« Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos tâches ».
Ces quelques vers de Baudelaire semblent taillés sur mesure pour illustrer les diverses repentances dont l’Eglise nous a accablées ces derniers temps. Il est vrai qu’elle a beaucoup à se faire pardonner. Il ne faudrait pas croire pour autant que, du passé, elle fait table rase. Bien au contraire, cette vaste opération de relations publiques n’est qu’un prétexte pour réécrire l’Histoire. Bref, nous sommes plus près de la manipulation que de la réalité historique. Ainsi, la doctrine et l’institution ne sont jamais remises en cause, il s’agit tout au plus, doux euphémismes, «du péché de ses enfants», de «l’indifférence» des chrétiens face à l’holocauste, de «turbulences de l‘histoire» pour les crimes de l’Inquisition, du «silence» des évêques français pour leur soutien actif au gouvernement Pétain… !
L’Eglise en tant que telle n’est donc jamais compromise. Il s’agit pour elle d’assumer les fautes «dont elle n’est pas responsable» ! La Libre Pensée se doit de combattre cette forme pieuse de révisionnisme. En outre, le dogme est encore fécond. Aujourd’hui encore et notamment, quand l’Eglise catholique s’oppose au contrôle des naissances, quand elle lance des campagnes contre le port du préservatif en Afrique, en ignore-t-elle les conséquences ? Pour le Vatican, l’action politique d’aujourd’hui, c’est le plus souvent, la repentance de demain.
Claude Le Tanter
Se repentir, c’est libérer sa conscience. Ainsi, le pape Jean-Paul II veut libérer la sienne en reconnaissant et en regrettant les fautes de l’Eglise à l’occasion du jubilé de l’an 2000. Pour lui : «Il est juste (…) que l’Eglise prenne en charge avec une conscience plus vive le péché de ses enfants, dans le souvenir de tristes circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l’esprit du Christ et de son Evangile, présentant au monde (…) le spectacle de façon de penser et d’agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale». «Le péché de ses enfants», formule qui dédouane les papes, «le spectacle de penser et d’agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale», formule qui permet d’escamoter les massacrés, les pogromés, les censurés, les victimes de l’Index, de l’Inquisition, des Croisades. Quelles sont donc ces façons de penser et d’agir qui font scandale aux yeux de Karol Wojtila ? Une centaine de fautes historiques sont ainsi reconnues. Elles ont été analysées par Luigi Accatoli dans un livre paru en 1997 «Quand le pape demande pardon». L’auteur relève et analyse quatre-vingt-dix demandes de pardon, «une véritable révolution des mentalités religieuses» pour ce chroniqueur. Pour un quart, il fait «amende honorable», voire demande «pardon».
Une «révolution des mentalités» ?
Sont ainsi couverts de 1979 à 1996, au fur et à mesure des voyages pontificaux et des circonstances : les Croisades, les dictateurs, les divisions entre Eglises, les femmes, les juifs, Galilée, les guerres de religion, les réformateurs, Jan Hus, Jean Calvin, les Indiens d’Amérique, les injustices, l’Inquisition, l’intégrisme, les mafias, le racisme, le Rwanda, le Schisme d’Orient, l’histoire de la papauté, la traite des Noirs. Peut-on parler pour autant «de révolution des mentalités» A propos des Croisades, il met en avant «les difficultés de dialogue» ! A propos de Hitler et du IIIe Reich, nazi, l’Eglise a «trop peu fait» contre le régime nazi (Berlin 1996). Il demande pardon de «l’indifférence des chrétiens» face à l’holocauste. L’affaire Galilée ? «un douloureux malentendu», «une tragique erreur réciproque» ! Il reconnaît «la grandeur spirituelle» de Jan Hus, de Jean Calvin, d’HuIdrych Zwingli pour demander pardon pour les torts causés aux «non-catholiques» ! Le massacre des Indiens d’Amérique : «la faute aux missionnaires», les autodafés, les procès en sorcellerie de l’Inquisition : des «erreurs» ; la condamnation de Luther, les crimes des papes inquisiteurs et massacreurs : «des turbulences de l’Histoire».
