Vème Congrès mondial de l’AILP Montevideo 19 et 20 septembre 2015 Contribution du CLP-KVD
Belgique : L’Église toujours à l’offensive contre l’enseignement public !
Contrairement à la France où la Révolution française de 1789 a ouvert la porte à la création de l’instruction publique laïque, il n’en a rien été en Belgique. La révolution belge de 1830 dans ce pays déboucha sur une monarchie constitutionnelle ainsi qu’une reconnaissance de certains cultes, un enseignement privé-confessionnel (catholique essentiellement) et leur financement par l’État.
Aujourd’hui, l’offensive cléricale mondiale se traduit en Belgique par le fait que l’Église catholique n’a de cesse de reconquérir le monopole intégral de l’enseignement qu’elle avait à l’origine, à défaut, de s’imposer toujours plus comme acteur incontournable dans l’enseignement public. A cet effet, elle utilise deux leviers :
– le premier est l’augmentation des subventionnements publics attribués à son enseignement, confessionnel (dit « libre »), ce qui par effet entraîne un définancement de l’enseignement public, non confessionnel, (et dit « officiel »). Ainsi en 2011, l’école confessionnelle a détourné et capté à son profit la moitié du budget total de l’enseignement dans la partie francophone du pays. A elle seule, l’Église catholique obtient pour son école l’écrasante majorité des budgets alloués à l’école dite « libre »
– le second, moins visible mais tout aussi omniprésent, est de contrôler l’organisation de l’enseignement public et notamment de peser sur les contenus des programmes scolaires. Les développements récents autour des cours dits « philosophiques » en sont une illustration la plus actuelle.
Quelques repères historiques
A l’origine de la Belgique
1830 : Imposé par les puissances européennes – et ne résultant pas d’un mouvement national, populaire – l’État belge, État artificiel, fut constitué anti-démocratiquement à partir d’un compromis entre les forces sociales dominantes : propriétaires fonciers, capitalistes et l’Église catholique. Celle-ci obtenait la liberté des cultes, la liberté d’enseignement et leur financement par l’État. L’Église catholique renforçait ainsi son poids et ses avantages dans les institutions. Les « libéraux » obtenaient la liberté d’opinion et de presse. Le Congrès de 1830, élu au suffrage censitaire et capacitaire, donna naissance à un État bourgeois doté d’une monarchie constitutionnelle, héréditaire.
N’en déplaise à ceux qui le prétendent, il est faux d’affirmer, que la Constitution monarchiste, libérale a établi la séparation de l’Église de l’État. La preuve en est à titre d’exemple, qu’aujourd’hui encore : la fête nationale commence par un Te Deum avec présence du roi, chef de l’État, et des membres du gouvernement; le roi s’agenouille devant le Pape; le roi refuse de signer la loi permettant l’avortement au nom des ses convictions catholiques; la priorité donnée aux cardinaux sur les membres du gouvernement dans l’ordre protocolaire; le ministre de la défense accompagne des militaires à Lourdes; le subventionnement massif de l’enseignement qualifié de « libre » mais en réalité enseignement privé catholique; ou, encore tout récemment, l’ingérence de l’État dans l’organisation du culte musulman.
1842 : L’enseignement passe sous la coupe de l’Église, les quelques écoles publiques existantes sont placées sous sa tutelle. Elles doivent organiser un cours de religion donné par le clergé. « Pas d’enseignement, surtout pas d’enseignement primaire sans éducation morale et religieuse, et nous entendons par éducation religieuse, l’enseignement d’une religion positive. Nous rompons avec les doctrines politiques du XVIIIe siècle qui avaient prétendu séculariser complètement l’instruction et constituer la société sur des bases purement rationalistes. » s’exclamait J-B Nothomb, premier ministre à l’époque.
La première guerre scolaire
1879-1884 : Elle commence sur le terrain de l’école primaire, par la loi Van Humbeek, appelée « loi de malheur » par les catholiques, qui contraint chaque commune à organiser une école neutre, interdit le subventionnement des écoles privées confessionnelles et supprime l’enseignement de la religion. La réaction du parti clérical (Parti Catholique) à cette loi fut extrêmement violente. Au nom des « droits de l’Église », il réaffirme « le droit divin d’intervenir dans l’école où se fait l’éducation de l’enfance et de la jeunesse chrétienne pour imprimer à cette éducation un caractère moral et religieux. ». Revenu au pouvoir en 1884, le parti catholique finance massivement les écoles primaires catholiques et démantèle des écoles primaires publiques.
