SCIENCE ET RELIGION


SCIENCE ET RELIGION

Bruno Alexandre: Conférence pour le cercle Ernest Renan

INTRODUCTION: L’AMPLEUR DU PROBLÈME

Science et Religion, vaste sujet dont je n’aborderai qu’une petite facette. Il y a tout d’abord DES religions et DES sciences et ensuite la problématique de leurs statuts et de leurs relations, dans les deux sens: influence de la science sur la religion et inversement. Et de plus la science s’interroge sur l’objet même qui la rend possible, a savoir le cerveau.

Les deux positions extrêmes sont bien exprimées par ces trois propos:

– Les conceptions extrêmes sont bien exprimées par les propos suivants:

Le 1er est de Jean-Paul II (J.P. II Allocution devant les membres de la Société européenne de physique):

–  » …il ne peut y avoir d’opposition entre la foi et la science »

– Le théologien JACQUES ARNOULD, fin connaisseur de Darwin est bien plus optimiste: « La science, une chance pour la religion » a-t-il déclaré lors d’un récent colloque au Collège de France, sur le thème « Science et laïcité ».

– L’avis opposé est par exemple celui de Jean Bricmont, professeur de physique théorique à l’université de Louvain: « Science et religion: l’irréductible antagonisme »a-t-il écrit.

Les sciences plus spécialement impliquées dans le conflit science/religion sont nombreuses, je citerai essentiellement:

– la textologie, science d’étude des textes.

– l’archéologie (qui bouleverse toute l’histoire sainte)

– l’anthropologie.

– les sciences physiques.

– la cosmologie.

– les sciences cognitives avec tout particulièrement les neurosciences.

– les sciences biologiques et géologiques qui, ont vu éclore la théorie biologique de l’évolution dont j’examinerai assez en détails les conséquences.

– Dois-je citer la psychanalyse dont le statut est controversé. En tout cas cette discipline, comme dirait son fondateur lui-même, est venu blesser le narcissisme humain et relativiser la liberté humaine. Ce moi, disait Freud, qui « n’est même pas maître dans sa maison » et qui « doit se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe , en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique« .

De toutes ces sciences, celles qui mettent le plus en danger les dogmes religieux sont l’archéologie et les sciences de la vie et de la terre.

Disons quelques mots de l’archéologie qui mériterait une conférence entière. La science archéologique est devenue déstabilisante pour la bible quand George Smith annonça à Londres en 1872 que des tablettes cunéiformes relataient une histoire très proche du récit biblique du déluge et qu’elle lui était largement antérieure. Cela a fait écrire à l’assyriologue jean Bottéro que la bible venait de perdre « sa prérogative immémoriale d’être « le plus ancien livre connu« , « un livre pas comme les autres« , « écrit ou dicté par Dieu en personne. » (1)

Cette singulière nouvelle déclencha une vague de recherches majoritairement axées vers le but de prouver l’historicité des dires bibliques. Cette archéologie qui a perduré jusqu’à une période récente a été nommée archéologie biblique sur laquelle on ironise aujourd’hui en parlant de chercheur ayant une bible dans une main et un marteau dans l’autre!

Quel est l’état de la question aujourd’hui? Très inquiétant pour la représentation traditionnelle des croyants!

Sauf exception (cas, pour ne citer qu’un exemple, de la cité de Lakkish détruite vers 700 av. J.-C.) les données archéologiques ne coïncident pas avec l’histoire biblique. L’exemple le plus emblématique est celui de la fameuse conquête éclair du Pays de Canaan. La réalité est que Jéricho était inoccupé depuis longtemps à l’époque déduite de la bible. Une inscription indique que les égyptiens occupaient encore le pays un siècle après sa prétendue conquête! Bref, les nombreux anachronismes ont conduit récemment, l’archéologue Israël Finkelstein et l’historien Neil Asher Silberman à mettre totalement en doute la valeur historique de la bible.(2) La science archéologique a donc fait basculer dans le mythe un pan énorme de l’histoire dite sainte. Des patriarches jusqu’à Moïse et même David et Salomon, tout paraît astucieusement « arrangé »! Comment expliquer alors les écrits? La thèse d’Israël Finkelstein et de Neil Asher Silberman est qu’ils se comprennent dans le cadre de l’ambition de Josias au 7ème siècle AV J.-C.. Il a rêvé unifier son royaume du sud avec celui du nord en annexant ce dernier qui était sous domination assyrienne. Les assyriens ayant desserré leur étau vers -630 pour se porter vers la Babylonie, Josias a cru son heure venue. Ses plans furent malheureusement contrecarrés par une intervention égyptienne qui lui coûta d’ailleurs la vie.

Le texte biblique a donc été rédigé sous Josias au 7ème siècle dans une perspective sudiste de réunion du nord et du sud. Ce que visait Josias était un pouvoir fort et centralisé dans le domaine à la fois politique et religieux et ayant Jérusalem comme centre. Il s’agissait donc d’écrire une histoire commune rassemblant la mémoire des deux royaumes afin de créer une identité autour de l’écrit, ce qui fait d’ailleurs nouveauté.

Apparaissent ainsi sous Josias deux piliers fondamentaux de ce que sera le judaïsme: une communauté généalogique avec une loi écrite venant d’En Haut. (Le 3ème pilier viendra plus tard avec le messianisme, après l’exil à Babylone, à l’époque perse, sous Esdras et Néhémie.)

Côté religion, je m’en tiendrai au christianisme, avec plus particulièrement le catholicisme; c’est en effet le catholicisme que je connais le mieux et qui présente la plus forte construction dogmatique et je veux montrer que la science fait s’écrouler cette construction.

Le thème science et religion est aussi celui du SAVOIR et du CROIRE ou si l’on préfère de la RAISON et de la FOI.

Il me semble que l’on croit d’autant moins que l’on sait plus, au sens de savoir scientifique, et je dénonce tout de suite la prétention des théologiens qui veulent distinguer des vérités scientifiques et des « vérités de foi ». Or, de droit, nous ne pouvons parler que de vérités scientifiques mais pas de vérités de foi. A l’évidence, les vérités de foi ne sont que des CROYANCES.

Wittgenstein (1889-1951 – philosophe britannique, d’origine autrichienne) a fort bien dit les choses « La croyance religieuse n’est pas comme la sagesse, une chose par laquelle on peut être mené par la réflexion, elle s’apparente plutôt à une passion. »(3) Et ce n’est pas le moindre des esprits qui a écrit: » La foi commence précisément là, où s’arrête la pensée. » (Kierkegaard)

De son côté rené Etiemble proclame d’une façon lapidaire: « Il y a une espèce humaine avec deux variétés: l’une est religieuse, l’autre est raisonnable« .

Le sociologue Emile Durkheim, (1858-1917) dans son ouvrage « les formes élémentaires de la vie religieuse » indique fort justement que la vraie fonction de la religion n’est pas tant d’augmenter notre connaissance, mais de nous faire agir, de nous aider à vivre. Il écrit :  » Le fidèle qui a communié avec son Dieu n’est pas seulement (ni surtout) un homme qui voit des vérités nouvelles que l’incroyant ignore ; c’est un homme qui peut davantage. Il sent en lui plus de force, soit pour supporter les difficultés de l’existence, soit pour les vaincre.« (4)

J. Bouveresse (Professeur au collège de France – chaire de philosophie du langage et de la connaissance) livre à ce sujet dans « Peut-on ne pas croire », une analyse intéressante. Faisant un détour par Régis Debray, lui-même fortement influencé par Durkheim quant à sa conception de la diversité du sacré, il cite les Etats Unis comme société « qui semble capable d’accepter de savoir moins (autrement dit, de rester religieuse, au sens le plus traditionnel et même parfois le plus archaïque du terme) pour pouvoir plus. »(5) (La réussite ayant un côté de « salaire divin« , de récompense divine.)

Ces propos sur la claire distinction du savoir et du croire, ne conviennent pas du tout aux théologiens qui refusent bien sûr le jugement de l’Encyclopédie de Diderot de n’être pas des hommes de raison. Bien plus, ils font valoir la supériorité de leur rationalisme qu’on appelle le rationalisme chrétien que Claude Tresmontant a même nommé le rationalisme intégral. Il n’y a en fait rien de plus opposé au rationalisme scientifique que le rationalisme chrétien. La raison du croyant n’est pas une raison libre, autonome autosuffisante, c’est une raison subordonnée à celle de Dieu, c’est à dire à celle de la foi, donc à son service. La raison croyante met la main sur la raison tout court.

Sans aucun complexe, la raison croyante s’estime supérieure; Jean-Paul II déclare dans son encyclique « Foi et Raison » que le philosophe chrétien est « toujours guidé par le supplément d’intelligence que lui donne la parole de dieu » (§104). Le catéchisme officiel surenchérit: « Le refus de Dieu que professe l’athéisme et le refus de se prononcer à son sujet (agnosticisme), même s’ils s’expliquent par divers motifs, n’en traduisent pas moins un réel déficit (en italique dans le texte!) dans l’exercice de l’intelligence. » (6). Si vous voulez donc faire de la science avec la meilleure intelligence surtout ne soyez pas athée, vous n’avez aucune chance pour le prix Nobel. Je plaisante à peine, ainsi Jean-Paul II, au dernier jubilé des scientifiques prônait  » l’élaboration d’une culture et d’un projet scientifique qui laissent toujours transparaître la présence de l’intervention providentielle de Dieu. »

B XVI a prononcé le 2006, dans le Grand Amphithéâtre de l’Université de Ratisbonne, une conférence où il dénie l’universalité à la stricte raison scientifique contemporaine qu’il qualifie de positiviste. Toute la conception évolutive (cosmique, chimique, biologique) qui se couperait de la Raison créatrice, est qualifiée d’irrationnel. Voilà, comment, au nom de Dieu, la raison change de camp! Le même B XVI, lors de sa venue en France, en 2008, a déclaré ceci au collège des Bernardins: « Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison.  » Comme en écho aux dires de B. XVI Le philosophe Jean Pierre DUPUY qui se dit non pas intellectuel chrétien mais « chrétien intellectuel« , en même temps qu « extrémiste rationaliste« , considère que « le christianisme est une science beaucoup plus qu’une religion.« 

Dieu objet de science: n’y a-t-il pas position plus irrationnelle? Si le scientifique croyant doit théoriquement être aussi attentif au magistère, on devine la faible marge de manœuvre du théologien. Pour paraphraser un philosophe, je dirai que les théologiens font partie de ces hommes qui ont conclu à Dieu en raisonnant à partir du monde parce qu’ils se sont déjà donné un monde tel qu’il conduise à dieu. On conçoit dès lors que le dialogue science/religion soit fort délicat car jusqu’à nouvel ordre le chercheur scientifique se comporte dans ses travaux comme s’il était athée a savoir qu’il n’inclut rien d’extérieur, de transcendant, à l’objet qu’il étudie. La condition méthodologique de l’exercice de la science est objectivement le matérialisme. On parle de naturalisme méthodologique ou de matérialisme implicite.

