Un article de Franck Ramus, spécialiste des sciences cognitives, qui appelle à respecter la liberté de conscience des enfants ! Ce que nous partageons.
Source http://www.scilogs.fr: « Que diriez-vous de parents qui raconteraient à leur enfant l’histoire du Père Noël, mais qui, alors que l’enfant grandit, ne lui diraient jamais qu’il s’agit d’une histoire inventée ? Et qui, alors que l’enfant commence à douter et à opposer des arguments rationnels à l’existence du Père Noël (par exemple, l’impossibilité physique de livrer tous les foyers du monde en une nuit), maintiendraient mordicus que l’histoire est vraie, que ses détracteurs sont mal intentionnés, qu’il est essentiel pour l’enfant d’y croire, et que s’il n’y croit pas, le Père Noël lui infligera des punitions bien plus sévères que de ne plus lui livrer de cadeaux ?
Vous trouveriez certainement que ces parents jouent une farce bien cruelle à leur enfant, qu’ils le maintiennent dans un état de sujétion intellectuelle et psychique inacceptable, et qu’ils lui rendent un bien mauvais service en cultivant et en perpétuant sa crédulité d’enfant au lieu de développer son esprit critique. Vous considéreriez cette attitude comme un abus de pouvoir inexcusable, et vous auriez raison.
Que diriez-vous maintenant de parents qui inscriraient leur enfant d’un an (ou 5, ou 10) à un parti politique ? Vous trouveriez certainement qu’il s’agit là d’une tentative d’endoctrinement inacceptable, l’enfant n’étant pas en âge d’avoir des opinions politiques, et n’étant pas en capacité de consentir à une affiliation partisane. Il est évidemment normal que les parents aient une influence sur le développement des opinions (politiques ou autres) de leurs enfants, mais cela ne peut passer par le biais d’une affiliation forcée. Vous considéreriez cette attitude comme un abus de pouvoir inexcusable, et vous auriez raison. Si cette pratique était de surcroît institutionnalisée par le parti en question, vous considéreriez que celui-ci use de moyens tout à fait déloyaux pour augmenter ses adhésions, et vous auriez raison.
Ainsi, si l’on y réfléchit bien, de manière objective et dépassionnée, ce que font tous les parents qui élèvent leur enfant dans la religion, et que la plupart des gens (même non croyants) semblent trouver normal, c’est exactement ce que tout le monde (même croyant) trouverait inacceptable dans le cas de la croyance au Père Noël et de l’adhésion précoce à un parti politique.
Y a-t-il une si grande différence entre la croyance en un dieu et et celle en un Père Noël ? Une différence évidente, c’est que Dieu (et ses multiples avatars) est un père Noël auquel la plupart des adultes dans le monde continuent à croire, et que les religions ont réussi, grâce à un matraquage publicitaire millénaire, à faire croire que la croyance en un dieu conférait une forme de supériorité morale, que ne confère pas la croyance au Père Noël. Les raisons de ne pas croire en un dieu sont pourtant exactement les mêmes que les raisons de ne pas croire au Père Noël : aucune preuve crédible de son existence, et des attributs magiques qui défient à la fois l’expérience personnelle que chacun a du monde, et la connaissance objective qu’en fournit la science. Par ailleurs, d’un point de vue historique, le bilan moral des religions est bien médiocre, et le bilan du christianisme ne s’est amélioré au cours des derniers siècles que sous la pression de l’émancipation des esprits depuis les Lumières, plutôt que comme conséquence d’une évolution spontanée et naturelle de la religion. D’un point de vue psychologique, il est bien établi que l’éducation religieuse n’est ni nécessaire, ni suffisante pour induire des comportements moraux. Et pourtant, la plupart des gens (même les incroyants) ont tendance à considérer que la croyance en un dieu est moins ridicule que la croyance en un Père Noël, et que les religions institutionnelles sont plus respectables que les partis politiques.
Si un tel aveuglement généralisé est possible, c’est précisément grâce aux deux abus de pouvoir inexcusables évoqués ci-dessus : l’insistance des parents (ou de l’environnement proche) à ce que l’enfant continue à croire à un Père Noël nommé Dieu ; et l’endoctrinement et l’affiliation précoce de l’enfant à l’un des partis de dieu que sont les religions institutionnelles, à un âge où il n’est pas en mesure d’y consentir.
En effet, les récents débats autour de l’âge de la majorité sexuelle nous rappellent que la capacité limitée des enfants à donner un libre consentement bénéficie déjà d’une large reconnaissance juridique et d’un consensus total au sein de la population. Si le législateur a éprouvé le besoin de fixer à 15 ans l’âge en-deçà duquel la personne n’est pas supposée être en mesure de consentir librement à des relations sexuelles (avec des personnes majeures susceptibles de les manipuler), pourquoi estimerait-il que les mineurs de 15 ans sont capables de consentir librement à une affiliation politique ou religieuse (imposée par des personnes majeures susceptibles de les manipuler) ?
