A propos du débat sur la laïcité en Belgique


A PROPOS DU DÉBAT SUR LA LAÏCITÉ EN BELGIQUE

 

Francisco Ferrer

Francisco Ferrer

Pour le CLP-KVD, la laïcité est la « laïcité politique », et non la « laïcité philosophique » : c’est un dispositif politique et juridique, un dispositif de liberté, garantissant la liberté de ne pas croire ou de croire, et, comme conséquence, la liberté religieuse, impliquant la neutralité de l’État en matière de convictions philosophiques ou religieuses, la séparation totale des Églises et de l’État (un État ne peut se réclamer ni de l’athéisme ni d’une quelconque religion). Les convictions philosophiques ou religieuses relèvent de la vie privée dans laquelle l’État et ses institutions n’ont pas à intervenir et dont elles ont à garantir le respect.

A cet égard, il faut ne pas confondre sphère privée et espace privé d’une part et d’autre part sphère publique et espace public. La sphère privée est le domaine dans lequel une personne se meut en tant que personne privée, que ce soit dans la rue, dans un espace public, dans une institution publique comme ayant droit (commune, CPAS, ministère, transport public, etc…) alors que son espace privé est limité à son domicile, celui de ses amis où il est invité, etc…

La sphère publique est celle où une personne agit en tant que représentant (fonctionnaire) d’une institution publique (Commune, école publique, Région, État, transport public, autre institution publique ou assimilée, etc…) alors que l’espace public est constitué de tous les lieux qui ne sont pas des lieux privés (habitation, réunions privées, etc…).

Dans la sphère privée, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire et tout ce qui en découle qui prévalent : liberté d’expression, d’habillement, d’affirmation, etc… Dans la sphère publique, tout agent d’une institution publique, dans l’exercice de sa fonction publique (il n’est dans la sphère publique qu’à ce moment-là) est tenu de manifester dans son apparence et son comportement la neutralité des institutions publiques tant vis-à-vis des ayant-droits que vis-à-vis des collègues (aucun signe politique, philosophique ou religieux).

Pour ce qui est des écoles publiques, la règle appliquée aux élèves de l’enseignement obligatoire (en plus des professeurs en tant qu’agents du service public) relève d’une raison particulière, à savoir que l’instruction, l’enseignement, visent à faire connaître aux élèves les connaissances, les savoirs scientifiques et leurs méthodes, lesquels, quelles que soient les opinions ou convictions intimes des scientifiques et de leurs dispensateurs, impliquent de faire abstractions de ces opinions ou convictions pour permettre aux élèves et étudiants d’acquérir ces connaissances dans le cadre de la plus grande objectivité permise dans le cadre du développement actuel des sciences ; dès lors, pour les élèves aussi, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, si elles sont admises dans la rue (sphère privée), doivent être laissées dans les vestiaires de l’École publique (il est à remarquer d’ailleurs, que sous la pression des enseignants de l’école libre [catholique très principalement], la plupart des écoles de ce réseau se rallie en pratique à ce point de vue).

La séparation totale des Eglises et de l’Etat implique que l’Etat ne finance aucun culte ni aucune conviction philosophique, contrairement à ce qui se pratique en Belgique avec le financement des cultes reconnus et du CAL (qui en se faisant financer par l’Etat au même titre que les religions reconnues a abandonné ce combat essentiel); le non financement des convictions religieuses ou philosophiques est d’ailleurs la seule manière de respecter l’égalité de toutes les convictions.

En matière d’enseignement, la séparation totale des Eglises et de l’Etat exige l’application du principe : fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée. Ce qui en Belgique, compte tenu de son histoire particulière et de la place de l’enseignement catholique, n’est pas une mince affaire et fera certainement l’objet d’un long combat, quelle que soit la solution préconisée dans ce but: nationalisation de l’enseignement dit libre, établissement d’un seul réseau public d’enseignement (comment ?) ou autre formule.

C’est dans le cadre de ce point de vue et des débats qu’il implique, alors que surgit du côté francophone de notre pays une discussion publique sur la « laïcité » que nous vous faisons connaître l’allocution du Président du CAL devant le Sénat ce 23 février dernier.

Le Président du CLP-KVD

Le 28/02/2016

Complété le 05/03/2016

PDF

 

Allocution du Président du CAL

Impartialité et régime des libertés: quel point de rencontre?

Ce mardi 23 février s’est tenu au Sénat un colloque intitulé « Constitution: impartialité et régime des libertés ». Mais quel est le point de rencontre? Pour le président du Centre d’Action Laïque, Henri Bartholomeeusen, cela ne fait aucun doute: il s’agit de la laïcité. Car la laïcité est bien autre chose que l’eau tiède de la neutralité, de la tolérance de l’État. Elle est est le principe universel d’impartialité objective qui autorise le régime des libertés. 

Retrouvez, dans son intégralité, l’allocution d’Henri Bartholomeeusen

 Quel est le point de rencontre ?