La 4ème de couverture des Cahiers du Cercle cite opportunément ce passage de Renan de « l’Avenir de le science »: « Par cela seul qu’on admet le surnaturel, on est en dehors de la science, on admet une explication qui n’a rien de scientifique, une explication dont se passent l’astronome, le physicien, le chimiste, le géologue, le physiologiste, dont l’historien doit aussi se passer. »

Le dévoiement du concept de raison par le croyant s’accompagne de celui de religion ou croyance religieuse, ainsi les glissements, les extensions, les « étirements » (Freud), les « empruntsdétournements » (P. Tort), bref les déviances sémantiques que les philosophes et les théologiens vont faire subir aux concepts qui nous occupent , introduisent une polysémie, c’est-à-dire une multiplicité de sens qui va brouiller les cartes . Il semble bien d’ailleurs que ce soit le but recherché par les défenseurs des idéologies religieuses.

L’exemple typique est celui du théologien protestant J. Ellul:

« Rien ne peut détruire (la religion), car ce qui la met en question est aussitôt promu à sa place et objet d’une croyance religieuse à son tour … Donc le fait croyance paraît inhérent à l’être humain ! C’est dans cet univers de croyances que se situe, ni plus ni moins accentuée, la croyance religieuse, qui se réfère à un au-delà insaisissable. » (7)

Hélas toutes les croyances ne se valent pas ; croire en Dieu, en la résurrection de Jésus Christ…. Ce n’est pas la même chose que de croire à la raison ou à la science! Si tout est croyance alors mieux vaut croire en ce qui augmente mon savoir (la science) qu’en ce qui le fige (la religion).

Une référence à E. Renan s’impose maintenant, pour une double raison: d’abord, c’est lui qui nous réunit aujourd’hui et il fut ce croyant traditionnel passé au rationalisme qui écrivit très tôt – 1848 – (la publication fut cependant tardive:1890) « L’avenir de la science« . Renan baigne lui aussi dans ces concepts élargis mais ce n’est pas comme les théologiens pour sauver leur religion car Renan a quitté la sienne au nom de la raison. Pourtant son esprit est demeuré religieux et cela lui fait parler de la religion de la science, une religion nous dit-il, « en esprit et en vérité » c’est-à-dire ce culte enthousiaste de l’idéal, du vrai, du beau. « Ma religion, dit-il encore, c’est toujours le progrès de la raison, c’est-à-dire de la science. »

Renan a donc bien abandonné sa foi en l’Eglise mais il lui a substitué une foi en la science, il est devenu prêtre de la science. A la raison scientifique de conduire l’humanité vers une perfection ultime «  Ce n’est donc pas une exagération de dire que la science renferme l’avenir de l’humanité, qu’elle seule peut lui dire le mot de sa destinée et lui enseigner la manière d’atteindre sa fin […] la raison prendra un jour en main l’intendance de cette grande œuvre, et, après avoir organisé l’humanité, ORGANISERA DIEU » (8)

Ainsi le rationalisme de Renan que l’on qualifie aujourd’hui, un peu dédaigneusement , de positiviste et même de positiviste mystique ou de scientiste (il est vrai que l’on ne s’exprimerait plus comme lui aujourd’hui), aboutit à un Dieu qui est homme, enfin un dieu à l’image de l’homme dont le but est de dévoiler le merveilleux de la nature dans toute sa splendeur pour constituer, je cite Renan: « une poésie qui sera la réalité même, qui sera à la fois science et philosophie« .

Essayons maintenant de classer, à la lumière de l’histoire, les types de relations science-religion en nous fondant sur l’histoire du christianisme. Quatre grandes catégories peuvent être distinguées:

1) la subordination

2) le conflit

3 ) l’indépendance

4) la complémentarité, la convergence voire à la limite, la symbiose.

Aux temps des origines ( à l’exception peut-être des 1ers Pères qui se méfiaient de la science – sagesse des hommes = folie pour Dieu) et du Moyen Age pour parler surtout du catholicisme, a régné la subordination . La théologie était la reine des sciences, celles-ci étant au service de celle-là.

Mais la science revendiquant son autonomie et devenant plus expérimentale que spéculative va, à partir de la Renaissance, commencer à entamer le statu quo antérieur. Je ne développerai pas, la révolution copernicienne, les affaires G Bruno, et Galilée sont assez bien connues et illustrent éminemment la relation de conflit. Par contre, pour restreindre le sujet, donc pouvoir l’approfondir, j’insisterai sur l’influence de la théorie scientifique darwinienne. Je parlerai de l’impact de cette théorie sur la dogmatique catholique.

L’une des plus grandes avancées scientifiques de notre monde moderne est en effet la théorie darwinienne de l’Evolution biologique; elle a été aussi l’une des plus déstabilisantes pour l’esprit humain.

On savait déjà depuis Copernic et Galilée que la terre n’était plus le centre d l’univers; avec Darwin voilà que l’on apprend que l’homme n’est plus le centre de la nature vivante et que son origine est animale et non plus divine, il ne pouvait y avoir pire nouvelle pour les religions instituées. Et encore aujourd’hui, des millions de gens n’ont pu s’y faire, comme par exemple les créationnistes et néocréationnistes américains. Les premiers croient encore à une subordination de la science à la religion. Ils s’en tiennent à une interprétation littérale de la bible, en particulier de la Genèse. C’est par exemple le déluge qui a creusé le grand Canyon du Colorado.

Les seconds sont plus conciliants. Ils soutiennent que l’étude scientifique de la nature conduit à admettre l’intervention d’une intelligence supérieure, d’un « dessein intelligent » (Intelligent Design = I D) qui oriente les phénomènes, et veulent que leur conception soit érigée au rang de théorie scientifique au même titre que celle de Darwin.

L’Eglise catholique qui se fait fort d’être progressiste en la matière, recherche comme nous le verrons, plutôt une complémentarité voire une convergence avec la science tout en prônant une certaine indépendance entre science et théologie.

PRÉSENTATION SUCCINCTE DE LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION

Cette théorie a surtout pris corps au milieu du 19ème siècle, et depuis, une multitude de données convergentes se sont tellement accumulées qu’on la considère comme un fait. Il faut pourtant reconnaître que des problèmes demeurent quant aux mécanismes explicatifs.

A la conception millénaire créationniste fixiste et finaliste du monde vivant, Darwin a substitué une conception transformiste et contingente, c’est a dire sans projet, a savoir qu’il n’était pas obligatoire que la nature vivante soit ce qu’elle a été et ce qu’elle est, et que nous soyons là pour en parler.

Linné disait: « nous comptons autant d’espèces qu’il est sorti de couples des mains du Créateur« . Pour Darwin par contre, la définition de l’espèce est généalogique: « La communauté de descendance, écrit-il, est le lien caché que les naturalistes ont sans en avoir conscience toujours recherché, sous prétexte de découvrir (…)quelque plan inconnu de création« . Les ressemblances plus ou moins grandes reflètent donc, pour Darwin, des liens plus ou moins grand de parenté car les espèces dérivent les unes des autres. Pour être simple, il faut dire que les singes et nous, sommes cousins, nous sommes issus d’ancêtres communs.

La paléontologie nous montre que plus on remonte dans le temps, plus les fossiles que l’on retrouve dans les terrains témoignent de formes simples de vie. La thèse de l’évolutionnisme est que ces formes simples ont varié et que ces variations ont donc transformé des espèces anciennes simples en espèces plus complexes. Ainsi de fil en aiguille ont pu émergé, par évolution, des formes de plus en plus perfectionnées, dont les mammifères avec l’homme. A l’autre bout de la chaîne il est supposé que les formes les plus simples de vie sont issues de la matière. Globalement la science d’aujourd’hui propose une triple évolution: évolution cosmique, prébiologique ou chimique et enfin biologique et l’homme ayant pris une telle importance on peut ajouter une 4ème évolution, l’évolution psycho-sociale.

Comment Darwin en est-il arrivé à concevoir sa théorie alors que régnait, toute puissante, et au début Darwin ne la contestait pas, la théologie dite naturelle qui expliquait l’étonnante harmonie de la nature par la main de dieu. En effet comment expliquer, sans Dieu, la remarquable harmonie chez les êtres vivants, entre les structures et les fonctions du corps, harmonie aussi avec l’environnement?

Une des observations princeps de Darwin a été le constat de la grande variabilité des plantes cultivées et des animaux domestiques. « Quand on compare, écrit-il, les individus appartenant à une même variété ou à une même sous-variété de nos plantes cultivées depuis longtemps et de nos animaux domestiques les plus anciens, on remarque tout d’abord qu’ils diffèrent ordinairement plus les uns des autres que les individus appartenant à une espèce ou à une variété quelconque à l’état de nature. » Et cela tient à la sélection artificielle pratiquée par les horticulteurs et les éleveurs. Darwin dispose donc de deux concepts explicatifs la variabilité et la sélection, disons plutôt la sélectionnabilité.

