La stratégie du Vatican en matière scolaire: l’exemple de la Belgique
Oui, le Vatican a une seule orientation en matière d’enseignement, qu’il applique de façon différenciée à des circonstances concrètes qui ne sont pas les mêmes. « Garder l’unité dans la diversité » déclarait le 27 février dernier le cardinal belge Daneels à propos de la crise de l’Eglise catholique dont la démission de Ratzinger (le pape) est une expression et, sans doute, un approfondissement. « Garder l’unité dans la diversité », cette stratégie est aussi celle que l’Eglise catholique s’est efforcée d’appliquer dans le temps et dans l’espace en matière d’enseignement : faire accepter l’exploitation de l’homme par l’homme dans la perspective d’un monde de la vraie vie à mériter après la mort. Citons : « Nous ne sommes pas des êtres vivants dont l’horizon est la mort, mais des êtres mortels dont l’horizon est la vie ». C’est écrit dans un document de l’enseignement catholique belge intitulé : « Pour penser l’école catholique au XXIè siècle » (2002).
La Belgique est un exemple intéressant de la stratégie du Vatican en matière d’enseignement tant sur le plan historique que dans la crise actuelle de la société.
Un peu d’histoire
1830 Naissance de l’Etat belge : l’Eglise catholique est dominante de fait dans la cadre d’une constitution monarchiste libérale. Elle contrôle tout l’enseignement.
1879 Un gouvernement libéral fait voter la loi Van Humbeek, comparable à la loi Guizot de 1833 en France, que les catholiques appelleront la « loi de malheur ». Cette loi organise l’obligation pour chaque commune, d’avoir une école officielle, laïque et neutre, avec interdiction d’ «adopter» une école libre, donc catholique. L’Eglise réagit en interdisant aux catholiques, sous peine de se voir refuser les sacrements, de placer leurs enfants dans une école officielle ou d’y enseigner. Les rapports avec le Vatican qui considère pouvoir rétablir la situation antérieure, aboutissent à la rupture des relations diplomatiques.
1884 Retour au pouvoir des catholiques. Cela débouche sur la modification de la loi Van Humbeek, mais pas sa suppression, comme le demandaient les évêques, expression du Vatican. C’est que c’est la période de montée du mouvement ouvrier : fondation du Parti Ouvrier Belge (P.O.B.) en 1885 ; grève générale en 1886 ; et déjà, anticipant l’encyclique Rerum Novarum, la création (le mot est choisi) de ce qui s’est appelé explicitement « syndicat antisocialiste du coton » pour faire pièce au P.O.B. . L’Eglise belge est contrainte de tenir compte de cette nouvelle force sociale et de faire des compromis.
1950 Le gouvernement social-chrétien augmente sensiblement les subventions aux écoles libres, et permet l’intervention de l’enseignement libre dans l’organisation de l’enseignement public. C’est là un choix tactique nouveau : au lieu de chercher à liquider l’enseignement officiel, l’Eglise veut à la fois la maîtrise totale de son enseignement payé par l’Etat et le droit d’intervenir dans l’organisation de l’enseignement officiel. On comprend pourquoi les laïques s’insurgent.
1954 De retour au pouvoir, les socialistes et les libéraux revoient à la baisse les subventions à l’enseignement catholique et développent l’enseignement public sans concertation avec le privé. La réaction catholique est très vive : Parti Social Chrétien et Confédérations des Syndicats Chrétiens font culminer cette réaction dans une marche sur Bruxelles le 26 mars 1955.
1959 Après 7 ans de conflits, des négociations débouchent sur le « Pacte scolaire » en 1958 et voté au Parlement en 1959. On dira « Un compromis noyé dans les subsides ». En effet, il entraîne une forte augmentation des subsides à l’enseignement libre et un développement de l’enseignement officiel, le tout sur base d’un accroissement du budget de l’Etat consacré à l’enseignement. Une fois de plus, l’enseignement catholique s’en sort fort bien.
1988 A l’ occasion d’une réforme de la Constitution et du transfert des compétences d’enseignement de l’Etat national aux Communautés flamande et francophone, le Pacte scolaire est, peut-on dire, « constitutionnalisé ». En plus de la liberté (quasi sans limites) de l’enseignement déjà consacrée en 1830, la Constitution révisée garantit le «libre choix des parents», « le droit à une éducation morale ou religieuse, à charge de la Communauté », c’est-à-dire les cours des religions reconnues et de morale non confessionnelle dans les écoles officielles et, last but not least, le subventionnement de l’enseignement dans l’égalité des élèves, parents, enseignants et établissement scolaires devant la loi.
