilégierait le religion, par exemple par rapport à l’humanisme athée ou agnostique ; ou qui, sous prétexte de sensibiliser à une exigence de tolérance, donnerait la parole à des représentants religieux à titre de témoins de la société civile, ce serait véritablement une grave mise en cause de la laïcité. Il faudra être très vigilant pour faire en sorte qu’un beau prétexte culturel, ne soit pas transformé en un cheval de Troie pour subvertir la laïcité scolaire ».