Cependant, devant la montée en puissance du mouvement ouvrier avec la fondation du Parti Ouvrier Belge en 1885 et la constitution, la même année, de la Fédération Nationale de Libre Pensée, le parti clérical sera contraint à des compromis : gratuité de l’enseignement en 1911 ; enseignement obligatoire de 6 à 12 ans en 1914, etc..
La seconde guerre scolaire
1951-54 : La majorité parlementaire catholique déclenche une offensive qui va donner lieu à la « deuxième guerre scolaire », l’enjeu, cette fois, étant l’enseignement secondaire. Ce ne sera plus au nom des « droits de l’Église » mais au nom de la « liberté de choix du père de famille » qu’elle augmente massivement les subventions des écoles confessionnelles, instaure des structures consultatives paritaires (privé-public) compétentes, notamment, dans les programmes, les méthodes pédagogiques mais aussi dans la décision de création d’écoles publiques ou privées. L’Église peut intervenir dans l’organisation et le fonctionnement de l’enseignement public et réaffirme, par là, le rôle supplétif qu’elle assigne à l’enseignement public ! 1954-58 : De retour au pouvoir, la coalition libérale-socialiste ne remet pas totalement en cause le financement public de l’école catholique et accepte d’importantes concessions en faveur de celle-ci. Ce n’est cependant pas suffisant pour l’Église, le parti clérical et la CSC (syndicat chrétien), qui lancent un mouvement de grève contre ces mesures. La « seconde guerre scolaire » se terminera par la conclusion d’un « Pacte scolaire »
Le « Pacte scolaire »
1958 : Négocié entre trois partis (socialistes, chrétiens et libéraux), ce pacte contraint l’État : à financer les écoles privées confessionnelles en prenant en charge la totalité des frais de personnel mais aussi une large part des frais de fonctionnement et oblige les écoles publiques à organiser l’enseignement religieux.
L’enseignement catholique sort vainqueur de ce pacte.
En 1988, à l’occasion d’une révision constitutionnelle, le pacte scolaire est « constitutionnalisé », « bétonnant » les positions du pilier catholique et de son enseignement. Ce qui pour les laïques est considéré comme un recul important dans le combat pour la laïcité de l’école publique et de l’État.
Last but not least, en 1992 l’enseignement confessionnel est assimilé à un service public fonctionnel sans être astreint aux lois du service public. L’attentisme, pour ne pas dire plus, des représentants officiels de la laïcité a consacré cette interprétation.
Jusqu’à aujourd’hui, ce « Pacte scolaire », reste le socle intouchable qui organise l’École en Belgique. Loin de consacrer une soit-disant paix scolaire, c’est sur lui que s’arque-boute l’enseignement confessionnel, très majoritairement catholique, pour obtenir toujours plus de privilèges et notamment une augmentation de son subventionnement.
Ainsi, l’objectif de V. Jacobs, ministre catholique de l’intérieur, en 1884 : « L’État doit en matière d’enseignement préparer sa propre destitution » se réalise progressivement. Cet objectif est toujours à l’agenda des forces cléricales. Les derniers événements de cette année 2015 viennent à leur tour prendre place dans cet historique des affrontements ce que nous verrons plus avant..
Dans ce contexte, le combat pour une véritable laïcité, et particulièrement de l’enseignement public, laïque (mais c’est loin d’être exclusif) est plus que jamais nécessaire en Belgique.
Neutralité ou laïcité ?
Au vu de ce qui précède, on pourrait poser la question de la laïcité en Belgique et répondre : ça n’existe pas ! Ça n’a jamais existé (ou très occasionnellement) et n’existe toujours pas. Certes de nombreux combats ont été menés par des laïques. Ainsi, d’aucuns nous envient certaines conquêtes dans les domaines relevant des « questions éthiques » (fin de vie dans la dignité, IVG, etc.). Cependant, la laïcité institutionnelle, c’est-à-dire celle où il ne peut y avoir de place pour l’expression d’opinions religieuses, antireligieuses ou métaphasiques dans la sphère publique, n’est concrétisée ni dans la loi, ni dans les faits en Belgique. L’exemple de l’École le prouve à souhait.