Le démographe Malthus va permettre à Darwin de passer de la sélection artificielle à la sélection naturelle.

Préoccupé par le nombre important de pauvres, Malthus explique le fait en considérant que la population croît plus vite que la production alimentaire d’où les famines et maladies qui limitent la prolifération.

De même, le pouvoir reproducteur des êtres vivants est tel qu’il devrait vite y avoir surpopulation, or il n’en est rien dans les conditions naturelles, c’est donc qu’intervient une sélection naturelle due au fait que les variants se trouvent en concurrence surtout vis à vis des ressources alimentaires. Il y a donc des facteurs limitants qui vont être éliminatoires pour certains individus, épargnant les autres, les mieux adaptés. Et Darwin en arrive ainsi à ses concepts de lutte pour la vie (struggle for life) et de sélection naturelle ou de persistance des plus aptes. La main de dieu de l’harmonie se trouvait remplacer par un phénomène naturel, la sélection naturelle qui a donc signé l’arrêt de mort de la théologie naturelle.

Les concepts darwiniens se sont révélés d’une extraordinaire fécondité. Ils demeurent aujourd’hui opératoires tout en ayant été précisés en fonction des connaissances nouvellement acquises dans le domaine des sciences de la vie.

On sait aujourd’hui que les changements qui sont source de nouveautés touchent les molécules de l’hérédité se trouvant dans les chromosomes des noyaux des cellules, les molécules d’ADN. A ces changements on donne le nom de mutations et elles sont imprévisibles: on dit qu’elles sont aléatoires, qu’elles se font au hasard (conservons le terme pour plus de simplicité mais il mériterait critique.)

La théorie darwinienne est donc doublement incompatible avec la conception croyante, par deux points fondamentaux:

– L’origine animale de l’homme qui ne tient donc pas une place à part dans le monde vivant

– le caractère contingent ( c’est à dire non nécessaire, sans finalité) de l’évolution vers l’homme ce dernier apparaissant en fait comme le fruit d’un double imprévisibilité: imprévisibilité des variations héréditaires, imprévisibilité des facteurs de sélection, ces imprévisibilités étant bien entendu en totale contradiction avec le finalisme divin.

Pour la science l’homme était une possibilité, pas une nécessité. En d’autres termes, l’homme aurait pu ne pas être!

Il est un paléontologiste américain de grand renom S J GOULD qui a magnifiquement développé ce point. S J Gould ne nie pas la réalité d’une complexification ayant conduit à l’homme, mais il ne la considère pas comme le fruit d’une tendance évolutive d’une sorte de loi immanente de progrès; ils la considèrent tout simplement marginale et accidentelle, contingente en d’autres termes. « Homo sapiens dit-il n’est qu’un petit rejet à peine émergé sur un arbre généalogique gigantesque et ancien« . (9)

Les mammifères dont nous sommes sont une goutte d’eau dans la mer des vivants. Sur une représentation sectorielle de la biodiversité (fig 1), les mammifères occupent un espace minime, presque réduit à un rayon, et de plus l’homme est une goutte d’eau dans le monde des mammifères et puis ici le monde des bactéries n’est pas représenté. S’il l’était cela nous rendrait encore plus marginal. L’étude de l’ADN a fait apparaître une diversité génétique plus grande chez les bactéries que chez les trois règnes pluricellulaires réunis!

Des bactéries vivent non seulement dans l’eau, l’air , le sol, mais aussi dans les êtres vivants (nous en hébergeons beaucoup –10% du poids sec de notre corps) ) et dans les roches. Elles supportent des conditions de température extrêmes, des glaces aux eaux océaniques profondes ou jaillissent des émanations pouvant atteindre plus de 300 °C. Au laboratoire on a cultivé des bactéries à 250°C, sous une pression de 265 atmosphères.

Contrairement à la vision de Teilhard de Chardin centré sur l’homme, nous devrions voir un monde centré sur les bactéries! L’Homme est un avatar de l’évolution. La rançon de la complexité humaine est d’ailleurs la fragilité. L’homme ne pourrait vivre sans bactéries alors que l’inverse est possible. Nos agressions sur la nature pourraient aller jusqu’à être mortelles pour l’homme; elles ne le seraient pas pas pour les bactéries. Il est sans doute faux de dire qu’un cataclysme nucléaire d’une grande ampleur détruirait toute vie. Elle détruirait les êtres complexes, donc fragile, elle n’éradiquerait pas les bactéries dont on sait d’ailleurs que certaines peuvent vivre dans des terrains radio-actifs.

Nous devons soutenir ce que disait S J Gould: « Quel que soit le critère auquel on se réfère, les bactéries furent dès le début, sont aujourd’hui, et resteront toujours les organismes les plus réussis de la terre« . (10)

Arrêtons de louer les bactéries; si elles avaient un cerveau elles diraient ce que les théologiens disent pour les hommes: mais c’est pour nous que la terre a été créée!

J’insiste maintenant, encore davantage, sur l’argument le plus a-théiste qui soit: la contingence dans l’évolution.

Les bouleversements géologiques (mouvements des plaques, répartition continents/océans, variations du niveau de la mer, volcanisme, météorite, changements climatiques) n’ont pas contribué dans une mince proportion à la contingence. Ils ont été à l’origine de grandes crises qui ont parfois décimé les espèces dans des proportions gigantesques.

La plus grande crise (-250 millions d’années) a ainsi décimé près de 90 % des espèces marines et la presque totalité des espèces de vertébré terrestres. Elle a servi de limite entre ère primaire et secondaire.

Si les formes vivantes annonçant les vertébrés avait été éliminées il n’y aurait pas eu de vertébrés.

Citons un autre exemple très connu. Lors de la crise dite Crétacé /tertiaire (-65 millions d’années) qui a vu la disparition des dinosaures, si la grosse météorite responsable (en partie parce que l’affaire est complexe) n’avait fait que frôler la terre, les mammifères n’auraient pas pu prendre leur essor et nous ne serions pas là!

Plus près de nous écrit le paléoanthropologue Pascal Picq:  » si le genre Homo (…) n’était pas apparu avant l’affirmation des âges glaciaires, il n’y aurait certainement eu personne pour écrire et écouter notre histoire évolutive ».

Si l’on additionne donc l’ imprévisibilité des mutations génétiques et celle des variations des facteurs de l’environnement il y avait bien peu de chances qu’à cette loterie, sortent les numéros (dont le nôtre!) des êtres complexes donc fragiles.

Tout cet aléatoire dans le mécanisme de l’évolution ne s’accorde absolument pas avec un dessein divin L’évolution est donc, répétons le, éminemment contingente. Si l’on rembobinait le film de la vie écrit S J Gould, la probabilité pour qu’apparaisse « une créature ressemblant même de loin, à un être humain, est effectivement nulle, et celle de voir émerger un être doté d’une conscience, extrêmement faible« . (11)

Il faudrait, mais ce serait trop long, faire maintenant état des travaux actuels qui élargissent les notions de sélection naturelle d’aléatoire et de contingence. (12) Je me contenterai simplement de revenir sur les concepts de lutte pour la vie et de sélection naturelle qui ont été faussement extrapolés aux sociétés humaines . Cette déviance est connue sous le nom de darwinisme social.

Le père du Darwinisme social est le philosophe anglais Herbert Spencer créateur de l’évolutionnisme philosophique. Il assimile la société à un super-organisme et se précipite sur la sélection naturelle pour légitimer la compétition des individus aboutissant à l’élimination des moins aptes. Il est par principe contre toute assistance de l’Etat envers les plus pauvres; c’est un éclatant représentant des ultra-libéraux de la société victorienne; champion du laisser aller et laisser faire économique et faisant dériver l’altruisme de déterminations égoïstes; il est, pourrait-on dire, sociobiologiste avant l’heure!

C’est le philosophe et épistémologue Patrick Tort qui par une lecture complète et attentive de Darwin a rétabli sa pensée véritable.

Dans la « filiation de l’homme » parue onze ans après « l’Origine des espèces », Darwin étend le transformisme à l’espèce humaine et fait descendre l’homme d’un ancêtre à caractères simiesques de l’Ancien monde. L’hominisation n’a pas échappé à la sélection naturelle classique mais il soutient que la civilisation humaine qui protège les faibles au lieu de les éliminer, s’oppose à la sélection naturelle classique:

«Si importante qu’ait été, et soit encore, la lutte pour l’existence, cependant, en ce qui concerne la partie la plus élevée de la nature de l’homme, il y a d’autres facteurs plus importants. Car les qualités morales progressent, directement ou indirectement, beaucoup plus grâce aux effets de l’habitude, aux capacités de raisonnement, à l’instruction, à la religion, etc., que grâce à la Sélection Naturelle ; et ce, bien que l’on puisse attribuer en toute assurance à ce dernier facteur les instincts sociaux, qui ont fourni la base du développement du sens moral ».

Pour Darwin les instincts les plus complexes « paraissent avoir été acquis (…) par la sélection naturelle des variations d’actes instinctifs plus simples. »

La civilisation est donc pour Darwin le fruit d’une sélection des instincts sociaux. La forme embryonnaire de l’altruisme et de la morale, réside pour Darwin dans les soins apportés à la descendance, apanage dominant des femelles ( Darwin considère d’ailleurs la femme comme moralement supérieure, car plus accessible à la tendresse et à la compassion.)

Ainsi donc la sélection des instincts sociaux permet de penser l’émergence de la morale en dehors de toute référence à une obligation transcendante. La morale devient un fait d’évolution. La religion en est un aussi et ne renvoie donc pas à une transcendance. Il n’y a que de l’immanence dans la théorie de Darwin qui, de croyant est devenu athée!

