La Mairie de Chauny dans l’Aisne (Nord de la France) – avec l’appui de la Fédération Nationale de la Libre Pensée (FNLP) – a décidé d’affecter un terrain municipal pour ériger le Monument en hommage aux Fusillés pour l’exemple.
« Crie, après ma mort, contre la justice militaire. Les chefs cherchent toujours des responsables. Ils en trouvent pour se dégager. » C’est l’ultime demande faite à son épouse par le sous-lieutenant Herduin, le 11 juin 1916. Il tombe peu après, à Verdun, fusillé pour l’exemple par un peloton qu’il va commander lui-même, pour éviter cette infamie à un de ses amis. |
Cent ans après, nous entendons son cri. L’émotion est intacte : la guerre de 1914-1918 n’est pas seulement un événement historique, mais un drame toujours présent dans les consciences, drame qui oblige à réfléchir aux causes, aux conséquences des guerres et à chercher les responsables. La situation du sous-lieutenant Herduin contient la tragédie vécue par tous les Fusillés pour l’exemple.
« Des innocents au poteau d’exécution, des coupables aux honneurs »,
[monument de Saint-Martin-d’Estréaux]
Le 5 août 1914, en votant l’état de siège, l’Assemblée nationale a donné tous les pouvoirs à l’armée. Et la stratégie catastrophique de l’attaque à outrance, les sanglantes offensives dans l’espoir d’un bon communiqué ont conduit dès la fin du mois d’août 1914 à une situation désastreuse. Joffre en impute immédiatement la responsabilité aux soldats. Le 21 août 1914, il téléphone au ministre : « L’offensive de Lorraine a été superbement entamée. Elle a été enrayée brusquement par des défaillances individuelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et nous ont occasionné de très grosses pertes. J’ai fait replier en arrière le 15e corps qui n’a pas tenu sous le feu, et qui a été cause de l’échec de notre offensive : J’y fais fonctionner ferme les conseils de guerre. »
Après le désastre du Chemin des Dames, lors du Comité secret du 29 juin 1917, on entend le rapport des enquêteurs de la Commission de l’Armée : ils cherchent les raisons qui ont conduit aux mutineries. Et ils accusent : ils montrent que les chefs d’unité savaient qu’ils conduisaient leurs troupes à une mort inutile et certains pleuraient en donnant aux poilus les ordres de sortir de la tranchée. Le député Abel Ferry y demande des « sanctions contre les chefs responsables des plus grandes fautes », par exemple contre Nivelle qui, quelques jours avant l’offensive du 16 avril, déclarait aux chefs de corps : « Allez-y carrément ; il n’y a plus de Boches devant vous ! »
Le député de l’Aube, Paul Meunier, pour sa part, constate qu’aucune disposition du Code de justice militaire ne permet de poursuivre, devant les tribunaux militaires, les chefs coupables ; mais que pour punir les petits, on ne s’est pas embarrassé de ces scrupules juridiques ! Plusieurs parlementaires dénoncent l’impunité des coupables haut placés et l’impitoyable sévérité pour les soldats, véritables victimes.
Rétablir la vérité
C’est cette vérité que patiemment, sans relâche, depuis des années, la Libre Pensée met au jour et fait connaître. Elle décharge ainsi la mémoire des Fusillés de l’accusation de lâcheté qui a pesé sur eux. Elle démontre qu’ils sont les victimes des généraux fusilleurs. Des descendants des soldats fusillés nous font part de l’apaisement que leur apporte ce travail de vérité. Laissons-leur la parole : « Que de chemin parcouru en quelques années… Lorsque nous évoquions « l’Affaire » avec mon père et mon beau-frère, nous ne pensions jamais vivre ce que nous venons de vivre, nous n’osions espérer des actions comme la vôtre ou des réactions d’indignation de particuliers qui ont encore le sens commun et un fonds d’humanité qui rassure pour l’avenir. »
Quant à la justice militaire, la Libre Pensée reprend à son compte l’intervention du socialiste Pierre Brizon le 14 juin 1917 à la Chambre des députés : « Avez-vous fait fusiller les généraux qui ont fait massacrer inutilement nos soldats au cours de l’offensive d’avril ? Je l’ai dit : nous réclamons la même discipline pour les officiers et pour les soldats. Ne fusillez pas les généraux, je ne le demande pas. Mais ne fusillez pas non plus les soldats au nom de la discipline. »
La Libre Pensée se félicite des travaux menés par le général Bach dont les deux livres, « Fusillés pour l’exemple » et « Justice militaire », établissent avec rigueur et de façon définitive que l’on a dénié aux soldats leurs droits de citoyen, et que ceux qui ont été fusillés pour « désobéissance militaire » ont été victimes d’arbitraire et d’injustice. Et depuis près de 30 ans, la Libre Pensée, avec l’A.R.A.C, le Mouvement de la Paix, l’U.P.F., des sections de la L.D.H. et les syndicats CGT et FO, demande leur réhabilitation collective.
Combattre l’injustice
C’est un combat contre l’injustice : ces soldats ont été victimes soit des Conseils de guerre spéciaux, où l’instruction était réduite au minimum, quand elle existait, où il n’y avait pas de recours en révision, où les circonstances atténuantes n’existaient pas ; soit des Conseils de guerre « réguliers », où même avec quelques possibilités de se défendre, ils ont été condamnés non pour un délit particulier, mais pour l’exemple. Cela suffit pour légitimer leur réhabilitation. C’est un combat pour la paix : ces soldats ont été fusillés pour terroriser leurs camarades, les contraindre à faire la guerre et à accepter l’horreur et la mort.