Ce qui existe, c’est la dite « neutralité » basée sur un partage d’influence, d’une coexistence tantôt plutôt pacifique, tantôt plutôt tendue, entre les divers « piliers » : pilier socialiste, catholique et libéral avec leur syndicat, leurs mutuelles, leurs diverses organisations (Jeunesses ouvrières chrétiennes, Femme prévoyantes socialistes, anciennement les coopératives, etc) leurs cercles, leur université ou écoles supérieures, leurs centre d’étude (dont certains ont une influence majeure.) etc.
Ce système « à la belge » maintient les différents territoires sociaux, idéologiques, convictionnels, etc. dans une sorte de coexistence – parfois conflictuelle – pour autant que chacun soit officiellement reconnu. Ainsi s’exprimait, en 2005 P. Damblon, président du Centre d’Action Laïque (CAL) : « […] Lorsqu’il y a une cérémonie nationale importante le Cardinal Archevêque est présent, à côté de lui il y a le Président du synode protestant, à côté de lui, il y a le Président de l’organisation juive qui représente la religion juive de notre pays, à côté il y a le Président du Centre d’Action Laïque, qui est là à part égale. Il y a donc une reconnaissance de fait de la Laïcité philosophique ».
Reconnaissance de fait, donc reconnaissance manifestement officielle, donc … subventionnement par l’État. C’est ce qui se passe quand le CAL revendique et obtient le subventionnement des ses conseillers dans les prisons, « à côté » des aumôniers catholiques, « à côté » des aumôniers protestants, « à côté » des aumôniers musulmans, tous subventionnés. Mais ne s’agirait-il pas là d’une mission de service public ? Faut-il, comme d’aucuns l’ont dit, que ces conseillers « portent un dossard » ? N’est-ce pas l’accréditation par CAL d’une intrusion de la sphère convictionnelle dans la sphère publique et qui décrédibilise la revendication du non subventionnement des cultes ? Claude Javeau parle à juste titre de la laïcité ecclésialisée.
Bien entendu, l’État bourgeois qui, in fine, n’est pas idiot, ouvre le porte-feuille, car il a bien compris l’opportunité de ce système de coexistence et de neutralité garant d’un « pacte social », encore un, comme le « pacte scolaire » dont on parlait plus haut. La Belgique est le pays des pactes et des compromis.
Au Cercle de Libre Pensée – Kring voor het Vrije Denken (CLP-KVD) nous pensons que le CAL, représentation « officielle » majeure de la laïcité en Belgique, est maintenant malencontreusement engagé dans cette voie de reconnaissance qui produit une renonciation à la laïcité institutionnelle. Nous pensons que cette voie est une impasse car, selon nous, elle paralyse le combat pour une laïcité digne de ce nom et mène à bien des compromissions.
Une illustration de celles-ci est la demande du président du CAL, par voie de presse en 2013, à savoir que s’il faut faire des économies, qu’on les fasse ailleurs que dans l’enseignement, et que si ce n’est pas possible, qu’on répartisse l’effort entre le réseau public et le réseau confessionnel ! Ainsi, au nom d’une « équitable répartition de l’effort » on en arrive à se faire arbitre de la politique d’austérité de l’Union Européenne. Et cruel dilemme que de devoir faire des économies « ailleurs » ! Dans le secteur de la santé, du logement social, des pensions, etc.? Si au moins le président du CAL avait parlé du budget de la Défense Nationale, … ou du coût de la monarchie…
Une question d’actualité brûlante : Cours de religion, de morale ou de philosophie ?
Suite aux attentats commis à New-York, à Londres, à Madrid, au musée Juif de Bruxelles en mai 2014, à Paris, etc le désarroi a subitement saisi les mandataires politiques à travers l’Europe. Les plus droitiers imaginant le retrait de la nationalité, le retour du salut au drapeau et à l’hymne national dans les cours de récréation, les moins droitiers ont imaginé un nouvel enseignement : celui de l’histoire des religions et de la laïcité, des droits de l’homme, de la citoyenneté… Ceci pour apprendre aux élèves à se comporter convenablement dans la société, ce qu’ils nomment le « vivre ensemble ». Voyons ce qu’il en est en Belgique.
