Le feu
Journal d’une escouade
par Henri Barbusse
Durant vingt-deux mois, dans les tranchées, en premières lignes, H. Barbusse tint un carnet de guerre. Ces notes serviront pour son roman : Le Feu. Journal d’une escouade, publié en 1916 qui obtint le prix Goncourt la même année.
Le sous-titre du livre « Journal d’une escouade » témoigne de la volonté d’H. Barbusse d’imprimer une dimension collective à son récit. A partir de ces écrits du front, H. Barbusse restitue fidèlement, avec un réalisme dépouillé, la vie (ou la non-vie) quotidienne de ces hommes dans les tranchées.
Tout y est décrit :
la mort, la peur, la faim, l’absurdité de la guerre :
– » Deux armées qui se battent, c’est comme une grande armée qui se suicide ! […] p. 418
– Les chauvins, c’est de la vermine… ronchonna une ombre.
Ils répétèrent plusieurs fois, comme pour se guider à tâtons :
– Faut tuer la guerre. La guerre, elle ! » p.420-421
les planqués de l’arrière, la fraternisation avec les soldats d’en face, les fusillés pour l’exemple :
– « Ah ! Mon vieux, ruminait notre camarade, tous ces mecs qui baguenaudent et qui papelardent là-dedans, astiqués, avec des kébrocs et des paletots d’officiers, des bottines…. et qui mangent du fin, … et le soir s’empaillent dans la plume en lisant sur le journal. Et ça dira, après : » J’suis t’été à la guerre . »
– « […] Mais non, pas du tout disait l’un. C’était pas un bandit ; c’était pas un de ces durs cailloux comme tu en vois. C’était un bonhomme comme nous, ni plu, ni moins. […]
– Y a tout eu, reprit un autre, la cérémonie de A à Z, le colonel à cheval, la dégradation ; puis on l’a attaché, à c’petit poteau bas, c’poteau d’bestiaux. Il a dû être forcé de s’mettre à genoux ou de s’asseoir par terre avec un petit poteau pareil.
– Ça s’comprendrait pas, fit un troisième après un silence, s’il n’y avait pas cette chose de l’exemple que disait le sergent.
Sur le poteau, il y avait gribouillées par les soldats, des inscriptions et des protestations. Une croix de guerre grossière, découpée en bois, y était clouée et portait : » A Cajard, mobilisé depuis août 1914, la France reconnaissante » p. 176
ceux qui profitent de la guerre et poussent à la guerre :
« Il n’y a que les monstrueux intéressés, financiers, grands et petits faiseurs d’affaires, cuirassés dans leurs banques ou leurs maisons, qui vivent de la guerre, avec leurs fronts butés d’une sourde doctrine, leurs figures fermées comme un coffre-fort. […] p 430 « Il y a avec eux tous les prêtres, qui cherchent à vous exciter et à vous endormir, pour que rien ne change, avec la morphine de leur paradis. » p. 431
Lorsque dans le roman, un poilu s’exclame : « Des héros, des espèces de gens extraordinaires, des idoles ? Allons donc ! On a été des bourreaux. […] Mais qu’on ne me parle pas de la vertu militaire parce que j’ai tué des Allemands. » p. 433 ; c’est V. Hugo, dénonçant la guerre comme « l’Humanité contre l’Humanité. »
Le dernier chapitre « L’aube » se termine en reprenant le message H. Barbusse qui se trouve dans le premier chapitre «Vision» « Mais les trente millions d’esclaves jetés les uns sur les autres par le crime et l’erreur, dans la guerre de la boue, lèvent leurs faces humaines où germe enfin une volonté. L’avenir est dans les mains des esclaves, et on voit bien que le vieux monde sera changé par l’alliance que bâtiront un jour entre eux ceux dont le nombre et la misère sont infinis. » p. 27 Ces soldats de roman y prennent conscience que pour supprimer les guerres, il faudra en mener une autre, la guerre sociale.
Dés sa parution, le livre subit les critiques haineuses de la presse cléricale et de la droite réactionnaire. Les poilus des tranchées, eux, en firent leur livre et le saluèrent comme le témoignage de leur quotidien.
Cet ouvrage invite les libres penseurs à continuer leur combat pour que justice soit rendue aux victimes des pelotons d’exécution. C’est un antidode contre la bêtise. Nous en recommandons la lecture.
Le feu suivi des Carnet de guerre d’Henri Barbusse, Ed. Le Livre de Poche, 1989 – 476 pages
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