Avec la civilisation on assiste donc à un renversement, car si la nature élimine le moins adapté, la civilisation cherche à le protéger. P. Tort écrit: « Privilégiés par la sélection, les instincts sociaux ont, combinés avec la rationalité, changé l’histoire évolutive de ‘Homme en favorisant des comportements antisélectifs : éducation morale, soins aux malades et aux infirmes, compensation des déficits du corps et des capacités mentales, réparation des handicaps, institutionnalisation du secours et de l’aide, interventions sociales en faveur des plus déshérités. On a désigné ce mouvement de retournement progressif sous les termes d’effet réversif de l’évolution (Tort, 1983) : par la voie des instincts sociaux, la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. L’avantage obtenu n’est plus alors biologique : il est devenu social. Cet effet de rupture obtenu sans rupture effective est la clé théorique du continuisme matérialiste de Darwin dans la pensée du rapport entre nature et civilisation. » (13)

Pour se faire mieux comprendre P. Tort se réfère à l’anneau de Möbius. Avec cet anneau on passe d’une face à l’autre du ruban fermé d’une façon continue alors que les deux faces de la bandelette initiale étaient absolument opposées et distinctes.

Cet aspect de la pensée de Darwin a été occulté par Mr Y. Christen qui à mon sens a une conception trop socio-biologiste donc trop réductionniste du fonctionnement social comme l’ont montré deux de ses conférences: « Comment la sélection naturelle a sélectionné l’idée de Dieu » et « La biologie de la morale ». La civilisation crée en fait de l’anti-sélection darwinienne. « La continuité biologico-civilisationnelle chez Darwin est une continuité réversive, dit P.Tort, ce qui assure la capacité fondatrice des civilisations et libère les sciences morales sociales et humaines de toute vassalité envers la biologie. » (Cf Annexe1) Et cela d’autant plus peut-on dire aujourd’hui que les neurosciences ont montré l’extrême complexité de l’activité cérébrale où le génétique a son mot à dire bien sûr mais sans doute pas le dernier mot car l’épigénétique s’en affranchit quand il s’agit de questions comme l’idée de Dieu ou de la morale.

Les enfants dits « sauvages » qui on grandi en dehors de la civilisation, comme le cas traité par F. Truffaut au cinéma et « Génie » cette enfant américaine de Los Angelès que ses parents ont enfermé seule pendant 13 ans, deviennent difficilement éducables, cela montre toute l’importance de l’influence du milieu civilisationnel. La génétique n’est pas toute puissante! Les deux facteurs doivent être associés. A ce sujet voici une belle définition de l’esprit, celle du neurophysiologiste Delgado: c’est « l’élaboration intracérébrale de l’information extracérébrale« . Ce chercheur disait que l’homme naissait sans esprit. Effectivement et tant pis pour Rousseau. L’homme ne naît pas bon ou mauvais. Il faut d’abord qu’il y ait interaction d’une nature et d’une culture pour qu’il y ait homme!

COMMENT LES RELIGIONS RÉCUPÈRENT-ELLES LA THÉORIE?

Plutôt mal! L’ISLAM est purement créationniste . Le PROTESTANTISME par son énorme branche fondamentaliste l’est aussi , fidèle à LUTHER qui pensait que face à la foi, la raison était une putain, c’est sa propre expression! L’orthodoxie JUIVE est également créationniste. Le calendrier juif commence avec la création. Pour trouver le N° de l’année juive à partir notre calendrier, il faut ajouter 3760.

Les papes concernés par la révolution intellectuelle du transformisme ne furent absolument pas à la hauteur de la situation. Le darwinisme fut immédiatement rejeté. Pie IX, le pape de l’infaillibilité, de l’Immaculée Conception, du Syllabus et de l’affaire Mortara, en était resté mentalement aux temps heureux de la théologie reine des sciences. Il rejeta sans nuances le transformisme. Parurent de nombreuses publications dénonçant « les aberrations du darwinisme« . Pie IX distinguait vraie science et fausse science; la vraie est celle qui se conforme à l’infaillible révélation divine, « étoile » qui doit guider le scientifique et « lumière » qui « aide à se préserver des écueils et des erreurs ». La science fut accusée de propager l’athéisme et le matérialisme.

Dès 1860 le concile allemand de Cologne, annonciateur de l’esprit du grand concile Vatican I vis à vis de la science, s’était opposé à la thèse darwinienne et ce n’est pas sans logique qu’il déclare: « Nos parents ont été créés par Dieu immédiatement. C’est pourquoi nous déclarons tout à fait contraire à l’écriture sainte et à la foi, l’opinion de ceux qui n’ont pas honte d’affirmer que l’homme, quant au corps, est le fruit de la transformation spontanée d’une nature imparfaite en d’autres de plus en plus parfaites jusqu’à la nature humaine actuelle ».

Il est maintenant très intéressant et fondamental de lire les actes du concile Vatican I qui remettent la science à sa place! La constitution dogmatique sur la foi catholique, « Dei Filius », énonce dans le Chapitre IV portant sur la foi et la raison, que l’Eglise « a reçu, en même temps que la charge apostolique d’enseigner, le commandement de garder le dépôt de la foi » et qu’elle a « de par Dieu le droit et le devoir de proscrire la fausse science.« L’Eglise ne peut admettre que les sciences, « dépassant leurs frontières, elles n’envahissent ni ne troublent le domaine de la foi. », précisant que « le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que notre Mère, la Sainte Eglise, a présenté une fois pour toute, et jamais il n’est loisible de s’en écarter sous le prétexte et au nom d’une compréhension plus poussée. » Ce que répète le canon IV, art. 3: « Si quelqu’un dit qu’il est possible que les dogmes proposés par l’Eglise se voient donner parfois, par suite du progrès de la science, un sens différent de celui que l’Eglise a compris et comprend encore, qu’il soit anathème. » (Session III – 1870) (Je le suis d’ailleurs car j’ai personnellement été excommunié pour avoir renié mon baptême)

Léon XIII, successeur de Pie IX, fut plus libéral quant à son regard sur la science, ce pendant, fondamentalement, la situation théologique n’évolua guère. La nouveauté fut la tentative de promotion d’une science chrétienne ou plutôt catholique. Avec le soutien de Léon XIII, Mgr d’Hulst mit sur pied des congrès scientifiques internationaux catholiques. Au premier de ces congrès, en 1888, le transformisme fut rejeté comme « hypothèse gratuite« . Au total, ces congrès, il y en eut cinq (de 1888 à 1900), furent plutôt orthodoxes. Il ne pouvait pas en être autrement, le pape ayant souhaité « une soumission absolu envers le siège apostolique de Saint Pierre« . L’encyclique « Providentissimus Deus » (1893) rappela que depuis le concile de Trente il est bien clair que le dernier mot de l’exégèse appartient à l’Eglise et que toute idée est fausse « qui mettrait les auteurs sacrés en contradictions entre eux, ou qui serait opposée à l’enseignement de l’Eglise ».

Après la mort de Léon XIII, la timide ouverture vers les sciences devint sans lendemain. Pie X, à l’esprit obtus, allait entreprendre une véritable chasse aux sorcières pour étouffer les idées nouvelles et en rester à l’enseignement traditionnel des séminaires où dans les manuels bien pensants était écrit: « (l’inspiration) préserve l’écrivain sacré de toute erreur, non seulement de toute erreur dogmatique et morale, mais aussi de toute erreur historique ou scientifique« . Le séminariste devait s’en tenir au concordisme: la bible s’accorde parfaitement avec l’histoire et la science! Pie X fut l’auteur du décret « Lamentabili sane exitu » (1907), véritable second syllabus qui, en 65 articles, figeait tout espoir de progrès, comme l’encyclique qui suivit: « Pascendi dominici gregis ».

Retenons les trois articles suivants: (attention les affirmations de ces articles sont condamnées comme fausses!)

– V: « le dépôt de la foi ne contenant que des vérités révélées, il n’appartient sous aucun rapport à l’ Eglise de porter un jugement sur les assertions des sciences humaines. »

– LXIV: « Le progrès des sciences exige que l’on réforme les concepts de la doctrine chrétienne sur Dieu, sur la Création, sur le révélation, sur la personne du Verbe incarné, sur la rédemption ».

– LXV: « Le catholicisme d’aujourd’hui ne peut se concilier avec la vraie science à moins de se transformer en un certain christianisme non dogmatique, c’est-à-dire un protestantisme large et libéral« .

L’Eglise pourtant comptait aussi des gens éclairés qui auront du mal à supporter le carcan romain et qui provoqueront « la crise moderniste ». L’abbé Alfred Loisy fut la figure emblématique de ce modernisme que Pie X voua aux gémonies. Après une thèse sur l’ Ancien Testament , il fonde une revue: « L’enseignement biblique » où justement il se livre à des études critiques du livre de la Genèse. La réaction ne se fait pas attendre et malgré la bienveillance de Mgr d’Hulst, Rome retira à Loisy l’enseignement de l’exégèse.

Loisy pensait que les livres saints, pour « tout ce qui regarde les sciences de la nature, ne s’élèvent pas au dessus des opinions communes de l’antiquité« .

Pie X, pape inflexible sur la doctrine séculaire de l’Eglise, n’allait pas tolérer longtemps les incartades de Loisy, il fit mettre cinq de ses livres à l’index, et ce qui devait arriver arriva, en 1908 il fut excommunié.

Nous avons insisté sur Alfred Loisy, mais bien d’autres subirent les foudres du Vatican. Par exemple, un homme du sérail, le dominicain M. J. Lagrange qui fut aussi interdit d’étude de l’Ancien Testament et en 1912 il reçut un blâme public. Signalons que l’Eglise, qui décidément n’a pas peur d’être tuée par le ridicule, et n’est pas à une repentance près, a proposé, par la voix de Jean Paul II, de béatifier l’ancien persécuté.

Joseph Turmel mérite une mention particulière vu l’ampleur de son érudition. Restant dans l’Eglise bien qu’ayant perdu la foi dès 1886, il fut dénoncé et dut donner sa démission et remettre ses manuscrits: 23 cahiers de 5000 lignes furent livrés aux flammes « pour la plus grande gloire de Dieu« . Sous Pie X il publie, entre autres, sous le manteau, une « histoire du péché originel ». Il écrira plus tard une monumentale « Histoire des dogmes » après avoir été frappé, en 1930, d’une excommunication majeure, victime, selon ses mots, de « l’école du mensonge ». Enfin nous nommerons aussi un autre grand érudit qui fut poussé à devenir rationaliste, il s’agit de Prosper Alfaric qui a fondé notre Cercle, lui aussi subit l’excommunication majeure. Notons, qu’avant la crise moderniste, Renan avait été aussi excommunié.