L’Eglise catholique a donc réussi à « bétonner » ses positions, même si des débats peuvent exister à propos des interprétations et ce, en fonction des rapports de force.
A l’époque actuelle
Comment s’exprime aujourd’hui à la fois la permanence et l’adaptation aux circonstances de l’orientation du Vatican dans l’enseignement catholique en Belgique ?
Pour répondre à cette question, examinons les documents de base que présente le site « Enseignement catholique » en Belgique. Ce sont : « Mission de l’école chrétienne » de 2007 et « Pour penser l’école catholique au XXIe siècle » de 2002 (désignés respectivement par les initiales MEC et PPEC).
« Face à la crise de transmission vécue actuellement par nos sociétés, n’est-il pas utile de réétudier le lien entre notre enseignement et le christianisme, source de notre inspiration et de revoir, si nécessaire, la manière de l’expliquer ? » C’est là la présentation de la plaquette « Mission de l’école chrétienne », édition 2007.
Quelle crise ? Les documents prennent acte que la pratique religieuse catholique est en baisse constante depuis plusieurs décennies, que d’autres religions prennent de plus en plus de place, que la société se sécularise progressivement (droits à l’avortement, à l’euthanasie, au mariage des homosexuels et à l’adoption pour ces derniers), qu’aujourd’hui, souvent, on choisit son école comme on choisit sa grande surface, en fonction de la proximité et de la qualité des produits.
En même temps, ils considèrent qu’avec la chute du mur de Berlin en 1989, « les religions réapparaissent en force, dans leur irréductibilité à tout messianisme séculier » (PPEC p. 17). Dès lors disent-ils : « Nous sommes arrivés à nous ré-identifier dans un contexte nouveau, c’est-à-dire à raconter autrement notre histoire pour dire qui nous sommes à des autres que nous reconnaissons … Cette tâche est devant nous. Elle concerne les cours d’histoire, de littérature et de religion » (PPEC p. 20).
A partir de là, ils affirment : « L’école chrétienne accueille volontiers celles et ceux qui se présentent à elle ; elle leur fait connaître son projet, pour qu’ils choisissent en connaissance de cause : chrétiens et fidèles d’autres religions, croyants et non croyants, chrétiens différents dans leur sentiment d’appartenance à la foi et à l’Eglise. Sans être nécessairement de la même communauté de foi, ils seront invités au moins à partager les valeurs qui inspirent l’action de l’école ».
Et quelles sont ces valeurs qui inspirent l’action de l’école ? Celles de la religion chrétienne défendue en affirmant que l’école constitue un espace semi-autonome par rapport au politique, à l’économique, au culturel et au religieux. Oui, au religieux, mais sur un autre plan car « le religieux se situe au croisement d’une interrogation éternelle de l’humanité et d’enjeux historiques propres à notre temps » (PPEC p. 15). Encore une formule pour exprimer la permanence et ses adaptations aux circonstances.
« Au fondement de l’école chrétienne se trouve l’intuition que la formation de l’homme et l’éveil du chrétien à la foi forment une unité : ce qui élève l’un élève l’autre » (MEC p. 7).
Comment à partir de là, assurer le bon fonctionnement de l’école ? La réponse est simple : sur la base de la « communauté éducative » ou communauté scolaire qui dans la diversité des élèves, des enseignants, des parents, des autres personnels de l’école unifie tout le monde dans un projet fondé sur la mission de l’école chrétienne.
« L’école constitue un espace semi-autonome permettant à un ensemble spécifique d’acteurs de constituer un collectif autour d’un projet d’éducation ». Ou encore : « Une école est un milieu de vie articulé autour d’une culture commune » (PPEC p. 10 et 11).
Nous voilà devant une application particulière d’un des fondements de la doctrine sociale de l’Eglise catholique : l’association capital-travail au nom du « bien commun », le corporatisme, souvent déguisé, à notre époque, en « démocratie participative » ou même en « autogestion ».
A l’heure où l’humanité en crise voit les peuples et les classes exploitées chercher le chemin de leur émancipation sociale, politique et économique, on a ici un exemple de la façon dont l’Eglise catholique, sous l’égide du Vatican, cherche, elle, notamment à travers sa stratégie en matière d’enseignement, à perpétuer son rôle de gardien de l’ordre établi tout en éduquant au corporatisme, à l’unité de tous pour le bien commun, ce qui est la stratégie actuelle des forces sociales dominantes de la société à l’échelle mondiale.
Le 3 mars 2013 Philippe de Menten
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