DÉCLARATION : A propos de l’encyclique papale « Laudato si » Écologisme et Vatican : le syncrétisme (saint quiétisme) ultime ?
Voici donc que Jorge Mario Bergoglio, dit le pape François, nous gratifie d’une interminable encyclique (laudato si : 186 pages et deux petites prières), consacrée pour l’essentiel aux questions de l’écologie – entendez de l’environnement. Sa parution a été précédée d’une campagne médiatique forcenée dans laquelle le journal La Croix s’est évidemment illustré. Les libres penseurs ne pouvaient se dispenser d’analyser en profondeur cette production de l’adversaire. En dépit de son caractère extrêmement verbeux, on découvre au fil de sa lecture un texte très politique.
Sous couvert des problèmes d’environnement, dont vraisemblablement le plus haut dignitaire de l’Église catholique se moque comme de sa première chasuble, il ne s’agit rien moins que de rassembler les forces politiques les plus variées et les plus efficaces de l’impérialisme mondial autour des solutions éprouvées de l’institution ecclésiale pour faire accepter leur sort aux opprimés. Cela se fait, bien entendu au nom de la « lutte contre la pauvreté », fond de commerce principal de la maison depuis deux millénaires, avec les résultats exaltants que l’on connaît.
L’encyclique revêt trois aspects : En premier lieu, un ralliement partiel à l’écologisme politique qui est aussi un appel à ce dernier. En second lieu une référence assez hypocrite à la Théologie de la Libération, et enfin une actualisation exacerbée de la Doctrine sociale de l’Église. Ces trois aspects sont absolument convergents et défendent un ordre mondial qu’il s’agirait seulement de moraliser. Rien de bien nouveau, mais l’opération fonctionne.
Le « ralliement » à l’écologisme politique
L’encyclique opère un ralliement presque complet à toutes les thèses emblématiques de l’écologisme (sauf peut-être le nucléaire) : décroissance, réchauffement climatique, biodiversité, déforestation. La manière dont il aborde la décroissance est caractéristique : «Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties». Il s’agit bien de parties du monde et non de classes sociales. Il est donc sous-entendu que ce sont les peuples des pays développés qui doivent entrer en décroissance, prétendument au profit de ceux des pays défavorisés.
La référence au réchauffement climatique n’apparaît pas moins de neuf fois dans le texte. Bergoglio s’y est rallié en dépit de l’opposition d’une partie des cardinaux notamment Pell. Il s’abrite derrière le consensus scientifique, et en tire immédiatement les conclusions qui arrangent l’institution : « Le climat est un bien commun de tous et pour tous ». « L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation ». Bien sûr, le réchauffement est causé par « l’énorme consommation de certains pays riches », dont les peuples sont accusés d’avoir une responsabilité directe sur les régions les plus pauvres de la terre. Et si le pape met en cause les « multinationales » (comme les écologistes), ce n’est pas pour accuser le capitalisme, mais l’attitude non chrétienne de ces entreprises en les appelant à la moralisation : « Ces situations provoquent les gémissements de sœur Terre, qui se joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur exigeant de nous une autre direction.»
Voilà que, plus fort que Jeanne d’Arc, il entend gémir la Terre ! Pour cette phrase certains évêques ont lancé l’accusation grave de polythéisme ! Peu importe. L’important c’est la notion de maison commune, concept fondamental de tout le corporatisme de l’Église catholique. Elle est dans le sous-titre et apparaît douze fois dans l’ensemble du texte ! Tous, riches et pauvres, nous habitons la même maison, nous avons donc les mêmes intérêts. Les discours apocalyptiques des écologistes radicaux sont bienvenus puisqu’ils appuient la doctrine sociale de l’Église, subsidiaire et corporatiste.
