Toi que les employeurs avares
Accusent d’être trop payé,
De boire et fumer des cigares,
Parle à ton tour, pauvre employé.
Bien haut, ta maigreur, ton œil cave,
Réfutent le patron hâbleur.
Donnons la parole à l’esclave,
Écoutons le souffre-douleur :
Je suis l’embauché de l’usine
Et j’y vends mes jours en détail ;
Triste servant de la machine,
Je suis la chose du travail,
J’appartiens même à la courroie
Qui nous accroche même dans ses tours,
Sous l’arbre de couche nous broie ;
L’espiègle fait ça tous les jours.
Cet écrasement, c’est l’histoire
Des camps comme des ateliers.
De l’industrie et de la gloire
Je fournis les sanglants charniers.
On chiffre bien ceux qu’extermine
Sous l’uniforme, le brutal ;
Compte-t-on les morts de la mine,
Les mutilés du Capital ?
Dans la poigne capitaliste,
Je me sens serré par le cou ;
Si trop étranglé, je résiste,
Le tarif revisse l’écrou.
L’étiage de nos salaires
Descend plus bas que nos besoins,
Nous laissons dormir nos colères
Et nous vivons de moins en moins.
Quoi ! n’avoir pas le nécessaire
En trimant plus que du bétail !
Quoi ! la mort de faim, la misère,
Voilà les fruits de son travail !
Et l’imbécillité ventrue
Ose émettre un doute insolent.
Mais ceux qui crèvent dans la rue,
Triples bourgeois, font-ils semblant ?
Aussi j’ai faim dans les entrailles,
Dans le cœur et dans le cerveau ;
J’ai vu mes propres funérailles,
J’ai faim d’un avenir nouveau.
Comme un roulement d’avalanche,
Mon chant réveillera les sourds,
Quand le clairon de la revanche
Sonnera dans nos vieux faubourgs.
Eugène Pottier, 1884
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