Si l’on « croa » la télévision publique ou non, le jour du « vendredi-dit-saint » les catholiques jeûnent alors que nous, libres penseurs, depuis près de 150 ans banquettons ! D’où vient cette pratique ? La présidente Françoise Cambie nous en a fait un bref historique (en remontant à Sainte Beuve, G. Flaubert, E. Renan, etc) rappelant que si les croyants sont libres de respecter des interdits et dogmes religieux, ils n’ont pas à les imposer à l’ensemble des citoyens et ce au nom de la liberté de conscience. Elle a souligné la dureté des luttes qui ont dû être menées pour s’opposer à ces interdits et dogmes religieux et que même si la sécularisation de la société semble gagner du terrain, plusieurs événements récents doivent nous alerter, que ce soit en Belgique ou ailleurs : offensive pour pénaliser le délit de « blasphème », limiter le droit à la contraception, interdire le concubinage, interdire ou limiter l’avortement, etc.
L’actualité fut abordée, en mémoire des victimes des attentats de Zaventem et de Maalbeek, la présidente nos a proposé d’écouter « Vigilance » une chanson de Michel Lebourg. Vigilance
Ensuite notre camarade, Jean Michel Dufays nous a fait un exposé sur « Le pape Jean-Paul II, défenseur des droits de l’homme. Réalité ou légende? » et Philippe Dementen nous a lu deux textes de K. Marx l’un concernant les principes sociaux du christianisme, le second sur la religion. Textes que vous trouverez sur notre site et en pièces jointes.
A l’égal de la protestation contre les interdits et dogmes religieux, la seconde justification de ce banquet a été le plaisir de ripailler entre amis, libres penseurs.
Nous pouvons nous féliciter de trois nouvelles adhésions.
Bonne lecture.
Le pape Jean-Paul II, défenseur des droits de l’homme. Réalité ou légende?*
J.M. Dufays
A partir de 1978, K. Wojtyla, alias Jean-Paul II, est élevé dans les médias au statut de »défenseur des droits de l’homme« . Ce statut est-il ou non justifié? Il résulte en fait d’une confusion savamment entretenue par le Vatican.
Il faut remonter il y a cent cinquante ans pour comprendre la conception des droits de l’homme de la papauté romaine. En 1864, G.M. Mastai-Feretti, alias Pie IX, publie en annexe de son encyclique Quanta Cura un Syllabus des erreurs modernes. Celui-ci reprend, en les amplifiant, des thèses qu’avait énoncées son prédécesseur B.A. Cappellari, alias Gregoire XVI, dans Mirari Vos (1832). Dans cette encyclique, Cappellari condamnait « ce délire qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience (que l’on) prépare (…) par la liberté d’opinion, (…) la liberté la plus funeste (étant) la liberté de la presse et de l’édition »(1)
En 2005, sort la traduction française de Pamiec i Tozsamosc de K. Wojtyla sous le titre Mémoire et Identité. Conversations au passage entre les deux millénaires (2). Le pontife romain y explique que « les idéologies du mal sont profondément enracinées dans l’histoire de la pensée philosophique européenne », à savoir dans « les Lumières » (p.19-20). En fait la faute en revient à Descartes qui avait, un siècle plus tôt, abandonné la philosophie de Thomas d’Aquin, c’est à dire la philosophie de l’être. Désormais le sujet pensant devenait premier et Dieu un « contenu de la conscience humaine » (p.21-22). « Créateur de sa propre histoire et de sa propre civilisation », l’homme pouvait « décider (…) de ce qui est bon et (…) mauvais », d’où la mise en œuvre de l’idéologie nazie, d’où aussi l’avortement et les unions homosexuelles. Cette « idéologie du mal (…) tente d’exploiter,contre l’homme (…),les droits de l’homme » ( p.23-25). La liberté de penser et de choisir seraient donc à l’origine du mal.
En fait, comme ses prédécesseurs, K. Wojtyla fut un pape normatif. Mais il comprit le rôle essentiel des médias dans le monde moderne pour forger les consciences. S’il a dénoncé le totalitarisme des régimes communistes, ce fut d’abord parce que la liberté de l’Eglise y était entravée et que l’idéologie marxiste lui apparaissait comme « intrinsèquement perverse ». Ce ne fut pas pour défendre les droits de l’homme en tant que tel mais comme créature de Dieu.