La France s’enorgueillit d’être la patrie des droits de l’homme et de garantir, dans sa constitution, la liberté de conscience de tous les citoyens. Mais cette liberté de conscience des citoyens adultes n’est-elle pas bien théorique lorsqu’elle est si systématiquement bafouée chez les enfants ? La liberté de conscience, garante de toutes les libertés religieuses, présuppose en effet que les êtres humains sont libres de choisir leurs croyances. Or la plupart des religions ont bâti leurs empires sur l’embrigadement précoce d’individus trop jeunes pour disposer de cette liberté. Pourtant, ces mêmes religions autorisent (et parfois même encouragent fortement) les conversions à l’âge adulte. Puisqu’il est possible de choisir une religion en toute liberté et en pleine connaissance de cause, il n’y a aucune excuse pour que ce ne soit pas systématiquement le cas. La liberté de religion n’est pas la liberté d’imposer sa religion aux autres, fussent-ils ses propres enfants.
La France s’honorerait en garantissant à tous ses enfants la liberté de conscience, liberté qui leur est déjà acquise en droit mais qui a été systématiquement bafouée jusqu’à présent. La véritable liberté de conscience, et donc la véritable liberté religieuse, suppose que l’individu soit véritablement libre d’adhérer ou pas à une religion, et s’il choisit d’y adhérer, qu’il ait vraiment le choix entre les milliers de religions inventées par les êtres humains. Préserver intégralement la liberté de conscience supposerait donc de protéger les enfants de toutes les formes d’endoctrinement religieux, pour les reporter soit jusqu’à l’âge de leur majorité civile, soit jusqu’à l’âge d’une majorité religieuse qui serait à définir par le législateur, mais dont on comprendrait mal qu’il puisse être inférieur à celui de la majorité sexuelle.
* Le titre « Un mensonge au service de l’endoctrinement religieux » donné par la rédaction à l’article dans la version papier du Monde du 26/12/2017 est tout à fait inexact, puisqu’il suggère que l’article est une analyse de la fonction sociétale de la croyance au père Noël, qui serait de perpétuer l’endoctrinement religieux. Or mon article ne dit rien de tel.
Post-scriptum du 27/04/2018
Parmi les nombreux commentaires reçus sur cet article, un certain nombre s’étonnent qu’un chercheur, écrivant principalement des articles abordant des questions scientifiques sur lesquelles il a une compétence, se permette aussi d’écrire des articles dans lesquels il énonce ses opinions sur les religions, articles qui ne semblent pas être aussi rigoureux et appuyés sur des faits scientifiquement avérés.
Je répondrai sans doute plus tard sur la légitimité d’un scientifique à s’exprimer sur les religions. Pour l’instant, je vais expliciter un peu les arguments de l’article ci-dessus, afin de mieux en faire ressortir la structure logique et de montrer qu’il n’est pas un simple énoncé d’opinions, mais qu’il soulève des problèmes fondamentaux concernant la cohérence des attitudes de la plupart de nos concitoyens concernant les religions.
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J’établis un parallèle précis entre croyance en un dieu et croyance au père Noël, qui sont similaires sur des bien des points. Et je pose la question: pourquoi ce que tant de gens trouveraient aberrant dans le cas de la croyance au père Noël (le fait de la maintenir indéfiniment chez l’enfant), ils le trouvent normal dans le cas de la croyance en un dieu ?
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De même, j’établis un parallèle entre affiliation à une religion institutionnelle et affiliation à un parti politique. Et je pose la question: pourquoi ce que tant de gens trouveraient aberrant dans le cas de l’affiliation à un parti politique (affilier des enfants sans leur consentement éclairé), ils le trouvent normal dans le cas de l’affiliation à une religion institutionnelle ?
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J’établis ensuite un parallèle entre la capacité d’un mineur à consentir à des relations sexuelles, et sa capacité à consentir à l’appartenance à une religion. Et je pose la question: pourquoi ce que tant de gens trouvent indispensable (la définition d’un âge légal minimal) dans le cas des relations sexuelles, ne l’exigent-ils pas tout autant dans le cas de l’appartenance à une religion ?
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Et enfin, je pose une dernière question d’ordre logique: Pourquoi les mêmes gens qui défendent la liberté de conscience pour les adultes, ne la défendent-ils pas pour les enfants ? Comment peut-on même imaginer qu’un adulte puisse avoir une véritable liberté de conscience, s’il ne l’a pas eue en tant qu’enfant ?
A ce jour, je n’ai reçu de réponse satisfaisante à aucune de ces questions.
J’espère qu’il apparaît maintenant un peu plus clairement qu’il ne s’agit pas juste d’opinions personnelles, mais d’une véritable analyse logique et rigoureuse des contradictions qui affectent les attitudes de beaucoup de gens concernant les religions, contradictions dont la plupart n’ont sans doute pas conscience. Mon espoir est que, ces contradictions étant exposées, certains réduiront leur dissonance cognitive en adoptant des attitudes plus cohérentes et en révisant leurs croyances. Je suis évidemment bien conscient que c’est loin d’être aussi simple, que les croyances ne se révisent pas facilement, et que la cohérence logique et l’adéquation avec le monde réel ne sont pas nécessairement les critères principaux présidant à l’adoption des croyances par les êtres humains (comme je l’avais souligné dans cet autre article : « Mais comment peuvent-ils croire de telles foutaises ? »).http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/mais-comment-peuvent-ils-croire-de-telles-foutaises/ »
27/12/2017
http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/des-dieux-et-autres-peres-noel/
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