Deux éléments se télescopent durant la législature actuelle (2014-2019) :
D’une part, l’accord gouvernemental Parti Socialiste – CDH (le parti catholique) (2014-2019) prévoit la suppression d’une des deux heures hebdomadaires de cours de religion ou de morale non confessionnelle et son remplacement par une heure de cours de « philosophie et de citoyenneté ». Cette heure s’adresserait à tous les élèves de l’enseignement public. L’accord précise, que cette réforme se fera sans perte d’emploi pour les professeurs en place. Et l’on se retrouve dans la situation ubuesque, où un élève inscrit en cours de morale car refusant de suivre un cours de religion, se retrouve tout de même face à un professeur de religion, dans le cadre du cours de « philosophie et de citoyenneté » !
D’autre part, un arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015 rappelle que si l’école publique est tenue d’organiser un cours de morale non confessionnelle et un cours de religion, leur fréquentation n’est pas une obligation constitutionnelle. Suite à cet arrêt, les écoles publiques doivent désormais organiser, à partir de 2016, un cours « de philosophie et de citoyenneté » pour les élèves refusant de suivre le cours de morale non confessionnelle ou un cours de religion. Ce nouveau cours serait donné par les professeurs de religion ou de morale en place. Serait-ce Kafka cette fois ci ? L’élève qui aurait choisi de ne pas choisir le cours de morale ou de religion se retrouverait devant l’enseignant d’une de ces deux matières !
Dans les deux cas, les cléricaux ont exigé et obtenu :
– que les professeurs de religion, ne relevant que de la seule hiérarchie religieuse, pourront assurer le « cours de philosophie et de citoyenneté » ;
– un droit de regard sur le contenu de ce nouveau cours : la religion fera bel et bien partie du programme du « cours de philosophie et de citoyenneté » !
Ce qui permettra à l’Église catholique :
- confrontée à une déconfessionnalisation importante de la société belge, d’exercer dorénavant une influence sur tous les élèves fréquentant l’école publique ;
- de continuer à phagocyter l’école publique.
Quelle solution ?
Voici ci-dessous la position adoptée par le CLP-KVD sur la question des cours de religion, de morale ou de philosophie :
Le Cercle de Libre Pensée – Kring voor het Vrije Denken estime que :
Le Cercle de Libre Pensée – Kring voor het Vrije Denken se prononce pour :
Le Cercle de Libre Pensée – Kring voor het Vrije Denken décide de faire campagne et de mettre tout en œuvre pour aller dans ce sens. |
Il est clair que ce combat particulier pour la suppression des cours de religion et de morale et leur remplacement par un cours de philosophie sera rude. Il suffit de voir comment l’Église, forte de la place historique qu’elle occupe dans les structures de l’enseignement en Belgique, place quasi-organique, est montée au créneau. On ne peut pas éluder, à ce propos, la responsabilité de la laïcité officielle. L’Église catholique, continuera la guerre. Malgré ledit « Pacte scolaire », ou plutôt, en partie grâce à lui, pacte qui donne un caractère légal, institutionnalisé à ses appétits insatiables. Simple exercice d’une démocratie revendicative ne manqueront pas de dire les cléricaux !
Bien entendu, ce combat est un combat transitoire à destination du seul enseignement dit « officiel », c’est-à-dire non-confessionnel, face à l’enseignement dit « libre subventionné », l’enseignement confessionnel, qui reste largement maître chez soi, mais qui continuera à ne pas s’en contenter.
Combat transitoire, mais audacieux quand même, car avec lui peut se profiler (ce que l’Église doit bien comprendre) la mise en question du fameux « Pacte scolaire », un des piliers de l’État belge. Peut-on espérer cette audace de la part de la laïcité officielle belge, c’est-à-dire du CAL ?
Ce combat ne prend tout son sens que s’il s’inscrit dans le combat plus général, nullement dépassé, il faut l’affirmer clairement :
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