Cinq ans après, que reste-t-il de l’esprit de Charlie ?


Communiqué du Syndicat national des journalistes, en commun avec d’autres syndicats de journalistes de France.

Les journalistes Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, l’économiste Bernard Maris, le policier Franck Brinsolaro qui assurait la protection de Charb, le correcteur Mustapha Ourrad, le cofondateur du festival Rendez-vous du carnet de voyage Michel Renaud, l’agent de maintenance Frédéric Boisseau, sans oublier le policier Ahmed Merabet.

Le 7 janvier 2015, la France est bouleversée par l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo et la mort de ces 12 personnes.

Spontanément, des millions de Françaises et de Français descendent alors dans la rue, manifestent leur attachement à la liberté d’expression, notamment lors des marches des 10 et 11 janvier. Spontanément, des messages de solidarité des syndicats de journalistes du monde entier affluent.

Un immense élan de solidarité entoure les journalistes. Les médias se parent d’un brassard noir de deuil. Les pancartes et pin’s « Je Suis Charlie » fleurissent dans les cortèges. C’est la démocratie qu’on tente d’assassiner, la liberté d’informer, le droit des journalistes de critiquer, de caricaturer, de dénoncer.

Cinq ans après, que reste-t-il de l’esprit de Charlie ?

Les ennemis de la liberté de la presse et des libertés individuelles ont avancé leurs pions en France. Pire, l’arsenal juridique et répressif s’est considérablement durci.

Le 24 juillet 2015, la loi Renseignement est promulguée. Elle favorise notamment les écoutes légales et renforce le cadre juridique national du renseignement en France.

Instaurée entre le 14 novembre 2015 et le 1er novembre 2017 en raison des risques d’attentats, l’état d’urgence permet, par exception, de prendre des mesures restreignant les libertés. Une tentative d’instauration de « l’état d’urgence permanent » est discutée et un texte est adopté par l’Assemblée nationale le 10 février 2016 puis par le Sénat le 22 mars. Le 30 mars 2016, le Président Hollande enterre finalement le texte.

Le 30 juillet 2018, la loi relative à la protection du secret des affaires est promulguée. Elle favorise et protège les acteurs économiques qui peuvent ainsi user de procédures-bâillons afin de dissuader toute personne d’enquêter sur leurs affaires et « soustraire à l’attention du public des informations d’intérêt général. ». Cette loi au service des puissances économiques et financières sanctuarise la toute-puissance du monde capitaliste au détriment des porte atteinte aux droits des citoyens d’être informés et à la liberté de la presse.

Sans oublier la « loi Fake news » de 2018, qui donne au CSA et au juge un pouvoir de censure en période électorale et la loi « anti-casseurs », votée en 2019, qui vise à limiter la liberté de manifester.

Au-delà de cet impressionnant déploiement législatif, les journalistes, accusés de tous les maux, sont devenus les boucs émissaires d’une société déboussolée. Le média-bashing, fonds de commerce de certains politiques, s’est déplacé des réseaux sociaux à la rue, les agressions physiques et morales à l’encontre des journalistes se sont multipliées, et les violences policières et judiciaires à l’encontre  des reporters photojournalistes ou vidéastes, des rédacteurs sont devenues « habituelles », principalement lors de la couverture des événements sociaux.

Cinq ans après Charlie, ceux-là mêmes qui brandissaient des bannières #JeSuisCharlie ont jeté aux orties ces beaux principes. Les employeurs du secteur des médias, abreuvés pour certains d’aides publiques, n’ont eu de cesse de réduire les effectifs, précariser, étouffer les rédactions, piétiner le Code du travail et remettre en cause les droits des salariés.

Cinq ans après Charlie, combien reste-t-il de dessinateurs et caricaturistes titulaires de la carte de presse en France ? Moins d’une vingtaine. Et c’est un sort semblable qui est promis aux photojournalistes et professionnels de l’image, bien que les médias n’aient jamais autant diffusé de photos et de vidéos.

Cinq ans après Charlie, la défiance à l’encontre de la profession n’a jamais été aussi forte.

Les syndicats français de journalistes SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes, membres de la Fédération internationale de Journalistes (600 000 adhérents dans le monde dans plus de 140 pays), en appellent à un sursaut citoyen pour que la liberté d’informer et la liberté d’expression soient de nouveau respectées et garanties en France.

Alors que des dizaines de journalistes ou professionnels des médias sont tués chaque année dans le monde, dans l’exercice de leur métier (encore 49 en 2019 selon la FIJ), des dizaines d’autres blessés, emprisonnés ou empêchés d’exercer, le SNJ, le SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes tiennent à rappeler :

que la liberté de la presse est un des biens les plus précieux de la démocratie ;

qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de garantir le droit des citoyens, et en particulier des journalistes, à commenter, critiquer, caricaturer ;

que cette liberté ne dispense en aucune manière les journalistes et les rédactions d’une nécessaire exigence individuelle et collective de professionnalisme, de rigueur et de déontologie ;

qu’en aucun cas la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit l’emporter sur le sérieux de l’enquête ou la vérification des sources ;

qu’un des meilleurs moyens de garantir la liberté de la presse consiste à permettre aux citoyens d’accéder à une information indépendante, complète, pluraliste et de qualité.

Paris, le 7 janvier 2020

https://snjcgt.fr/2020/01/07/6969/