Quand Pierre Brizon, Alexandre Blanc et Raffin-Dugens, députés socialistes, refusent de voter les crédits de guerre, le 24 juin 1916, en pleine bataille de Verdun, ils s’attirent injures et insultes sur les bancs de l’Assemblée, mais ils reçoivent de nombreuses lettres de soutien de la part des Poilus. Ces derniers ne signent pas leur lettre, car se déclarer pour la paix vaut accusation de lâcheté et de trahison. « Vous voudrez m’excuser, si je n’ai pas le courage de signer cette lettre. Vous devez sans doute connaître les rigueurs militaires. Si par malheur dame Censure venait à l’ouvrir, je serais sans aucun doute fusillé » écrit l’un d’entre eux. Un autre termine sa lettre ainsi : « Je regrette ne pouvoir signer ma lettre de mon vrai nom. Je serais probablement fusillé au nom de la liberté. »
Combattre la guerre
Une question reste posée : pourquoi, cent ans après, les Fusillés pour l’exemple ne sont-ils pas réhabilités ? On ne peut guère s’étonner du refus de l’armée pour qui la « chose jugée » ne saurait être remise en question. La justice, les droits de l’Homme, la vérité ne pèsent pas lourd devant l’ordre, l’autorité, la Raison d’État. Alfred Dreyfus en a été le malheureux exemple : à deux reprises, il a été condamné par le Conseil de guerre, et seule, l’immense campagne d’opinion publique a contraint les responsables politiques à le réhabiliter.
Et quant aux responsables politiques, n’ont-ils pas, de nos jours, le pouvoir de rétablir ces soldats dans leur honneur ? Pourquoi se dérobent-ils ? La réponse paraît malheureusement assez simple : comment mettre en cause l’état-major militaire et dénoncer ses crimes, comment honorer des pacifistes, quand on se fait le champion de la vente des armes, quand les dépenses militaires ne cessent de croître, quand on multiplie les opérations extérieures ?
François Hollande a espéré qu’en ouvrant une salle pour les Fusillés au musée de l’Armée, il mettrait un terme à la campagne en leur faveur. Mais qui pourrait accepter qu’on réunisse Fusillés et fusilleurs comme si de rien n’était ? L’initiative présidentielle a vite été jugée : un « enfumage », disait le général Bach. Et les milliers de citoyens qui se rassemblent chaque année à l’initiative de la Libre Pensée partagent ce jugement. De même, plusieurs communes ont choisi les années de commémoration de la guerre de 1914 pour honorer des soldats fusillés, ici en leur consacrant une cérémonie, là en évoquant leur vie dans un spectacle, là encore en leur dédiant une plaque, une stèle. Car c’est le sentiment de tous les hommes : rien n’est plus révoltant pour la conscience que l’injustice, que la condamnation d’innocents, – qui plus est – à mort.
Le monument de Chauny
C’est pourquoi la Libre Pensée va élever un monument en hommage aux Fusillés pour l’exemple. Ce monument, qui les représente au moment de leur mort, témoignera de leur martyre. Il sera à Chauny, ville de l’Aisne, sur la ligne de front. Occupée dès le 1er septembre 1914, cette ville a été systématiquement détruite en février 1917, par le bombardement, puis par le dynamitage rue par rue, maison par maison, avant d’être incendiée. En 15 jours, il ne restait plus qu’un champ de ruines. Placée sur la ligne Hindenburg, elle fut le théâtre de vifs affrontements avant d’être libérée le 6 septembre 1918.
Ce monument sera le symbole de l’injustice dont les Fusillés furent victimes, de leur réhabilitation par le peuple français, par les citoyens, puisque c’est une souscription publique nationale qui en aura permis la réalisation.
La vérité de la guerre de 1914, écrite dans la pierre, permettra que l’on se souvienne et qu’on rende leur honneur à tous ces hommes. On verra les condamnés, les mains attachées. On imaginera facilement en face d’eux les pelotons avec les fusils. Et on se souviendra des fortes paroles de Giono à propos du « pacifique devant les fusils » : « Est-il donc si fort qu’on n’ose pas le faire fusiller par un seul homme ? On s’occupe de lui comme d’une chose extrêmement importante et grave, car, ainsi immobile, attaché, et peut-être déjà les yeux cachés, il est effrayant ; et les soldats de métier se rendent bien compte tout de suite par un instinct militaire, qu’il n’y a pas d’ennemi plus dangereux pour eux que cet homme seul, prisonnier et muet. »
Résultat de la bataille pour la réhabilitation, fruit d’une souscription nationale, le monument exprimera le refus de la guerre, de toutes les guerres. Nous savons l’importance d’un monument pacifiste, que ce soit celui de Gentioux avec l’écolier qui crie « Maudite soit la guerre ! », ou celui de Tarnos qui a retrouvé cette année ses inscriptions pacifistes : « L’Humanité n’a qu’un chemin : la paix ». Le monument de Chauny sera une réponse à Pétain qui, en 1917, a mené la répression des mutins, et qui, à partir de 1940, n’a eu de cesse d’enlever les traces de toute opposition à la guerre, en particulier sur les monuments de Draguignan et de Rochechouart.
Nicole Aurigny
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