Dans une instruction de la Congrégation pour la doctrine de la foi (qui est l’héritière de l’Inquisition romaine), approuvée par K.Wojtyla et publiée le 26 juin 1990, son préfet le cardinal J. Ratzinger (le futur pape Benoît XVI) précisait que si « le respect du droit à la liberté religieuse est le fondement du respect de l’ensemble des droits de l’homme, on ne peut pourtant faire appel à ces droits de l’homme pour s’opposer aux interventions du magistère (…). Ce serait admettre le principe du libre examen, incompatible avec l’économie de la Révélation » (3). D’ailleurs l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, sous la plume d’E.Van Billoen, vicaire général du cardinal G. Danneels, rappelait le 26 avril 2005 que la franc-maçonnerie, en particulier, avait « une conception de l’homme (…) radicalement différente (de celle de l’Eglise) ». Pour celle-là, « l’homme est fondamentalement bon en marche vers une harmonie universelle, (ce qui) le ferme à l’idée même d’un salut (…) proposé à sa liberté par Dieu » (4). Derrière la franc-maçonnerie, ce sont à nouveau les Lumières, l’idée de progrès, la raison cartésienne, bref les origines de la libre pensée qui étaient visées en tant qu’origines du mal.
Il y a donc bien confusion. Ce ne sont ni des mêmes « droits de l’homme » ni même du même « homme » dont parlent l’Eglise catholique et la libre pensée. Il n’y a pas seulement différence de regard, il y a différence d’objet. Le problème n’est donc pas seulement, aux yeux de l’Eglise, théologique, il est ontologique et éthique. Depuis près de quarante ans, cette profonde confusion a hélas été relayée par les médias et continue de l’être.
Germinal An CCXXIV.
Jean-Michel Dufays Membre du Cercle de la Libre Pensée (Bruxelles)
* Résumé d’une conférence présentée au Cercle de la Libre Pensée, le 25 mars 2016, à Schaerbeek (Bruxelles)
(1) PIE IX,Quanta Cura et Syllabus, éd. par J.-R.Armogathe pour J.- J.Pauvert,1967, p.85-86.
(2) Paris,Flammarion.
(3) Le monde,28 juin 1990.
(4) Lettre publiée dans Logos,Bruxelles,39, sept.-oct.2005, p.18.
Le communisme de « L’Observateur rhénan » *
(extrait)
Les principes sociaux du christianisme ont eu maintenant dix-huit siècles pour se développer et n’ont pas besoin d’ un supplément de développement par des conseillers au consistoire prussiens.
Les principes sociaux du christianisme ont justifié l’esclavage antique, magnifié le servage médiéval et s’entendent également, au besoin, à défendre l’oppression du prolétariat, même s’ils le font avec de petits airs navrés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la nécessité d’une classe dominante et d’une classe opprimée et n’ont à offrir à celle-ci que le vœu pieux que la première veuille bien se montrer charitable.
Les principes sociaux du christianisme placent dans le ciel ce dédommagement de toutes les infamies dont parle notre conseiller, justifiant par là leur permanence sur cette terre.
Les principes sociaux du christianisme déclarent que toutes les vilenies des oppresseurs envers les opprimés sont, ou bien le juste châtiment du péché originel et des autres péchés, ou bien les épreuves que le Seigneur, dans sa sagesse infinie, inflige à ceux qu’il a rachetés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le prolétariat, qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que de son pain.
Les principes sociaux du christianisme sont des principes de cafards et le prolétariat est révolutionnaire.
En voilà assez pour les principes sociaux du christianisme.
*Paru dans le n° 73 du 12 septembre 1847 de la Gazette allemande de Bruxelles
Critique de la philosophie du droit de Hegel*
Introduction
Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme,c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société.
Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolidation et sa justification universelles.
Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel.
La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte qu’il rejette les chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille les fleurs vivantes. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même
* Écrit fin 1843-janvier 1844. — Paru dans les Annales franco-allemandes (1re et 2e livraison) Paris, 1844. D’après KARL Marx-Friedrich ENGELS: Œuvres, tome I, Berlin, 1958, pp. 378-391.
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