Deux arrêts de la Cour de Justice Européenne (CJUE)
La Belgique étant concernée par ces arrêts, il nous a paru utile de porter à votre connaissance le communiqué de presse de nos amis de la Fédération Nationale de la Libre Pensée de France (FNLP). A notre avis, les mêmes conclusions peuvent être tirées pour la Belgique.
– COMMUNIQUE DE PRESSE –
Les libertés fondamentales des salariés restent garanties par
les décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne
Saisie sur le fondement de l’Article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne par les Cours de cassation de Belgique et de la République française, aux fins d’énoncer des décisions préjudicielles, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 14 mars 2017, deux arrêts (C-157/15 et C-188/15), par lesquels elle a notamment interprété les articles 2 et 4 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, ayant respectivement trait au principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, entendu comme « l’absence de toute discrimination directe ou indirecte », et la notion d’« exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée », d’ailleurs inscrite comme telle, depuis 2008, à l’article 1133-1 du Code du Travail.
Comme pour les arrêts du Conseil d’Etat concernant la légalité de la présence des crèches dans les bâtiments publics, les amateurs de raisonnements simplistes en sont à nouveau pour leurs frais. Ces deux Arrêts ne changent pas la loi française, ne la modifie pas et laissent la situation en l’Etat. |
Si la CJUE reconnaît que l’interdiction du port visible d’un signe politique, religieux ou philosophique résultant d’une règle interne à l’entreprise, ne constitue pas, par elle-même, une discrimination, pour autant elle considère qu’il importe de vérifier qu’elle n’est pas la source d’une discrimination indirecte. De même, la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante ne peut être que strictement entendue.
La règle interne à l’entreprise
ne saurait constituer « une discrimination indirecte »
Dans la première affaire, une entreprise belge avait recruté, en février 2003, une réceptionniste, appelée à exercer des fonctions d’accueil auprès des clients de la société. A cette date, celle-ci avait énoncé la règle non-écrite selon laquelle ses salariés n’étaient pas autorisés à porter des signes visibles de leurs convictions philosophiques, politiques ou religieuses. La réceptionniste avait néanmoins délibérément porté un foulard sur son lieu de travail, si bien que l’employeur l’a licenciée, en juin 2006, pour ce motif. Pour mieux assurer juridiquement les restrictions à la liberté d’expression qu’il exigeait de ses salariés, celui-ci avait préalablement modifié le règlement intérieur de l’entreprise, le 29 mai 2006.
La CJUE conclut, certes, que « […] l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. » Néanmoins, elle ajoute qu’« une telle règle interne […] est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. » Bref, la légalité des termes du Règlement intérieur restreignant les libertés individuelles du salarié dans l’entreprise est acquise uniquement s’ils répondent à une nécessité, ne sont pas de nature à entraîner, en fait, des discriminations en son sein et sont proportionnées à l’objectif poursuivi.
Les désirs du client ne sauraient être regardés comme une
« exigence professionnelle essentielle et déterminante »
Dans le second cas, en juin 2009, un client d’une entreprise française s’est plaint d’avoir eu affaire à une jeune femme portant un foulard. Ingénieur d’études, celle-ci en était revêtue au moment de son recrutement, intervenu, le 15 juillet 2008, à la suite d’un stage de plusieurs mois dans la société. Devant son refus de le retirer pour complaire au client, l’employeur l’a licenciée le 22 juin 2009.
La CJUE conclut que « l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition. » En clair, un employeur ne peut probablement pas se prévaloir du port du foulard pour justifier ce que le droit interne de la République française qualifie de licenciement pour cause réelle et sérieuse, au sens des articles 1232-1 et suivants du code du travail. Il appartiendra à la Cour de cassation de le juger.
La Libre Pensée exige l’abrogation de l’article L. 1321-2-1 du Code du Travail
issu de la loi Travail (Loi El Khomri) du 8 août 2016
Pour la Fédération nationale de la Libre Pensée, les deux arrêts de la CJUE ne conduisent pas à infléchir l’interprétation du Droit interne français qui, en la matière, demeure régi, pour l’essentiel, par les dispositions des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du Travail. Le premier prévoit que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », le second que « Le règlement intérieur ne peut contenir : / 1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu’aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise ou l’établissement ; / 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; / 3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap. »
En revanche, en dépit des énonciations de l’arrêt C-157/15 du 14 mars 2017, elle demande l’abrogation de l’article L. 1321-2-1 du Code du Travail, issu de la loi du 8 août 2016, dite loi Travail. Antinomique avec le texte cité ci-dessus, il prévoit que « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Comme la législation antérieure le prévoyait, ces restrictions doivent être adaptées à chaque situation individuelle et édictées uniquement à raison des tâches à accomplir par le salarié. En particulier, elles ne sauraient résulter du critère vague et trop général du « bon fonctionnement de l’entreprise ».
Le salarié dans l’entreprise reste un citoyen !
Toute mesure visant à restreindre les droits de citoyens des salariés au sein des entreprises privées, serait une violation de l’Article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui stipule : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » Rappelons que ce principe est rentré dans le Bloc constitutionnel.
Le Travailleur a conquis ses droits de citoyen au sein de l’entreprise. Nous ne sommes plus au XIXe Siècle où les travailleurs étaient taillables et corvéables à merci et à la botte du patronat. Ils avaient obligation « d’épouser les convictions du patron » en allant aux offices religieux.
Le salarié n’est plus un serf propriété du Capital !
La Libre Pensée ne saurait accepter aucun retour en arrière. C’est à cela qu’on juge réellement d’une démocratie authentique.
Paris, le 21 mars 2017
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