Un seul mot me vient à l’esprit : la laïcité.

La laïcité n’est pas un cadeau tombé du ciel.  Elle est le résultat d’une longue évolution de la pensée dont l’aventure commence vraiment avec le concept de tolérance développé au 18e siècle par Locke.

Au sortir des guerres de religion, celui-ci repose sur deux célèbres propositions :

  1.  Nul n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre
  2.  Nul n’est tenu de n’en avoir aucune

C’est un progrès considérable puisque le citoyen n’est plus tenu d’appartenir à la religion du roi. Il demeure que si vous êtes libre de choisir votre religion, c’est à la condition d’en avoir une. L’Athée n’est donc pas toléré. Avec un homme sans foi, par définition sans loi, il n’est pas possible de construire du lien social.

En traversant le Channel, le concept va subir l’influence des Lumières et s’élargir à une troisième proposition. Il se déclinera dorénavant comme suit :

  1.  Nul n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre.
  2.  Nul n’est tenu de n’en avoir aucune.
  3.  Nul n’est tenu d’en avoir une, plutôt qu’aucune.

Comme le relève Catherine Kintzler, nous sommes alors très proches de la laïcité. Mais, pas encore. Pour y accéder, outre ce régime de liberté, il faudra ajouter une exigence supplémentaire, l’impartialité du Prince.

La Tolérance ne suffit pas. La liberté ne suffit plus. Elle doit être garantie au citoyen qui en devient le juste créancier. Elle exige l’émancipation notamment par le partage des savoirs.

L’accès à l’école publique, moderne, l’école mixte, gratuite et obligatoire pour tous, celle de la Ligue de l’Enseignement en Belgique, en France et en Espagne constituera le centre de la bataille pour la modernité aux 19 et 20e siècles.

La Belgique y a joué un rôle historique dont nous pouvons légitimement nous enorgueillir. À l’heure de la mondialisation, à l’heure où la multi-culturalité de sociétés peut tendre à l’interculturalité, ce chantier n’est pas achevé.

En ce début de 21e siècle, la laïcité n’est pas un concept à géométrie variable. Elle a une histoire et une définition.

Parce qu’elle réunit les valeurs fondamentales de la société démocratique post-moderne qui instaure l’État de droit, cette définition est essentielle au moment de réenvisager une possible modification de la Constitution, au moment d’organiser la suppression progressive des cours de religion à l’école publique, leur contrôle dans l’enseignement subventionné, leur remplacement par un cours commun.

Cette définition est essentielle, pour finaliser une véritable impartialité du pouvoir civil, confirmer la neutralité des mandataires publics, des organes et préposés des services publics sur les plans fédéral, communautaire et régional.

Essentielle, pour permettre une démocratisation accrue de l’école, engager la lutte contre la radicalisation des cultes et cultures.

Essentielle enfin, pour endiguer les replis identitaires et les communautarismes.

Face à ces enjeux, certains préfèrent recourir à l’eau tiède de la neutralité, de la tolérance de l’État, sans même s’assurer ou comprendre que la laïcité est bien autre chose.

Indispensable à l’essence de nos démocraties occidentales, garante du respect des droits humains et des libertés fondamentales, elle se trouve pourtant au centre, au cœur même de notre système politique, garante de la modernité.

Femmes et hommes politiques, à quelques exceptions près, ont jusqu’à très récemment, évité cette clarification, probablement parce qu’elle ne leur paraissait plus indispensable.

Éviter les débats, respecter les idées, les idéologies, les sacrés au nom de la tolérance, voici l’irénisme, la neutralité auxquels nous a convié le « politiquement correct ».

Le terrain laissé en friche par les uns ne fut pas perdu pour d’autres. Il fut reconquis, immédiatement réoccupé, par des mouvements certes encore minoritaires, populistes et extrémistes.

Pour vider un concept de son sens, il suffit de lui accoler un adjectif. Ainsi, la laïcité « ouverte », celle des « accommodements raisonnables » ressemble à tout sauf à la laïcité.

C’est notamment celle qui, par respect pour la personne, vous donne pour impératif de ne point critiquer son idéologie, sa doctrine ou sa foi… : exit la liberté d’expression au nom des droits de l’Homme.

Or, la laïcité, c’est le principe politique et humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité d’un pouvoir civil démocratique qui s’oblige à contribuer à l’émancipation des citoyens.

La laïcité n’est donc pas plurielle dans sa définition. L’adjectiver revient à la dénaturer.

Nous la voulons sans attribut, minimaliste, distincte de l’infinité des actions qu’elle peut fonder. Mais nous la souhaitons pleine et entière.

Alors que tous nos partis démocratiques peuvent, sans exception, s’accorder sur cette définition et décider d’exprimer clairement ces valeurs qui fondent l’État moderne et post-moderne, le risque grandit pourtant de voir amplifier un mouvement clientéliste, conservateur, voire réactionnaire.