Un peu plus tard, Teilhard de Chardin essaya de desserrer l’étau. C’est à propos du péché originel qu’il a commencé à attirer la suspicion de ses supérieurs; étant entré de plain pied dans la science moderne, il montre que la science de la préhistoire ne cautionne pas les figures traditionnelles d’Adam et Eve dans leur coin privilégié de terre paradisiaque. Exit donc le couple originel et le monogénisme qu’il implique. Le couperet était inévitable. Rome l’obligea à renier ses dires sur le péché originel et lui retira sa chaire de l’Institut catholique.

Quant à Pie XII, En ce qui concerne la théorie de l’évolution biologique, il demeure très réservé, il est cependant concédé que le corps humain puisse provenir « d’une matière déjà existante et vivante« , mais le corps seulement. En aucune façon l’esprit peut émerger de la matière. L’unicité d’Adam littéralement premier père de l’humanité, ce qui implique le monogénisme, est réaffirmé sans ambiguïté de même que le traditionnel péché originel. Dans l’encyclique « humani Generis » (1950) Il maintient le monogénisme car avec le polygénisme, nous dit-il, « on ne voit absolument pas comment pareille affirmation peut s’accorder avec ce que les sources de la vérité révélée et les actes du magistère de l’Eglise enseignent sur le péché originel, lequel procède d’un péché réellement commis par une seule personne Adam et, transmis à tous par génération. »

Dans cette encyclique, il est aussi rappelé que les onze premiers chapitres de la Genèse appartiennent « au genre historique en un sens vrai« .

COMMENT L’ ÉGLISE ESSAIE AUJOURD’HUI DE SAUVER LA FACE

A lire ce qui précède, comment ne pas croire impossible une conciliation avec la science moderne, sans trahison, des dogme traditionnels, le péché originel principalement, d’autant que les données nouvelles qui ont modulé le darwinisme sont venues élargir l’écart? Eh bien des efforts inimaginables sont faits actuellement pour gommer les contradictions, mais ce sera à mon avis impossible sans faire vaciller les dogmes donc normalement tout l’édifice catholique. Ces efforts vont, entre autres, dans le sens d’une stratégie de recul et d’évitement. Aujourd’hui en effet l’Eglise ne cherche plus, comme du temps d’Amaury de Chartres et ses disciples, de G Bruno et de Galilée, à chapeauter la science car celle-ci devient trop menaçante pour elle; elle préconise la séparation des domaines religieux et scientifiques. Le Jésuite B. Sesboüe expose clairement les choses. La science dit-il doit s’occuper du comment, du commencement, des causes immanentes dites secondes. A la religion de s’occuper du pourquoi, de l’origine, des causes transcendantes dites premières, et d’ajouter: « Il n’y a aucun conflit de principe entre l’ordre du comment et l’ordre du pourquoi. » Et il nous est même annoncé que science et religion « doivent se rejoindre » quelque part, mais « le point de jonction est au-delà de toute représentation et de ce fait nous n’avons pas prise sur lui. » Nous voilà bien avancé!…

Jean Paul II a courageusement choisi le reniement de ses prédécesseurs en faisant une énorme concession à la science

« …De nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite d’une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres, constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie. » (15)

Ajoutons ces propos de J. M. Maldamé, membre de l’Académie Pontificale des Sciences:

« la lecture historicisante du texte biblique est désormais impossible. L’interprétation ancienne ne correspond pas aux faits. […] Toutes les tentatives de concordisme sont fausse dès le principe. Les imposer au nom de la foi relève de la mauvaise foi « . (16)

Même opinion de la part du père Pierre Grelot (17) qui ne craint pas de critiquer l’encyclique de Pie XII: « en matière exégétique, il (le document du pape) conservait la lecture « historicisante » de Gen 1:3 qu’il faut certainement écarter. »

Dont acte! Alors par qui étaient donc inspirés tous ceux qui pendant des siècles ont prôné l’historicisme et le concordisme? On a envie de répondre: le diable!

L’acceptation de la théorie de l’évolution par Jean-Paul II est une acceptation à 50% car il a bien rappelé devant l’Académie pontificale des sciences du 22 octobre 1996 l’affirmation de Pie XII dans l’encyclique « Humani generis »: « si le corps humain tient son origine de la matière vivante qui lui préexiste, l’âme spirituelle est immédiatement créée par Dieu » et d’ajouter: « Avec l’homme, nous nous trouvons donc devant une différence d’ordre ontologique, devant un saut ontologique, pourrait-on dire . »

Il reste donc, malgré l’effort pour se rapprocher de la science, une discordance énorme avec elle, celle de la dissociation de l’organique et du psychique. Dans ce domaine, le croyant est dualiste pendant que le scientifique est moniste. Déjà Darwin, en son temps, avait bien précisé les choses quand il écrivait: » : » Si considérable qu’elle soit, la différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux les plus élevés n’est certainement qu’une différence de degré et non d’espèce…Des sentiments et intuitions, diverses émotions et facultés, telles que l’amitié, la mémoire, l’attention, la curiosité, l’imitation, la raison, etc., dont l’homme s’enorgueillit, peuvent s’observer à un état naissant, ou même quelquefois assez développés, dans les animaux inférieurs. »

La paléontologie humaine apporte de nombreuses preuves de la réalité de l’évolution et de l’indissociabilité corps/esprit. Sur 5 ou 6 millions d’années (à partir d’australopithecus afarensis, jusqu’à l’homme moderne, les espèces fossiles retrouvées sont de moins en moins simiesques donc de plus en plus humaines. Même si le progrès est parfois « brusque », la paléontologie nous offre de nombreuses marches entre la première, (l’ancêtre le plus lointain) et la dernière (celle d’Homo sapiens). Et parallèlement aux progrès de la capacité crânienne ( triplement du nombre de neurones en 2 millions d’années), on constate, par l’outillage fossile retrouvé, un net progrès culturel qui témoigne donc d’un lien étroit entre le cerveau et les performances de la pensée. Les sciences psychophysiologiques et neurobiologiques n’ont d’ailleurs jamais pu dissocier l’organique du psychique. L’escalier des évolutionnistes avec ses nombreuses marches n’a rien à voir avec l’escalier à deux marches des théologiens modernes: la marche de l’animalité d’une part et la marche de l’humanité d’autre part, avec, entre les deux, intervention de Dieu pourvoyeur d’âme fondatrice de la spécificité humaine.

On attend toujours des théologiens progressistes qu’ils situent parmi les homininés fossiles la coupure animal / homme. Leurs écrits à ce propos, par ailleurs si prolixes dans leur utopique tentative d’accorder leurs dogmes à la science de l’évolution, sont, sauf exception, lumineusement parlants par leur brièveté. Ce problème de frontière est devenu un énorme casse tête théologique voire la quadrature du cercle théologique car, de plus, les progrès de l’éthologie animale sont venus pulvériser le hiatus que le judéochristianisme avait mis entre l’animal et l’homme.

La plupart des critères humains annoncés concernant le propre de l’homme ne cessent de tomber. Ce sont entre autres, des femmes éthologues, (Les « anges de Leaky »: Jane Goodal pour les chimpanzés, Dian Fossey pour les gorilles et Biruté Galdikas pour les orang-outans) qui ont fait avancer l’étude du comportement des grands singes et en ont montré la véritable complexité. C’est ainsi aujourd’hui que des critères comme les outils, le langage, le rire ,l’intelligence, la conscience, la culture ont été relativisés, tant les données actuelles parlent contre une discontinuité, un hiatus entre animalité simiesque et humanité. Presque tout ce qui est typiquement humain est en germe chez les singes qui sont biologiquement les plus proches de nous. (Cette absence de frontière est évidemment un fort argument en faveur de la conception évolutive.)

Les conséquences scientifiques de tout cela ont été un affinement de la classification zoologique. Nous ne sommes plus les seuls représentants de la famille des hominidés, les systématiciens y ont inclus les grands singes, chimpanzés et bonobos en tête.

Aujourd’hui bien des scientifiques et des philosophes battent en retraite quant à la recherche des spécificités. Par exemple Elisabeth de Fontenay, philosophe, écrit:

« Affirmer que l’homme ne peut et ne doit pas être défini apparaît donc comme la seule façon, éthiquement, politiquement et scientifiquement convenable de procéder. »

Nous voyons donc que l’Eglise a une conception du psychisme humain qui ne cadre absolument pas avec ce que disent les neurosciences sur le psychisme. Malgré ses efforts d’aggiornamento elle reste ici en désaccord profond avec les données scientifiques.

Si nous épousons cependant sa conception en en restant simplement à l’évolution acceptée des corps il s’agit maintenant de montrer que l’Eglise est en contradiction avec elle-même. Car elle devient en contradiction avec ses propres dogmes, en premier lieu le péché originel (18) et donc avec tous les autres qui lui sont liés surtout le baptême, la rédemption et l’immaculée Conception et sa justification du mal de ce monde.

L’acceptation de l’évolution biologique des corps contredit l’enseignement traditionnel dispensé jusqu’au siècle dernier:

– le corps humain n’a donc pas été créé immortel et parfait tout d’un coup dans une nature paradisiaque. J. M. Maldamé en convient en toute honnêteté: « ce que l’on sait de l’histoire de la vie montre que la mort biologique n’est pas apparue avec le péché de l’homme. » (Cette affirmation est contraire au concile de Carthage!)