L’appel aux écologistes comme soutien idéologique
Et Bergoglio ne ménage pas ses appels à cette mouvance politique : « Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long chemin, digne d’appréciation, et il a généré de nombreuses associations citoyennes qui ont aidé à la prise de conscience ». Il fait le lien avec la subsidiarité : « La société, à travers des organismes non gouvernementaux et des associations intermédiaires, doit obliger les gouvernements à développer des normes, des procédures et des contrôles plus rigoureux ». Enfin il fait le lien entre la dite société civile et les satellites de l’Église catholique et appelle les innombrables associations qu’elle anime à rejoindre le mouvement : « Un effort de sensibilisation de la population incombe à la politique et aux diverses associations. À l’Église également. Toutes les communautés chrétiennes ont un rôle important à jouer dans cette éducation. J’espère aussi que dans nos séminaires et maisons religieuses de formation, on éduque à une austérité responsable, à la contemplation reconnaissante du monde, à la protection de la fragilité des pauvres et de l’environnement » (page 163 – sourate 214). L’austérité responsable… Tout un programme !
Théologie de la « libération » ou du maintien de l’exploitation ?
D’aucuns interprètent l’encyclique comme un ralliement à la Théologie de la libération. Ce serait étrange de la part d’un prélat qui a soutenu activement la en Argentine et n’a – au minimum – rien fait pour empêcher les persécutions que cette tendance de l’Église catholique a subies. On a qualifié également l’ouvrage de tiers-mondiste. La Libre Pensée n’a jamais entretenu aucune illusion sur cette tendance ecclésiastique qui a pu, un moment, servir de flanc gauche à une Enlise qui sait avoir toujours plusieurs fers au feu. On ne peut nier cependant que des prêtres, inspirés par ou se réclamant de cette théologie ont combattu pour la libération de leur peuple et ont subi la répression. On ne peut oublier, a contrario, que la Congrégation pour la Doctrine de la foi a condamné ce mouvement en 1984. Laudato si marquerait-il donc un ralliement de l’Église en la personne de Bergoglio à une idéologie libératrice pour les pauvres du tiers monde ? Une lecture attentive du document ne montre rien de tel.
Certes, Bergoglio se réfère abondamment aux travaux du CELAM (Conseil Episcopal Latino- Américain) qui a vu naître le terme en 1968, mais, il s’agit de la Vème conférence en 2007 et, quand il emploie le terme de « libération », c’est soit dans un sens spirituel, soit de libération des maux environnementaux. Pour le reste, le discours n’a pas varié depuis Rerum novarum et Quadragesimo anno qu’il cite à plusieurs reprises. Sortir de la pauvreté, oui, mais en aucun cas par la révolte de ceux qu’il nomme les pauvres, uniquement par la sollicitude chrétienne des puissants, des Etats, des organisations internationales. Il va même jusqu’à suggérer un gouvernement mondial : « il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, [saint] Jean XXIII »
Quant à sa sollicitude pour les pays pauvres, elle ne sert qu’à inciter les peuples des pays riches à se serrer la ceinture. Le traitement de cheval infligé à la Grèce doit le combler, puisque la Grèce, européenne, fait évidemment partie des régions nanties qui consomment immodérément. Jésuite jusqu’au bout des ongles, il n’ira jamais jusqu’à dire que là est la bonne voie. En bref, Laudato si est la seconde modernisation de Rerum novarum après Quadragesimo anno.
C’est encore et toujours la Doctrine sociale de l’Église
Elle est omniprésente dans toute l’encyclique, on peut même dire que c’en est le vrai sujet. La nouveauté réside dans le fait que Bergoglio a parfaitement compris la parenté profonde de cette doctrine sociale, avec celle de la plus grande part des organisations écologistes. Il a donc l’intention de susciter une alliance avec cette mouvance politique, particulièrement au niveau de l’Union Européenne, mais pas seulement, pour garantir l’ordre mondial et s’opposer, en fait, à la révolte qui monte. Il a parfaitement compris à quel point l’écologisme nie les rapports de classe en promouvant un activisme dirigé contre certaines grandes entreprises, ou de manière vague contre les « multinationales » sans jamais remettre en cause fondamentalement le système du profit, rebaptisé « économie de marché », qu’il s’agirait seulement de réglementer et de moraliser. Là où le dit pape François va plus loin que ses prédécesseurs, c’est qu’il reconnaît l’utilité idéologique de l’écologisme, parfaitement intégré dans la pensée dominante. A part cela, Bergoglio reprend les termes mêmes de Léon XIII, réclamant une « juste rétribution » des efforts du travail et en incitant les puissants aux vertus chrétiennes.