Une tentation encore timide, mais qui traverse le spectre politique, tout le spectre, aussi bien à gauche qu’à droite, sans épargner le centre.

Ainsi, certains voudraient réduire la laïcité au concept politique de séparation des Églises et de l’État, d’autres à la neutralité, d’autres enfin, à la tolérance.

Gardons-nous de ces ambiguïtés.

Si la séparation des Églises et de l’État est déjà consacrée par les articles 19, 20 et 21 de l’actuelle Constitution, si la tolérance l’est plus spécifiquement par l’article 19, aucun de ces concepts n’a jamais constitué un antidote ou simplement fait obstacle aux fondamentalismes, aux intégrismes ou radicalismes porteurs des communautarismes.

La neutralité, par nature équivoque, revêt, nous le savons, des significations bien différentes selon qu’elle s’applique,

  • à L’État, auquel elle n’imposerait qu’un devoir d’impartialité subjective qui permet de réintroduire les crucifix dans les salles de classe des écoles publiques…
  • aux juges, qu’elle contraint fort heureusement à une impartialité dite objective…
  • aux mandataires publics, aux organes et préposés des services publics…
  • à l’école et aux enseignants…

PARCE QUE LA LAÏCITÉ EST UN PRINCIPE POLITIQUE ET HUMANISTE QUI OBLIGE LES POUVOIRS PUBLICS,

PARCE QU’ELLE NE SE LIMITE PAS À LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L’ÉTAT,

PARCE QU’ELLE DIFFÈRE D’UN RÉGIME DE NEUTRALITÉ OU DE TOLÉRANCE À L’ANGLO-SAXONNE,

PARCE QUE LA LAÏCITÉ SE FONDE SUR LES LIBERTÉS INDISSOCIABLES DES  DROITS HUMAINS, L’ÉGALITÉ ET LA SOLIDARITÉ,

LA LAÏCITÉ EST LE PRINCIPE UNIVERSEL D’IMPARTIALITÉ OBJECTIVE QUI AUTORISE LE RÉGIME DES LIBERTÉS.

Principe à la fois politique et humaniste, dégagé de toute ingérence religieuse, il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation de toutes et tous, de chacune et de chacun, par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen.

Voilà pourquoi, que ce soit par la modification des dispositions existantes ou l’ajout d’un article sous le Titre II « Des Belges et de leurs droits », les citoyens que nous sommes, revendiquent de voir ces valeurs explicitement intégrées à notre charte fondamentale.

Les citoyens que nous sommes revendiquent le choix démocratique d’un destin individuel et collectif sans l’abdiquer au profit de quelques traditions ou prescrits religieux que ce soit, si louables fussent-ils.

Et que peut-on nous opposer ?

Principalement trois mauvaises raisons.

La première mauvaise raison consiste à prétendre que la laïcité serait antireligieuse.

Nous venons de voir que c’est tout le contraire.

Anticléricale, la laïcité propose — en lieu et place des guerres, des conversions volontaires et forcées ou de la simple tolérance de la religion la plus faible par la plus forte — une solution inédite. La libre expression de toutes les religions dans l’espace public au prix de leur possible critique.

La laïcité est ainsi seule garante de leur coexistence paisible. Du vivre, libre, ensemble dans le respect de la loi civile commune. La laïcité est leur avenir.

La seconde mauvaise raison, réside dans le fait que la laïcité peut apparaître fermée, peu respectueuse du sacré.

Comme je l’ai dit, il est exact qu’elle ne fait pas obligation au citoyen de respecter la foi ou la conviction d’autrui sans la discuter. Mais elle l’oblige à respecter sa personne, indépendamment de toute autre considération.

En cela elle impose la protection du citoyen contre les fondamentalistes ou intégristes qui prétendent exiger le respect de leurs idées au nom de leur dignité. Discuter leur Vérité c’est leur manquer de respect et les fonder à leur tour, à cesser de vous tolérer.

Cette protection — que ne garantit pas une simple neutralité de l’État —, profite à tous et chacun, toutes et chacune, en ce compris aux adeptes d’une foi ou d’une conviction…

La troisième mauvaise raison serait, comme l’exprime Jozef De Kesel, que la laïcité aurait pour effet de reléguer les communautés religieuses à l’espace privé. Elle les confinerait, pour reprendre son expression, à la chambre à coucher. Elle serait propice à l’apparition d’un vide religieux, vide dangereux source de radicalisme.

Une fois de plus il n’en est rien.

Les religions et les cultes sont, par nature, des théologies partagées.

Elles ne se réduisent pas à l’intimité d’une foi personnelle. Elles ne peuvent exister que dans l’espace public, dans la conscience et la pratique commune de leurs adeptes.

La liberté de conscience, la liberté de culte et de religion que défend la laïcité aux côtés de la liberté d’expression (notamment la leur), est la plus belle assurance dont les religions pacifiées puissent rêver au sein de notre démocratie.

Henri Bartholomeeusen

Président du Centre d’Action Laïque

Février 2016