Chaque fois, le pape évite de mettre en cause l’un des ses prédécesseurs. On ne contredit jamais un autre pape, pas plus Pacelli (Pie XII) que Jules II, Pie V ou Léon XIII. Il se drape dans le dogme de l’infaillibilité pontificale. Il s’agit, pour lui, «d’assumer les fautes de l’Eglise dont elle n’est pas coupable, mais dont elle doit reconnaître qu’elles ont été celles de ses membres». Autrement dit, l’institution n’est jamais remise en cause.
Bruno Forte, membre de la Commission Théologique Internationale, professeur de théologie dogmatique, s’interroge dans la revue catholique Communia de mai-juin 2002 : «Est-ce que ceux qui ont commis la faute auraient pu s’en rendre compte dans le contexte du temps ? Si la réponse est oui, et seulement dans ce cas, selon la pontificale commission, il y a faute». Sont ainsi absouts Bellarmini, qui ne pouvait se rendre compte que Galilée avait raison ou Pie XII, puisque le jugement historique ne suffit pas. Pour ces théologiens, il faut conjuguer jugement théologique et jugement historique. Alors, pourquoi toutes ces déclarations médiatisées aux quatre coins du monde ? Jean-Paul II explique dans un discours du 1/09/1999 publié dans l’Osservatore Romano: «reconnaître le fléchissement d’hier… nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter».
Se repentir pour mieux
cacher l’essentiel
Bref, il s’agit de se repentir un peu pour cacher l’essentiel afin d’affronter les difficultés d’aujourd’hui. Car, il s’agit bien davantage que de «fléchissements» : la destruction des sanctuaires antiques à partir de 312, l’incendie des synagogues d’Alexandrie, la lapidation d’Hypathia, la dernière grande mathématicienne de l’école d’Alexandrie, le sac de Jérusalem en 1099, de Constantinople en 1204, de Béziers en 1209, de Bologne par les armées conduites en personne par le pape Jules II, en 1506 !
Des «fléchissements», des siècles de pogromes, de massacres de juifs, d’antisémitisme, d’humiliation ? En 1215, le 4e concile de Latran décide d’imposer aux juifs «un signe distinctif» sur leurs vêtements. Louis IX – leur saint Louis – y ajouta le port d’une marque rouge. En 1466, lors des festivités préparées par Paul II, furent organisées des courses de juifs entièrement nus dans les rues de la ville pour divertir les Romains. En 1506, à Lisbonne, 3000 juifs sont tués par de pieux catholiques excités par des prélats !
Plus près de nous, rapporte David Kertzer, dans «Le Vatican contre les juifs» le pape Léon XII, en 1825, donne l’ordre d’enfermer de nouveau tous les juifs des Etats pontificaux dans leur ancien ghetto et de rétablir les vieilles restrictions à leurs mouvements et relations avec les chrétiens. Aucun juif ne peut quitter Rome sans autorisation écrite. Ils ne pouvaient davantage employer de chrétiens chez eux, beaucoup de professions leur étaient interdites : artisanat, manufacture, médecine. Ajoutons à cela les conversions forcées d’enfants. Et tout ceci, jusqu’à l’annexion de Rome à l’Etat italien.
A cela, les nazis ajoutèrent la «solution finale». Ce qui donne plus de poids aux membres de l’Eglise qui n’ont pas accepté le silence complice de Pie XII.
Des « fléchissements » ?
Peut-on parler de «fléchissement» des membres de l’Eglise pour :
– les victimes de la chasse aux sorcières, jusqu’en 1788 ou celles de la Congrégation de l’Index, qui a censuré de 1571 à 1964, dont les dernières victimes furent, entre autres, Sartre, Gide, mais pas Hitler et «Mein kampf» ou Mussolini !
– l’exécution de Giordano Bruno, bâillonné et brûlé vif en 1600 ou celle du chevalier de la Barre, en 1766 et à 19 ans pour avoir croisé une procession sans ôter son chapeau !
