Le 13 décembre 2018, le Canada a officiellement abrogé sa « loi anti-blasphème ». L’article 296 du Code criminel faisant du blasphème un « acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans » a, en effet, été abrogé par la loi C51 qui visait à moderniser le Code criminel canadien. La loi ne définissait pas ce qu’est un blasphème, mais toute parole ou tout acte injurieux ou satyrique envers une religion, ou tout simplement jugé comme tel par des adeptes d’une religion, peut être qualifié de blasphématoire. Interdire l’injure envers les religions, c’est en fait interdire la critique des religions. Comme tout autre citoyen, les représentants religieux et leurs fidèles demeurent néanmoins protégés contre le libelle diffamatoire par l’article 298.
C’est grâce à l’action concertée d’associations humanistes, laïques et athées que le retrait de cet article anachronique a été obtenu. En juin 2016, le Président de la Canadian Secular Alliance, Greg Oliver, lançait une pétition sur le site du parlement canadien pour réclamer l’abrogation de l’article 296. De nombreuses associations se sont jointes à cette action, dont la British Columbia Humanist Association, Humanist Canada, Center for Inquiry et, au Québec, l’Association humaniste du Québec (AHQ) et les Libres penseurs athées (LPA).
Dans sa réponse lors du dépôt de cette pétition à la Chambre des communes par le député libéral ontarien Ali Ehsassi en décembre de la même année, la ministre de la Justice d’alors, Jody Wilson-Raybould, a déclaré que l’abrogation de la loi sur le blasphème allait faire partie du projet de C51. Dans les débats qui ont suivi en commission parlementaire et au Sénat, aucune association ou groupe religieux ne s’est opposé à ce retrait.
Article désuet mais potentiellement dangereux
L’introduction du délit de blasphème dans les lois canadiennes date de 1892. La dernière condamnation fondée sur l’article 296 eut lieu au Québec en 1935 alors qu’un pasteur anglican, Victor Rahard, a été trouvé coupable de blasphème pour avoir dénoncé les « scandales, violations de la jeunesse, crimes et orgies des religieux éducateurs [catholiques] romains, assassins des pauvres ». Il fut condamné à 100 $ d’amende ou à faire un mois de prison. Les Orangistes ayant payé son amende, il n’eut pas à faire de prison.
L’article 296 a toutefois été invoqué au moins à deux reprises par la suite. En 1978, des associations catholiques, dont les Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne, les Chevaliers de Colomb et l’Association des parents catholiques, ont obtenu une injonction contre la pièce de théâtre féministe « Les fées ont soif » qui ridiculise l’image de la « Vierge Marie » comme modèle de féminité. L’injonction fut levée par la Cour supérieure non pas sur le fond, mais pour vice de procédure.
En 1979, en Ontario, un pasteur anglican portait plainte contre la projection du film des Monty Python, « La vie de Brian », une parodie burlesque de la vie de Jésus. Mais le procureur général de l’Ontario, de qui aurait dû relever l’accusation, a jugé bon de suspendre les procédures. C’est d’ailleurs par la projection de ce film résolument « blasphématoire » que l’AHQ a souligné, en décembre dernier, la victoire contre la clause anti-blasphématoire. Même si l’article 296 était tombé en désuétude, il faut se réjouir de son abrogation. On ne peut en effet demeurer sous la décision de juges, dont les opinions changent au fil des décennies, pour assurer le droit de critiquer les religions en maintenant de tels articles comme des épées de Damoclès au-dessus de nos têtes. D’autant plus qu’un intégrisme religieux et fanatique qui crie au blasphème à la moindre critique, a le vent dans les voiles tant au Canada qu’à travers le monde. Il en allait également de la crédibilité du Canada; il aurait été pour le moins cynique que le Canada, qui veut accueillir les Raif Badawi et Asia Bibi accusés de blasphème en Arabie Saoudite et au Pakistan, ait lui-même une disposition anti-blasphème dans ses lois.
D’autres dispositions quasi-concordataires
D’autres dispositions protégeant indûment le domaine religieux contre la critique demeurent en vigueur dans le Code criminel canadien. En vertu de l’article 176, gêner par la menace un officiant religieux dans la célébration d’un office est passible de deux ans d’emprisonnement. Les menaces et la violence sont traitées à plusieurs autres endroits dans le Code criminel ; pourquoi alors une protection particulière et spécifique pour les religions ou pour cette catégorie particulière de citoyens que sont les célébrants de culte ? Le projet de loi C51 prévoyait l’abrogation de cet article, mais les pressions des lobbies religieux en commission parlementaire, notamment du Conseil canadien des Églises, de l’Alliance évangélique du Canada et du B’nai Brith Canada, ont fait que l’article a été maintenu.
[…] Au chapitre de l’incitation à la haine, le paragraphe 3-b de l’article 319 exclut des propos haineux toute « opinion fondée sur un texte religieux auquel croit [celui qui exprime cette opinion] ». Or, comme l’expose une pétition lancée en octobre 2017 par David Rand (LPA), les textes des principales religions comportent tous « des propos qui dénigrent et prônent la haine contre les incroyants, les femmes, les homosexuels ou certains groupes ethniques ou raciaux, des propos qui parfois appellent à la violence, voire a la violence mortelle. Les religions constituent donc une importante cause de propagande haineuse contre plusieurs groupes ». Le paragraphe en question protège de telles diffamations et donne donc aux croyants le « droit de haïr avec Dieu de leur côté », déclare pour sa part le Président de l’AHQ, Michel Virard. […] Cette pétition a été déposée au parlement canadien par le député libéral Marwan Tabbara, mais n’a pas reçu l’aval de la ministre de la justice. […] Il faudra donc y revenir.
Daniel Baril
La Raison n°640 – avril 2019
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