La question de la laïcité est devenue centrale dans le débat après les attentats. Mais il y a parfois de la confusion. Quelle définition en donnez-vous ?
La laïcité est une conception du cadre politique de la vie commune, qui se fonde sur trois principes indissociables : la liberté de conscience ; l’égalité des droits de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions spirituelles (athées, croyants ou agnostiques) ; et l’orientation de la puissance publique vers le seul intérêt général commun à tous. Bref, le triptyque qui définit la laïcité (liberté, égalité, universalité) reprend à s’y méprendre le triptyque républicain. La laïcité n’est donc pas antireligieuse, elle ne s’en prend nullement aux religions comme démarches spirituelles.
Mais son affirmation de l’égalité conduit évidemment à rejeter tout privilège public de la religion. L’idéal laïque consiste à ne pas fonder la loi commune sur les religions ou sur la religion particulière d’un groupe. C’est pourquoi, par exemple, le blasphème, qui est une faute au regard d’une religion particulière, ne saurait devenir un délit dans toute la République.
La laïcité est en outre un levier d’intégration, car elle est un idéal universaliste qui ne rejette pas les particularismes mais qui les intègre dans un cadre commun.
Certains estiment que la loi de séparation des églises et de l’État de 1905 est obsolète. D’autres qu’il y a eu trop d’accrocs à cette loi. Faut-il la modifier ou mieux l’expliquer ?
Elle n’est évidemment pas obsolète. Certains disent qu’elle n’a été conçue que pour une religion. C’est historiquement un fait que c’est l’Église catholique qui était la plus crispée sur ses privilèges et il a bien fallu qu’elle en soit dessaisie. Mais la loi relève d’un esprit beaucoup plus général : quelle que soit la religion (l’islam, le judaïsme, le christianisme, etc.), dans la mesure où elle n’engage que ses fidèles, elle ne saurait prétendre imposer à la loi commune une quelconque exigence. La seule exigence que les religions peuvent imposer est le respect de la liberté de conscience, de l’égalité de droits des croyants, des athées et des agnostiques ; et le fait que la puissance publique agit pour tous également.
C’est un noyau de sens qui est celui de la loi du 9 décembre 1905 et qui est parfaitement adapté – peut-être plus encore aujourd’hui – à nos sociétés multiculturelles. C’est parce qu’il y a une grande diversité de traditions, de cultures qui se combinent dans le creuset français que la République française se doit d’être affranchie de tout particularisme.
Car si la République était prisonnière d’un particularisme religieux ou coutumier, elle serait perçue comme partisane et donc rejetée par une partie des citoyens.
Il n’y a donc aucune raison de remettre en cause la loi de 1905. Il faut au contraire l’appliquer de façon plus rigoureuse. Par exemple lorsque des élus, par clientélisme électoral, financent des communautés religieuses avec de l’argent public, c’est du détournement. Car l’argent dont disposent les élus, c’est celui de l’ensemble du peuple parmi lesquels il y a des athées, des agnostiques et des croyants. La provenance est universelle, la redistribution doit donc être universelle.
Najat Vallaud-Belkacem veut renforcer l’enseignement de la laïcité à l’école. La laïcité a-t-elle du mal à s’y exercer ?
La laïcité, me semble-t-il, doit s’affirmer dans la société par le respect des lois communes et dans l’espace scolaire. L’école est un lieu décisif. Parce que dans l’école publique, laïque, républicaine, sont accueillis des enfants de toutes origines. Il est clair que l’exigence la plus salvatrice pour cet accueil, c’est la laïcité. À l’école, on enseigne des connaissances et des principes universels ; on ne fait pas de prosélytisme religieux.
Certains élèves au nom de leur religion ont pourtant refusé la minute de silence…
On a un devoir d’éducation. Si dans une classe de terminale où je cherche à faire respecter une minute de silence en mémoire des victimes de Charlie Hebdo et de l’hypermarché cacher, j’avais des élèves qui me disent «Je suis pas d’accord, ils l’ont bien cherché», j’expliquerai une chose : ils ne l’ont pas cherché, car il n’y a aucune commune mesure entre un dessin satirique et une rafale de kalachnikov. Un dessin c’est une représentation, un tir de kalachnikov c’est un crime. Il est insensé, faux, abject de mettre sur le même plan les deux violences prétendues. Ce qui est respectable c’est la personne humaine comme telle et sa liberté de croire, mais ce n’est pas sa croyance. Sa croyance c’est une chose qu’elle a ; sa personne c’est une chose qu’elle est. On respecte les êtres, mais on n’est pas tenu de respecter pour autant leurs croyances. On pourrait d’ailleurs critiquer le pape François qui, dans l’avion, a osé dire que, finalement, quand on critique une religion, on est un peu comme quelqu’un qui parlerait mal de sa mère, et à qui il donnerait un coup de poing. Il y a là un double amalgame : entre le coup porté à une personne et la remise en question d’une croyance ; et entre une caricature écrite et une insulte personnelle.
Comme le disait Montaigne il ne faut pas confondre la peau et la chemise. La personne est une chose, la conviction qu’elle adopte en est une autre. On appelle fanatisme non pas le fait d’avoir une religion, mais celui de se confondre avec sa religion, d’avoir perdu toute distance à soi.
Une des vertus majeure de la laïcité est d’éduquer les élèves à la distance à soi, une propriété essentielle de la conscience humaine, et qui est source de tolérance.
Henri Peña-Ruiz, philosophe, spécialiste de la laïcité est l’auteur du «Dictionnaire amoureux de la laïcité». Éditions Plon, entre autres publications
Propos recueillis par Philippe Rioux
Article publié le 23 janvier 2015 dans La Dépêche du Midi
Henri Peña-Ruiz : «La laïcité, levier d’intégration et de tolérance»
La laïcité, levier d’intégration et de tolérance.
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