L’Église sous la Monarchie et sous la République
… la solution à laquelle doit naturellement s’attacher le socialisme en France : il […] lui faut à la fois faire front et contre la réaction de l’Église antirépublicaine et contre l’hypocrisie de l’anticléricalisme bourgeois.
Quand on parle de politique anti-cléricale du socialisme, il ne peut évidemment jamais s’agir de combattre au point de vue socialiste les convictions religieuses.
La religiosité des masses ne disparaîtra complètement qu’avec la société actuelle, quand l’homme, au lieu d’être dominé par le procès social, le dominera et le dirigera consciemment. Ce sentiment d’ailleurs s’émousse déjà à mesure que des couches entières de la population, instruites par le socialisme arrivent à comprendre l’évolution sociale. […]
[…] l’Église, élevée au rang d’organe public, forme de prime abord un élément de dissolution dans la France républicaine. Adversaire par essence des principes fondamentaux de la République – nomination à l’élection de toutes les autorités de l’État et souveraineté du peuple – étrangère aux pouvoirs bourgeois, d’origine purement profane, portée, par son propre esprit et par les liens personnels qui la rattachent à l’aristocratie, à revêtir un caractère féodal, survivance d’un passé monarchique, l’Église catholique devait naturellement, comme organe de l’État, tende dans la République bourgeoise à l’indépendance politique. La lutte contre le cléricalisme est comme un fil rouge que l’on retrouve au cours de toute l’histoire de la République bourgeoise en France. Alors que l’Église s’empare peu à peu de l’école pour s’en faire une arme contre la République, celle-ci s’épuise en efforts impuissants à dompter les récalcitrants et des crises périodiques viennent l’ébranler.
En France, le rôle de l’Église et le rôle de l’armée présentent une analogie complète […]
L’analogie de la situation occupée par l’armée et par l’Église vis-à-vis de la République a amené un rapprochement plus intime entre ces deux pouvoirs et donné une couleur monarchique à toutes les dernières crises politiques survenues en France. Chaque fois, ces deux organes de la République se sont trouvés unis dans leur rébellion.
Et de même que la contradiction entre l’armée et la République ne peut se résoudre que par la transformation de l’armée permanente en milices, la contradiction entre l’Église catholique et la République ne peut disparaître que quand l’Église d’institution publique deviendra association privée, c’est-à-dire quand on aura séparé l’Église de l’État, chassé le clergé de l’école et de l’armée et confisqué les biens des congrégations.
(…) Les socialistes sont précisément obligés de combattre l’Église, puissance antirépublicaine et réactionnaire, non pour participer à l’anticléricalisme bourgeois , mais pour s’en débarrasser. L’incessante guérilla menée depuis des dizaines d’années contre la prêtraille est, pour les républicains bourgeois français, un des moyens les plus efficaces de détourner l’attention des classes laborieuses des questions et d’énerver la lutte des classes. L’anticléricalisme est, en outre, resté la seule raison d’être du Parti radical ; l’évolution de ces dernières trente années, l’essor pris par le socialisme a rendu vain tout son ancien programme.
Pour les partis bourgeois, la lutte contre l’Église n’est donc pas un moyen, mais une fin en soi ; on la mène de façon à n’atteindre jamais le but ; on compte l’éterniser et en faire une institution permanente
Ce que nous venons de dire montre que les socialistes ne peuvent se contenter de suivre les anticléricaux bourgeois ; ils en sont les adversaires et c’est pour les démasquer qu’ils doivent engager le combat contre l’Église.
(…) L’anticléricalisme bourgeois aboutit donc à consolider le pouvoir de l’Église, de même que l’antimilitarisme bourgeois, tel qu’il est apparu dans l’affaire Dreyfus, ne s’est attaqué qu’à des phénomènes naturels au militarisme, à la corruption de l’Etat-major et n’a réussi qu’à épurer et à affermir l’institution elle-même.
Le premier devoir du socialisme est évidemment de démasquer constamment cette politique. Pour remplir cette tâche, il lui suffit d’opposer dans son intégrité sa politique religieuse au programme intentionnellement morcelé des républicains bourgeois. Mais si les socialistes devaient prendre une part sérieusement, sans prononcer un mot de critique, aux pitoyables simulacres de combat des parlementaires radicaux, s’ils ne proclamaient pas à toute occasion que les « bourgeois » mangeurs de prêtres sont avant tout des ennemis du prolétariat, le but propre de l’anticléricalisme républicain serait atteint, la lutte des classes serait frappée de corruption. […]
… la solution à laquelle doit naturellement s’attacher le socialisme en France : il […] lui faut à la fois faire front et contre la réaction de l’Église antirépublicaine et contre l’hypocrisie de l’anticléricalisme bourgeois.
Rosa Luxemburg, Écrit le 10/12/1902
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