Association Internationale de Libre Pensée (AILP)
Bureau Européen de Coordination de la Libre Pensée
La Libre Pensée reçue à Bruxelles
Contre le délit de blasphème
Le mardi 21 janvier 2014, la Libre Pensée internationale a été reçue par monsieur Jean-Bernard Bolvin, responsable au Service des Actions Extérieurs de l’Union européenne sur la question du délit de blasphème en Europe au nom des 55 associations laïques qui avaient signé une déclaration commune. Cette entrevue a duré près de 2 heures dans une atmosphère courtoise.
La délégation de la Libre Pensée était composée de Marc Blondel (Président de la Libre Pensée française), de Christian Eyschen (Association Internationale de la Libre Pensée), David Gozlan et Michel Godicheau (Bureau Européen de Coordination de la Libre Pensée).
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La Libre Pensée s’est ainsi exprimée :
1°) Le 20 septembre 2012, a été rendue publique une déclaration commune de responsables de l’Union européenne (UE), de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), de la Ligue arabe (LA) et de l’Union africaine (UA).
Celle-ci indiquait : « Nous partageons un profond respect pour toutes les religions. Nous sommes unis dans notre conviction de l’importance fondamentale de la liberté religieuse et de la tolérance. Nous condamnons tout appel à la haine religieuse, qui constitue une incitation à l’hostilité et à la violence. Tout en reconnaissant pleinement la liberté d’expression, nous croyons en l’importance de respecter tous les prophètes, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent »
En clair, l’Union européenne entendait promouvoir la seule liberté religieuse dans laquelle la tolérance était circonscrite, prohibait toute critique des religions et imposait le respect aux « prophètes ». Cette déclaration couvrait du manteau de Noé le délit de blasphème en le justifiant.
La liberté de conscience et la tolérance étaient dès lors proscrites pour tous ceux (agnostiques, athées, libres penseurs) qui ne s’inscrivent pas dans une conception religieuse. Il leur était interdit de critiquer les religions et les « prophètes ». La liberté pour ceux qui croient, mais pas pour ceux qui ne croient pas.
Ceci est parfaitement contraire au principe d’égalité en droit des êtres humains.
2°) En réponse à cela, à l’initiative de la Libre Pensée française, une déclaration de 55 associations laïques en Europe protestait contre cette approbation du délit de blasphème par l’Union européenne.
Cette déclaration indiquait : « Cette position ne peut que faciliter les atteintes à la liberté d’expression et le renforcement de la répression, elle met en danger, et pas seulement en Europe, toutes les législations séculières ou laïques organisant ou protégeant la liberté de conscience, de presse et de création. Elle constitue un danger pour les libertés et la sécurité physique de tout un chacun, car c’est la porte ouverte à un arbitraire total.
Les organisations, soussignées, demandent le retrait de cette déclaration, elles exigent la cessation des poursuites contre toutes les personnes inquiétées au titre du très réactionnaire « délit de blasphème ».
C’est sur la base de ce mandat qu’une délégation de ces associations, de l’Association Internationale de la Libre Pensée et de son Bureau Européenne de Coordination est reçue ce jour à Bruxelles.
3°) Nous avons ensuite pris connaissance de la Déclaration du Conseil de l’Union européenne du 24 juin 2013 sur les orientations de l’UE relatives à la promotion et à la protection de la liberté de religion ou de conviction. Le moins que l’on puisse dire, c’est que par certains côtés, cette déclaration est très éloignée de celle du 20 septembre 2012.
A) Nous voudrions savoir pourquoi sont employés deux termes distincts « religions » et « convictions », alors que la religion est censée être une conviction, voire une obligation de conviction. Est-ce le retour, sous une autre forme, du distinguo contenu dans l’ex-projet du Traité Constitutionnel Européen entre l’Article 37 et l’Article 52 ?
Lors d’une entrevue à la Commission européenne, le 18 mars 2005, le Dr Michael Weninger, conseiller politique du Président Barroso, avait été amené à préciser, au nom de l’Union Européenne à une délégation commune de la Libre Pensée (France) et de la National Secular Society (Grande-Bretagne) : « Un article supplémentaire a été nécessaire pour distinguer les Églises et les religions d’avec les membres de la société civile, car ce n’est pas la même chose. Les religions, c’est la Transcendance, alors que la société civile, c’est l’immanence. Les Églises sont au dessus de la société, elles ne sont pas au même niveau que les autres associations. »
Y-aurait-il deux catégories d’opinion reconnues et hiérarchisées au sein de l’Union européenne ?
B) Les recommandations 20 et 21 du document stipulent :
« 20. Aucun droit exclusif n’est conféré aux tenants d’une religion ou d’une conviction particulière : tous les droits, qu’ils soient relatifs à la liberté de croire ou de manifester sa religion ou sa conviction, sont universels et doivent être respectés sur une base non discriminatoire.
3. Le rôle essentiel des États pour garantir la liberté de religion ou de conviction
21. Les États doivent veiller à ce que leurs systèmes juridiques offrent à tous des garanties appropriées et effectives en matière de liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction, sur l’ensemble de leur territoire, sans exclusion ni discrimination, et à ce que ces dispositions soient correctement appliquées. »
Nous pensons que la survivance des religions installées, officielles, d’État, des concordats avec leurs dispositifs d’impôts d’Église et de délit de blasphème rendent impossible l’application réelle de telles recommandations. Les survivances actuelles de ce droit féodal sont totalement contradictoires avec le respect plein et entier de l’absolue liberté de conscience.