– A partir du moment où les hommes fossiles témoignent d’une activité typiquement humaine, ils sont déjà une foule et non un couple (50000 Adam, 50000 Eve disait Y. Coppens) donc la notion de couple initial Adam/Eve s’effondre. La question de la désobéissance de « nos premiers parents » s’effondre aussi. Plus de péché originel donc! Ce que l’Eglise a enseigné pendant presque 2000 ans à propos de la Genèse, passe de l’histoire au mythe! Avec un toupet désarmant certains pères ironisent ou prennent un air condescendant pour critiquer ces soi-disant anciennes interprétations dont cependant on fait toujours état dans le catéchisme officiel. Aujourd’hui s’est instauré un double langage, le langage traditionnel pour la masse et le langage moderne pour les croyants cultivés.

Relevons ici les expressions du père Grelot pour qui la conception classique, écrit-il, « conduit à ce résultat aberrant: nous héritons par voie de génération, de la culpabilité encourue par le premier homme! Et l’on se demande alors ce qui se serait passé si ce premier homme n’avait pas péché!… » Le pape actuel, bien qu’ardent défenseur des dogmes, alors qu’il n’était que cardinal est allé lui aussi jusqu’à dire: « Aujourd’hui, rien ne nous paraît plus étranger, voire plus absurde que de défendre le péché originel , car selon nos critères, la faute ne saurait être que personnelle. »

Pierre Grelot ajoute: « Rêver d’une vie sans problème dans une terre paradisiaque relève d’illusions infantiles dont beaucoup d’adultes ont quelque peine à se défaire. » Voilà que le clerc fait le travail critique à la place de l’athée qui ajoutera simplement que l’infantilisme a duré bien longtemps!…

Le comble de l’impudeur, (excusez l’expression) est atteint par le jésuite G. Martelet. Voyons comment il se débarrasse pour son aggiornamento, d’une déclaration conciliaire bien embarrassante qui est celle- ci: « Quiconque dit qu’Adam le premier homme a été créé mortel de sorte que, qu’il péchât ou non, il devait mourir corporellement, c’est à dire quitter son corps, et que la mort ne serait pas un conséquence du péché mais une nécessité de nature, qu’il soit anathème. » Le concile énonce donc que la vérité est que l’homme a été créé immortel et qu’il est devenu mortel avec le péché.

Voici la solution trouvée par le jésuite:

« Une telle affirmation, étant en contradiction formelle avec une donnée scientifique évidente, ne peut pas être l’objet direct de l’anathème conciliaire. Si les Pères de l’Eglise ont pensé, eux aussi, que la mort biologique ne faisait pas partie intrinsèque de l’identité naturelle de l’homme, leur opinion doit être respectée comme un signe de leur fidélité à l’Ecriture, mais elle n’a pas à devenir la nôtre, puisqu’elle est chez eux un effet de culture, mêlé à la révélation. » (19) On ne peut plus clairement mettre à la corbeille un texte du Magistère, et reconnaître que la science a gagné, que l’inspiration scientifique est supérieure à l’inspiration divine!

Insistons sur les nouvelles conceptions du péché originel en retenant celle du Père Grelot cité ci-dessus. Selon lui le péché originel se rapporte à notre origine individuelle et non à l’origine de l’humanité, il désigne « notre condition pécheresse, […] exactement ceci: notre condition native ne comporte pas en elle-même, l’amitié avec Dieu et la participation à sa vie; seule la grâce du Christ peut nous les assurer ». Donc, si j’ai bien compris, Dieu nous a créé dans un état d’inimitié avec lui, prévoyant en même temps, que la grâce du Christ pourra le transformer en amitié; cela s’appelle faire une création tordue!

Le péché d’Adam est le péché des origines c’est à dire  » l’événement originaire par lequel s’est inaugurée l’histoire de notre race pécheresse ».

Ce qui est, a été donc dès l’avènement de l’homme et Grelot de s’interroger:  » l »avènement de l’homme avec l’avènement de la liberté, n’a-t-il pas constitué, par lui-même, une épreuve de choix qui s’est soldée par un échec? C’est le péché des origines (ou d’Adam) qu’évoque la Genèse sous la forme d’un récit symbolique qui laisse la réalité concrète à son mystère ». Avec le mystère nous voilà bien soulagé!

Adam n’est plus considéré comme une personne mais comme la figure éponyme de l’humanité. Cette façon de voir s’éloigne radicalement de l’enseignement séculaire de l’Eglise, en effet Si Adam représente l’ensemble des hommes, on assiste à un véritable étalement du péché originel traditionnel dans le temps. Il n’est plus transmis, mais répété avec chaque vie humaine, il devient en quelque sorte un péché actuel. Le péché d’Adam n’est plus qu’ « inaugural« . Bref la notion doctrinale de « péché originel » se dissout totalement! Les conceptions modernes n’ont plus rien à voir avec celles de St Paul, des conciles de Carthage et Trente, et plus récemment avec la profession de foi de Paul VI, elles sont donc en fait hérétiques! En d’autres temps elles eussent mérité le bûcher!

La science a donc démoli le dogme du péché originel alors tombent aussi les dogmes qui lui sont liés!

– Que signifie aujourd’hui, dans le cadre de la conception de Jean Paul II le baptême censé laver de la faute originelle?

– Que signifie le sacrifice rédempteur du Christ dont on a rabâché pendant des siècles qu’il était venu pour racheter les péchés du monde consécutifs à la désobéissance originelle?

– Que signifie le dogme de l’Immaculée Conception (Marie conçue en dehors du péché originel si ce dogme est mort?)

– Si maintenant la création se réduit à un Dieu directeur des mécanismses de l’évolution, ce Dieu devient responsable des imperfections de cette évolution et de tous les maux qui lui sont liés.

Dieu passe par le stade de l’imperfection pour atteindre la perfection, il est donc impuissant et les maux subis par ses créatures deviennent inévitables; nous voilà devant un Dieu non tout puissant et non infiniment bon. Donc si on conserve sa préscience, il apparaît mauvais!

Au moins selon l’enseignement traditionnel le mal venait du mauvais usage de la liberté humaine; Dieu en était exempt. Si il y a eu évolution dieu devient responsable de ces maux, il aurait donc dû ne pas créer pour éviter les horreurs de ce monde et conserver sa perfection.

Ce qu’il faut donc déduire de tout cela c’est que Dieu a péché d’avoir créé un monde en évolution. Le premier pécheur, c’est lui! Le péché originel est divin ! Voilà où mène la conception semi-évolutionniste de l’Eglise! Des dogmes qui s’écroulent, un dieu responsable du mal: bref les fondements même du catholicisme s’effondrent et les croyants n’ont plus qu’à faire comme Renan, envelopper leur foi dans un linceul et le la déposer sur le lit des dieux morts. La science a gagné!

L’OFFENSIVE ACTUELLE CONTRE L’ÉVOLUTIONNISME

L’ouverture initié par Jean-Paul II, nous l’avons vu, pose plus de problème qu’elle n’en résout. Le nouveau pape, Benoît XVI, très axé sur la tradition semble en recul par rapport à son prédécesseur. Alors qu’il était le cardinal Ratzinger, dans un prêche à la cathédrale de Münich, « . Il assassine la Sélection Naturelle de Darwin, ce deuxième grand acteur de l’évolution en déclarant que les scientifiques lui attribuent « des propriétés divines qui, dans ce contexte, illogiques et non scientifiques, ne sont qu’un mythe moderne« . La conception évolutionniste qui rend compte de l’homme sans « l’hypothèse Dieu » est donc mythique! Souvenons nous que les théologiens considèrent que le récit de la genèse est « démythifiant », par rapport aux mythes de la création qui l’ont inspiré et considérons combien la dialectique du cardinal est remarquable!

Juste après la mort de J P II, le cardinal Schoenborn de Vienne a fait savoir « que l’on ne pouvait interpréter les discours de Jean Paul II comme étant une reconnaissance de l’évolutionnisme. » (Juillet 2005 dans le New York Times)

Dans une publication récente (avril 2007) Benoît XVI est revenu sur la théorie de l’évolution déclarant qu’elle « n’est pas prouvable empiriquement, car il est impossible de mettre en laboratoire 10.000 générations » et quelle « implique, dit-il, des questions qui doivent être du ressort de la philosophie. »

La pensée de Benoît XVI est que « les grands projets du vivant révèlent une raison créatrice« . Cette position est peu différente de L’I D ( Dessein intelligent) américain dont il nous faut parler maintenant plus en détail. L’I D ne fait pas référence à Dieu. Il postule que la complexité de la nature autorise l’hypothèse d’une intelligence supérieure. Cette conception a été imaginée par les créationnistes américains pour contourner leur constitution (le 1er amendement interdit l’enseignement de toute option religieuse dans les écoles publiques.) Ils veulent faire passé L’I D comme une théorie scientifique qui devrait être enseignée au même titre que le Darwinisme sous l’appellation de « créationnisme scientifique« . (Cf annexe 2)

Tout cela est orchestré par la puissante institution américaine Discovery Institute qui a élaboré une stratégie de cléricalisation de la sphère publique. Son document fondateur (« Wedge Document » qui devait rester secret…) révèle un « planning » qui fait froid dans le dos. L’objectif prévoit que la théorie de l’ID doit devenir l’optique dominante dans le domaine scientifique…

Une autre fondation, la fondation John Templeton, finance dans le cadre d’une stratégie mondiale, des programmes d’enseignement qui associent science et religion.

En France l’U I P (Université Interdisciplinaire de Paris), plus prudente sur la forme, poursuit le même objectif. L’une de ses membres, Anne Dambricourt le dit clairement: ‘Il s’agit pour nous de rechercher les cohérences entre science et foi, d’approcher rationnellement la croyance…« 

Le projet catholique STOQ (Science Théologie et Quête Ontologique) a pour but, selon son directeur, de faciliter le dialogue entre science et foi, ce qui, selon lui, n’est pas seulement une obligation morale, mais d’une certaine façon, également une nécessité scientifique!