De ce point de vue, l’une des deux petites prières qui clôt l’encyclique est un vrai chef d’œuvre : « Ô Dieu des pauvres, […] Touche les cœurs de ceux qui cherchent seulement des profits aux dépens de la terre et des pauvres. »
Une foule d’arguments théologiques
Si l’opuscule fait 186 pages, c’est que la pilule n’est pas forcément facile à avaler par les franges les plus conservatrices et les moins politiques de la Curie romaine. Beaucoup de vieux cardinaux voient encore les écologistes comme une force de subversion gauchiste. Ils n’ont pas encore compris que l’écologisme est devenu part de l’idéologie dominante, Bergoglio si. Il y a également des réticences dans la clientèle bourgeoise traditionnelle. Par exemple, une dénommée Nathalie MP, diplômée de l’ESSEC, voit dans ce texte une attaque contre le libéralisme (sur le journal internet Contrepoints.org). Il faut quand même de bons yeux. Civitas s’est abstenu de célébrer l’encyclique. Alors, Bergoglio, qui sait que la pilule peut être amère, joue de La pensée franciscaine comme alibi à l’écologisme. Laissez venir à moi les petits oiseaux. En faux franciscain et vrai jésuite, il agite la pensée de François d’Assise comme Bisounours pour les soldats du Christ.
Le ralliement des écologistes
Le moins que l’on puisse dire est que l’appel à l’œcuménisme a été bien compris par les écologistes. L’encyclique a suscité chez eux un enthousiasme extraordinaire. Il faut dire que l’opération avait été préparée par le bâton de pèlerin de Nicolas Hulot (plénipotentiaire spécial de François Hollande). Dans leur chemin de Damas, les organisations écologistes n’y vont pas de main morte.
« Habemus papam ecologicum » communique Europe- Écologie les Verts le 18 juin en ajoutant : «Rejet du consumérisme, apologie de la sobriété, dénonciation des puissances de l’argent, questionnement légitime autour du progrès et en particulier des OGM…» et François de Rugy, Président du groupe parlementaire écologiste à l’Assemblée nationale d’ajouter : « Je suis frappé de voir à quel point l’encyclique est convergente avec ce que nous disons depuis des années ». Et tous de souligner à quel point l’expression de « maison commune » est juste et agréable à leurs oreilles. Il n’en faut pas plus pour qu’ils se vautrent littéralement dans le cléricalisme : « Qu’une autorité morale de ce niveau rappelle à quel point la situation est grave donne de la crédibilité à nos thèses » applaudit le sénateur EELV Le Dantec. Pour eux, l’Église reste une valeur sûre. Bien évidemment, il existe de menues pommes de discorde telles que la démographie et l’avortement mais, pour paraphraser un film culte : « nobody’s perfect! ». Vont-ils communier dans la chapelle du Parlement de Strasbourg ? Voilà qui serait d’une grande portée symbolique !
L’ultime syncrétisme ?
Laudato si invite à l’alliance de deux des forces porteuses d’idéologie les plus réactionnaires du monde. Au profit de qui ? Au premier chef, de l’ordre mondial, pour plus que jamais, obscurcir les voix de la révolte devant la décomposition sociale grandissante du monde. Mais au bout du compte, cet ultime syncrétisme a pour vocation de ranimer la vigueur de l’Église catholique apostolique et romaine, bien mieux organisée que l’informe nébuleuse écologiste.
La Libre Pensée ne peut que s’opposer à cette nouvelle entreprise cléricale.
Jean-Sébastien Pierre Président de la Fédération nationale de la Libre Pensée Professeur émérite à l’Université de Rennes-1 Spécialiste en Écologie mathématique Paris, le 15 août 2015
Télécharger le PDF : Laudato si Dernière encyclique papale août 2015
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.