Nous demandons notamment qu’il soit mis fin à toutes les procédures pénales pour délit de blasphème en Europe. Il y actuellement, au moins, une procédure en Alsace-Moselle (France) concernant une pièce de théâtre, une en Grèce concernant Filippos Loizos, un blogueur auteur d’un innocent canular sur un faux miracle prêté à un saint et condamné à 10 mois de prison, il y en a eu récemment 99 à Chypre.
C) Cette Déclaration du 24 juin 2013 est une déclaration d’intention. Comment les différentes structures de l’Union européenne entendent-elles mettre en œuvre ces orientations ?
Le représentant de l’Union européenne a répondu :
1°) En vertu des Traités européens, le délit de blasphème ne ressort pas de la compétence de l’Union européenne. Les États sont libres en la matière du fait de leurs législations nationales.
2°) La Déclaration commune de l’Union européenne (UE), de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), de la Ligue arabe (LA) et de l’Union africaine (UA) est une déclaration politique et non juridique. Elle n’a donc pas de valeur contraignante pour les États membres et a été adoptée dans un contexte bien particulier qui était celui des violences suscitées dans le monde arabe par la publication sur internet d’un film intitulé l’ « innocence des musulmans ». Il fallait aussi et surtout constater que cette déclaration condamnait fermement tout message de haine et d’intolérance, et comportait un appel ferme à l’arrêt des violences
3°) Les lignes directrices sur la promotion et la protection de la liberté de religion ou de conviction adoptées par le Conseil de l’Union européenne le 24 juin 2013 ont été approuvées par la totalité des 28 États membres. Elles ont donc une force et un statut juridique bien différents. Elles recommandent la dépénalisation du délit de blasphème. Il n’est pas impossible qu’elles emportent une évolution progressive de cette question dans les législations nationales.
Madame Catherine Ashton, Commissaire européen, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour l’Union européenne a validé ces lignes directrices, avant leur adoption par les États membres.
4°) La distinction entre « religion » et « conviction » est une reprise des textes internationaux, notamment de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et du Pacte international sur les droits civils et politiques. Il ne faut donc pas y voir une intention malicieuse.
La Libre Pensée a commenté :
Si la question du délit de blasphème n’est pas de la compétence de l’Union européenne, quelle réalité peut avoir alors une « recommandation » d’y mettre fin ? La Libre Pensée rappelle que le mini-Traité constitutionnel européen (Article 17) prévoit, au terme de sa complète ratification, de « geler » les relations Religions/États qui seront, dès lors, intégrées telles quelles dans le Traité européen. A l’avenir, il faudra donc l’unanimité des États membres pour modifier les « statuts nationaux dont disposent les Églises ».
Peut-on raisonnablement penser qu’il y aura une unanimité pour abroger les concordats, Églises officielles, Églises installées, impôts d’Église et délit de blasphème ? Poser la question, c’est y répondre.
Si la Déclaration commune UE, OUA, OCI et LA n’a aucun effet, pourquoi l’avoir faite ? Pour la Libre Pensée, elle est, au contraire, un signal fort pour indiquer clairement que l’on n’a pas le droit de se moquer des religions. Quand on examine tout ce qui se passe en Europe et dans le monde, force est de constater que le délit de blasphème existe et tend à se répandre. Combien d’artistes, d’humoristes, de caricaturistes, de militants laïques sont poursuivis pour cela ? Ce ne sont pas les exemples qui manquent.
En conséquence, le Bureau européen de coordination de la Libre Pensée a décidé, à l’issue de cette entrevue, de promouvoir une campagne internationale pour l’abandon des poursuites et du processus judiciaire contre Filippos Loizos.
Le fait que la distinction « religion/conviction » est une reprise de formules issus de textes internationaux n’enlève rien de la pertinence à s’interroger sur cette distinction. Cette différence est trop en phase avec la réponse du Docteur Weninger pour ne pas nous interpeller. De fait, cette distinction introduit une hiérarchisation des opinions.
C’est la même question que sur la liberté de conscience. Celle-ci inclut la liberté religieuse, mais ne s’y réduit pas. Alors que la liberté de religion n’inclut nullement celle de la liberté de conscience de ceux qui ne croient à aucun système religieux.
Pour terminer cette entrevue, la Libre Pensée a soulevé la question de l’offensive religieuse contre le droit réel à l’IVG. Cette offensive réactionnaire n’a pas lieu qu’en Espagne, elle se développe partout, notamment, en Europe. Elle montre que le Vatican, comme institution, est bien redescendue dans l’arène politique pour imposer son point de vue aux hommes et femmes de tous les pays. Il s’agit bien d’une offensive cléricale au sens propre du terme. La Libre Pensée a donc demandé au représentant du SAEUE quel était le point de vue de l’Union européenne sur cette question.
Monsieur Jean-Bernard Bolvin nous a répondu que cette question, importante, n’était pas dans le champ d’attribution de son service, mais dépendait, au moins, de 3 autres Directions générales de l’Union européenne. Il nous a invités à prendre contact avec elles pour en débattre.
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