Tout cela est en cohérence avec les orientations vaticanes, Jean-Paul II ayant prôné au dernier jubilé des scientifiques « l’élaboration d’une culture et d’un projet scientifique qui laissent toujours transparaître la présence de l’intervention providentielle de Dieu. »

De son côté l’Islam exerce une pression sur les enseignants par envoi d’une documentation: « L’Atlas de la Création« , réfutant le darwinisme et la théorie de l’Evolution.

Dans la sillage de l’I D des scientifiques croyants ont établi un pseudo principe scientifique: le principe anthropique. La version forte de ce principe énonce que les constantes physiques et la matière sont telles que l’évolution cosmique ne pouvait que nécessairement conduire à l’homme. En d’autres termes la matière paraît avoir été informée dès l’origine pour produire l’homme; il n’y a alors plus qu’un petit pas à faire pour aboutir au programmeur…

Dans une conférence à l’université Laval au Québec, sur le thème science et foi, le Cardinal Poupard insiste longuement sur ce principe anthropique et considère que la nouvelle vision cosmologique « est une authentique révolution conceptuelle qui replace l’homme au centre de l’univers. » Il se réjouit de constater que « la même science qui hier affirmait que l’homme n’est pas le centre de l’univers, montre aujourd’hui que tout le cosmos est organisé de manière extraordinaire, pour rendre possible l’apparition et la survie de l’homme. » Et de citer F. Bacon: « un peu de science éloigne de Dieu; beaucoup de science y ramène. » Le cardinal a beau nous dire qu’il ne veut faire que des rapprochements avec le récit biblique et pas du concordisme, on voit très bien de quel côté va sa conviction.

Par tous les moyens L’Eglise catholique cherche à réduire l’écart entre la science et ses dogmes en diminuant ses exigences. Dans un récent ouvrage « Science et foi en quête d’unité », le dominicain Maldamé légitime en cosmologie et biologie les discours scientifiques excluant tout recours à la finalité tout en ne l’excluant pas théologiquement car nous précise-t-il « il faut bien comprendre que seul un Dieu transcendant peut agir sans fausser les lois de la nature ». (20)

Tout récemment, en 2006, le Jésuite Georges Coyne qui vient de quitter la direction de l’Observatoire du Vatican a prononcé une conférence (21) où il pose cette question: « Avons-nous besoin de Dieu pour expliquer cela ? (l’évolution cosmique et biologique) Y a-t-il derrière tout cet ensemble évolutif une certaine finalité, une certaine orientation, un certain propos ? Ma réponse personnelle est : pas du tout. Je n’ai pas besoin de Dieu, merci. En essayant de comprendre l’univers, je peux très bien m’en tirer simplement en utilisant la même faculté que celle par laquelle je le connais. » Il va même jusqu’à contester l’omnipotence et l’omnivoyance divines. Il se permet ce jugement après avoir forgé une étonnante notion, celle de fertilité de l’univers; il serait trop long de développer son argumentation mais cela le mène à constater « une telle directionnalité dans l’évolution de la vie dans l’univers, (qu’) elle nous mène inévitablement à évoquer une intentionnalité sous une forme ou sous une autre. » Et voilà le théologien qui retombe sur ses pieds tout simplement parce qu’il avait implicitement placé dieu dans son concept ad hoc de fertilité!

Ainsi le lobbying religieux est sournois mais ne cesse de progresser, même en Europe, toujours en retard par rapport à l’Amérique. Un fait récent est symptomatique: chargé par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de rédiger un rapport sur « les dangers du créationnisme dans l’éducation », M. Guy Langagne n’a pu présenter ses travaux devant cette instance, en dépit de leur approbation préalable par la Commission de la culture, de la science et de l’éducation. Son inscription à l’ordre du jour a été repoussée sine die.

Tout cela campe bien le statut de la science et celui de l’idéologie car la religion relève en effet de l’idéologie. Il y a historicité évolutive des sciences mais transhistoricité figée des idéologies. L’idéologie puise dans la science des faits nouveaux pour mieux masquer sa permanence historique. Le but des idéologues de la religion est de toujours trouver des arguments pour sauver Dieu. Et certains ne reculent devant rien, n’hésitant pas, au détriment de l’honnêteté intellectuelle, et je pèse mes mots, à masquer les problèmes aux yeux du grand public. Dans l’Encyclopaedia Universalis, par exemple, à l’article Adam, nous pouvons lire, sous la plume du théologien A.M. Dubarle : « Le conflit entre l’évolutionnisme biologique et la vérité religieuse de la bible apparaît maintenant comme dépassé« . Pourquoi donc alors Dubarle a-t-il écrit un livre de plus de 400 pages sur le péché originel ?? (22) ( ce que vient de faire aussi , fin 2008, le dominicain jean Maldamé; et j’ai recensé par ailleurs, des dizaines de publications sur le Péché Originel , c’est donc qu’il y a un sérieux malaise dogmatique! )

En conclusion je dirai qu’à mon sens, la convergence voire la symbiose entre Science et foi dogmatique est impossible, et c’est ce qu’on cherche à nous cacher par des raisonnements ad hoc. Cette foi est finalement, à mon sens, contre la raison car, disait VOLTAIRE, elle « consiste à croire ce que la raison ne croit pas. »

Cela dit, il ne faudrait pas que la raison tombe dans les travers qu’elle dénonce, c’est à dire qu’elle devienne dogmatique à son tour! Il ne faudrait pas déduire des contradictions mises précédemment en évidence, que la science interdit toute foi. Il est bien clair qu’on n’empêchera pas à l’homme, cet être étonnement religieux et grand producteur de sacré, de se poser toutes sortes de questions devant la profonde énigme du réel; de se poser, entre autres, celle-ci: « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? C’est la question, disait Martin Heidegger, qui s’étend le plus loin. »

Pour ceux qui veulent garder une foi tout en ne défiant pas les lois de la logique, il reste une foi très en-deçà d’une foi religieuse, c’est à dire une foi déconnectée des dogmes religieux, comme par exemple une foi simplement déiste ou théiste.

Dans ce domaine de la foi personnelle, on pourrait dire que la raison philosophique a largement devancé la raison scientifique. C’est DESCARTES en particulier qui marque la rupture avec le Dieu de la Révélation, mais le rationalisme scientifique va plus loin que le rationalisme métaphysique. Il n’interdit pas un Dieu personnel mais il n’en ressent plus la nécessité, alors que pour Benoît XVI , pape des plus dogmatiques, on ne devrait pas laisser Dieu à l’entrée du laboratoire.

Dans cette optique on ne peut s’empêcher de penser à ces courants américains qui furent d’ailleurs nommés rationalistes et qui exercèrent une influence certaine sur l’élite intellectuelle fondatrice de l’Amérique indépendante. Ainsi Thomas Paine disait: « mon esprit est mon église« , et Thomas Jefferson: « je suis une secte à moi tout seul » et il alla jusqu’à publier sa propre bible, une bible laïcisé, au contenu épuré, coupé de la Révélation et centré sur les enseignements moraux. (Conf 126 C E Renan)

WITTGENSTEIN, philosophe anglais d’origine autrichienne, a aussi fort bien dit les choses lui qui rêvait d’une religion « qui, disait-il, serait finalement sans dogmes, sans Eglises, sans ministres et même , d’une certaine façon , sans croyances (sans croyances théoriques en tout cas)« . Il pensait même que ce serait probablement la religion de l’avenir » « une religion qui ne peut être finalement que celle du silence, par la vie » où il suffirait d’écouter « le prêche silencieux de la nature« .

Le mathématicien anglais WHITEHEAD, devenu philosophe à la retraite, soutient une conception à peu près semblable. Son Dieu n’est pas un Dieu créateur ni un Dieu de salut; c’est, selon l’une de ses commentatrices, le « halo d’inquiétude produit par les certitudes du monde. »

Je dirai pour terminer que la science est finalement épurative de la foi et je suis heureux de constater qu’un grand théologien, Hans Küng qui n’est plus en odeur de sainteté au Vatican, dans son récent livre « Petit traité du commencement de toutes choses« , jette allègrement par dessus bord la pesanteur dogmatique, comme le montrent les citations ci-dessous:

– « La foi ne consiste certainement pas à tenir pour vraies toutes les propositions doctrinales que l’Eglise demande de croire. »

Il rejette l’infaillibilité pontificale, les dogmes sur Marie et va même jusqu’à dire: « Je ne crois pas aux arrangements légendaires tardifs concernant le message de la résurrection dans le Nouveau Testament. »

Je m’arrête car il y aurait encore trop de choses à dire. Je citerai simplement pour finir cette pensée de Sigmund FREUD tirée de son ouvrage « l’avenir d’une illusion »:

« notre science n’est pas une illusion. Mais ce serait une illusion de croire que nous pourrions recevoir d’ailleurs ce qu’elle ne peut nous donner. »(23)

Bruno ALEXANDRE

NOTES

(1) J. Bottéro – Naissance de dieu – Gallimard – 1992 – p 27

(2) I. Finkelstein – N. A. Silberman – La bible dévoilée – Bayard – 2002

(3) L Wittgenstein – Remarques mêlées – cit. de J Bouveresse in « Peut-on ne pas croire » – p 255

(4) E Durkheim – – Les formes élémentaires de la vie religieuse – PUF – 1960 – p 595

(5) J Bouveresse – in Le Monde diplomatique – Fév. 2007

(6) Catéchisme de l’Eglise catholique – Centurion/Cerf – 1998 – p768

(7) J Ellul – Islam et judéochristianisme – PUF – 2004 – p 64,65

(8) E Renan – L’Avenir de la science – G. Flammarion – 1995 – p 106

(9) S J Gould – L’éventail du vivant – Seuil – 1977 – p 59

(10) Ibid. p 55

(11) Ibid. p 264

(12) Cf, par exemple, J J Kupiec, P Sonigo – Ni Dieu ni gène – Seuil – 2000

(13) P. Tort – Darwin et la science de l’évolution – Gallimard – 2000 – p 95

(14) Ibid. p 108

(15) Jean Paul II – Déclaration devant l’Académie pontificale des sciences – 1996

(16) J M Maldamé – Esprit et vie – N° 13

(17) P Grelot – Homme qui es-tu? – Cahiers Evangile – N° 4

(18) J’approfondis cette question dans mon essai: Création ou Evolution? La science et le crépuscule des dogmes – Ed des Ecrivains – 2004

(19) G Martelet – Libre réponse à un scandale – la faute originelle la souffrance et la mort – Ed du Cerf – 1992 – p x

(20) J. M. Maldamé – Science et foi en quête d’unité – Cerf – 2003 – p 257

(21) G Coyne – La fertilité de l’univers – cf www.theologia.fr

(22) A M Dubarle – Le péché originel – Cerf – 1999

(23) S. Freud – L’Avenir d’une illusion – PUF – 1995 – p 57

COMPLEMENT BIBLIOGRAPHIQUE

(ouvrages non cités dans les notes)

– J. Arnould – Dieu versus Darwin – Albin Michel – 2007

– J. Bouveressse – Peut-on ne pas croire? – Sur la vérité, la croyance et la foi – Agone – 2007

– P Boyer – Et l’homme créa les dieux – Gallimard – 2001

– Y. Christen – Conférences du Cercle E. Renan – N° 38, 57, 100

– A. Cresson – Errnest Renan – Sa vie Son œuvre Sa philosophie – PUF – 1949

– A. Cugno – Au cœur de la raison – Raison et Foi – Seuil – 1999

– R. Debray – J. Bricmont – A l’ ombre des Lumières – Odile Jacob – 2003

– R. Debray – C. Geffré – Avec ou sans Dieu? Le philosophe et le théologien – Bayard – 2006

– J. Dubessy – G. Lecointre – Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences – Syllespse – 2001

– J. Dubessy – G. Lecointre – Les matérialismes (et leurs détracteurs) – Syllepse – 2004

– S.J. Gould – Et Dieu dit: « Que Darwin soit » – Seuil – 2000

– A. Jacquard – J. Lacarrière – Science et croyances – Ed. Ecriture – 1994

– P. Picq – Lucy et l’obscurantisme – Odile Jacob – 2007

– G. Rachet – Conférences du Cercle E Renan – N° 76

– J. Ratzinger – Au commencement Dieu créa le ciel et la terre – Fayard – 1986

– P. Tort – La seconde révolution darwinienne – Kimé – 2002

– P. Tort – Marx et le problème de l’idéologie – PUF – 1988

– P. Tort – Misère de la sociobiologie – PUF – 1985

ANNEXES

ANNEXE 1 :

La généalogie darwinienne de la morale. (P. Tort in Sciences et Avenir hors série N° 139)

« La sélection naturelle étant le moteur d’une évolution qui englobe celle de l’homme, il résulte du continuisme darwinien qu’elle est nécessairement à l’origine de caractéristiques telles que la conscience, la rationalité, les habitudes sociales, le sentiment esthétique et le sens moral. La civilisation possède un lien d’origine avec le mécanisme qui gouverne l’évolution générale du vivant et, comme ensemble adapté de traits comportementaux, résulte donc de la sélection naturelle. C’est là l’un des points fondamentaux du matérialisme moniste de Darwin, qui s’oppose ainsi massivement à toutes les prétentions des philosophies spiritualistes issues des diverses traditions religieuses.

En même temps que des avantages morphologiques et physiologiques adaptatifs, la sélection naturelle sélectionne des facultés et des instincts. La sélection accentuée des instincts sociaux et des capacités rationnelles au fil de l’évolution humaine entraîne un développement conjoint des sentiments et comportements affectifs liés à la vie communautaire – sympathie, solidarité, assistance mutuelle, importance croissante accordée à l’opinion d’autrui, sens du devoir, aptitude au sacrifice personnel. La sélection des instincts sociaux et de leurs conséquences évolutives – telles l’extension indéfinie du sentiment de sympathie à l’ensemble de l’humanité et la reconnaissance de l’autre comme semblable – se trouve par conséquent à l’origine du sens moral, des conventions éthico-sociales et de l’institutionnalisation de l’altruisme. Ainsi, la sélection naturelle, d’abord éliminatoire, tend à être abolie sous sa forme première par le succès évolutif de ce qu’elle a elle-même sélectionné. Destituée de sa prééminence au profit de l’éducation, elle se transforme pour l’essentiel en compétition pour un plus haut niveau de moralité et d’efficacité communautaire. La protection des faibles, caractéristique de la civilisation et fidèle mesure de son développement, se substitue à leur élimination. Tendanciellement, l’extension de la sympathie à l’humanité entière et, ultimement, le sentiment d’humanité envers les animaux remplacent les anciennes conduites guerrières ou brutalement dominatrices. (C’est ce que j’ai nommé en 1983 l’effet réversif de l’évolution, introducteur au sein de l’évolution non d’une rupture, mais d’un effet de rupture dérivant de l’application à la sélection naturelle de sa propre loi dépérissement des anciennes formes). La sélection naturelle sélectionne donc la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. Cette logique, exactement déduite de l’analyse instruite du rapport entre biologie évolutive et théorie de la civilisation chez Darwin, rejette inexorablement tout discours de type sociobiologique reposant sur l’idée d’une continuité simple entre constitution biologique et évolution sociale – thèse du darwinisme social spencérien classique simplement réitérée sous une forme actualisée par la sociobiologie. La continuité biologico -civilisationnelle chez Darwin est une continuité réversive, ce qui assure la capacité fondatrice des civilisations et libère les sciences morales de toute vassalité envers la biologie.

La question des origines du sens moral « du point de vue de l’histoire naturelle » (« la Filiation de l’homme », chapitre IV) se résout donc très logiquement chez Darwin du côté d’une phylogénie de la morale. Celle-ci explore des processus et n’est nullement concernée par la problématique des fondements. Plus ou moins consciemment, cette question des fondements renvoie à la postulation implicite d’une légitimation sacralisante des valeurs par une instance qui serait transcendante aux processus simplement immanent de l’émergence sélectionnée de celles-ci et de leur imposition communautaire. La problématique des fondements est intégralement métaphysique. Le sentiment de la valeur qui habite le sujet obéissant à la loi morale relève, lui, de l’analyse psychologique des mécanisme de valorisation garantissant l’adhésion subjective aux représentations qui assurent la cohésion du groupe. Cette analyse relève en droit des sciences psychologiques et sociales. »

ANNEXE 2:

a) les procès américains

Sur le plan fédéral des pressions considérables sont faites par les représentants des parents d’élève des écoles publiques.

Des procès célèbres ont eu lieu.

Le premier, le plus retentissant, est le procès de John Scopes à Dayton en 1925 dans le Tennessee. Le procès est gagne par les créationnistes malgré leur piètre argumentation et un vice de forme empêche un recours à la Cour suprême.

La loi du Tennesse resta inscrite dans les textes mais à vrai dire sans être appliquée, demeurant cependant comme une épée de Damoclès menaçant les enseignants trop audacieux.

Cette situation ambiguë dura jusqu’en 1968. Une enseignante de l’Arkansas (Suzanne Epperson) attaqua devant la cour suprême une loi semblable à celle du Tennessee. Cette loi fut déclarée anti-constitutionnelle vu le 1er amendement de la constitution américaine.

(La Cour Suprême avait invalidé en 1963, une loi de l’Arkansas imposant la lecture quotidienne de la Bible dans les écoles publiques.)

Un 2ème procès du singe a lieu au début des années 1980 à Little Rock dans l’Arkansas, cette fois il est perdu; La Cour suprême confirme en 1987. (Il était demandé un temps égal d’enseignement de la science de la création et de celle de l’évolution)

Le 3ème procès du singe a lieu à Dover (2005) en Pennsylvanie. Le tribunal a refusé l’enseignement de l’ID comme théorie scientifique.

En Europe le problème s’est posé dans plusieurs pays , Allemagne, Pays Bas, Pologne…

La dernière affaire est toute récente: L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe devait discuter et voter durant sa session ouverte le 25 juin 2007 un rapport préconisant que les thèses créationnistes ou assimilables doivent rester en dehors des programmes scientifiques des établissements scolaires européens.

Le parlementaire français Guy Lengagne, rapporteur de la commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a été sollicité puis désigné pour rédiger et présenter ce rapport. Ce rapport a été adopté lors de la dernière réunion de la commission le 31 mai 2007.

Le 25 juin 2007, le parlementaire belge Luc Van den Brande, connu pour ses convictions catholiques, a demandé que ce rapport ne soit pas discuté en séance plénière. Après vote, par 63 voix contre 46 et 10 absentions, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe décidait que ce rapport ne serait pas examiné.

b) L’avis de P. TORT sur le « Dessein Intelligent » (in Le Nouvel Observateur – hors série N° 61)

« Des spéculations de l’Intelligent Design se dégage donc une pénible impression de déjà-vu. Il paraît grotesque, pour un spécialiste de l’évolution de voir resurgir au sein de sa propagande l’antique allégorie – chère aux déistes du XVIIIème siècle – de l’horloge et de 1’horloger, ou de voir brandir encore l’argument cent fois réfuté de l’impossibilité d’aboutir par voie de sélection à la production d’un organe aussi complexe que l’œil des mammifères. Ou d’entendre affirmer qu’un peu de science éloigne de Dieu et que beaucoup de science y ramène. L’ordre de la connaissance objective – celui de ce que l’on nomme la science – est irréductible à celui de la croyance, puisque croire est, précisément, ne pas savoir. J’ai longuement développé ailleurs l’idée que la réitération est le mode d’être des grandes idéologies parascientifiques, et qu’en l’absence radicale de nouveauté, ce sont la répétition, la résurgence et le remaniement qui caractérisent le comportement historique de l’idéologie en général. Le créationnisme scientifique, le principe anthropique et le dessein intelligent sont autant de composantes foncières de la plus ancienne théologie naturelle, et autant de versions diversement ajustées, mais convergentes, de son adaptation aux nouvelles données des sciences de la nature, du cosmos et de la vie. »