– les victimes de l’Inquisition qui a condamné au bûcher jusqu’en 1826 ;
– les jeunes enfants castrés encore en 1878, pour satisfaire les oreilles de Rossini et l’interdiction faite aux femmes de chanter dans le chœur de la sainte Eglise ;
– la conversion forcée des Indiens de l’Arizona, l’expulsion des Maures et des juifs d’Espagne ;
– la remise de l’ordre de «l’éperon d’or» à Mussolini, la plus haute distinction vaticane, par Pie XI, en 1932. Echappent aussi à la repentance les responsables des pires atrocités :
– Théophile, patriarche d’Alexandrie, ordonnateur de la destruction des temples grecs et des monastères chrétiens qui adhérèrent aux idées d’Origène, devenu saint Théophile et adoré comme tel ;
– Torquemada, Grand Inquisiteur de Castille, tortionnaire, ordonnateur de bûchers ;
– le cardinal Bellarmini, l’accusateur de Giordano Bruno, canonisé et proclamé «Docteur de l’Eglise» en 1931 ;
– Pie V, le saint pape, inquisiteur, qui se vantait d’avoir accusé, confondu, condamné plus de cent hérétiques au bûcher qu’il allumait de ses propres mains. Jean-Paul II a béatifié le cardinal Stepinac. Lequel avait soutenu Ante Palevitc, le bourreau des Serbes, des juifs et des tziganes. Il a béatifié également Balaguer, le fondateur de l’Opus Dei en Espagne. Les foudres du Vatican restent réservées aux condamnations de l’usage du préservatif ou pour suspendre deux théologiens allemands qui ont douté, l’un de l’infaillibilité pontificale, l’autre de l’immaculée conception.
Pourquoi cette publicité autour des repentances ? Pourquoi ces silences ? Parce que l’Eglise est en difficulté. Chaque fois qu’elle a été menacée dans sa prétention totalitaire, elle a opposé deux types de riposte :
– soit la répression, pour éliminer ;
– soit en composant, pour récupérer des serviteurs de la foi.
Faire rentrer tous les hommes
dans le bercail de l’Eglise
Les premiers pères de l’Eglise ont dû composer avec la culture gréco-romaine, dans les premiers siècles et laisser la Raison aux philosophes et garder la théologie pour l’Eglise. Au Moyen-Age, les clercs ont le monopole de la pensée. L’Eglise frappe les hérésies, partout où elle le peut. Au XIIe et XIIIe siècle, l’essor de la bourgeoisie la contraint à s’adapter : l’évêque dans son château ou dans sa cathédrale avec ses cloches, les bourgeois à l’hôtel de ville avec beffroi ou campanile et carillons.
Thomas d’Aquin utilise la Raison pour répondre aux objections des détracteurs de la foi. Mais, déjà, il met en avant qu’un phénomène ne peut être explicable de par ses propres déterminants. Cela sera repris par Teilhard de Chardin.
Thomas d’Aquin de son côté, les Franciscains en critiquant la richesse, les Dominicains avec l’Inquisition de l’autre, visent à faire rentrer tous les hommes dans le bercail de l’Eglise. Aujourd’hui, plus que jamais depuis le XVIe siècle, depuis Galilée notamment, les dogmes ancestraux du catholicisme romain ne peuvent plus répondre aux interrogations des scientifiques. L’Eglise a du mal à opposer le dogme aux découvertes d’un Champollion, d’un Darwin, d’un Einstein. Il lui faut intégrer tous les développements de la nature dans une théologie du monde. Ce fut la démarche de l’abbé Grégoire en 1789 lorsqu’il a reconnu les droits de l’homme… mais subordonnés à Dieu ! C’est la démarche de Teilhard de Chardin pour qui l’Histoire réalise le processus divin, pour qui l’homme est le but de l’évolution.
Mettre la science au service
de la foi
C’est la même vision qu’il réactualise quand Jean-Paul II définit les calvinistes ou les luthériens comme des «non-catholiques», lorsqu’il parle des «frères» à propos des musulmans, lorsqu’il déclare au sujet des théories de l’évolution, sur les conseils de l’Académie Pontificale des Sciences, qu’il existe des lectures matérialistes et réductrices et des lectures spi-ritualistes.
Il en est de même pour l’Histoire en général et l’histoire de l’Eglise en particulier pour les académiciens pontificaux et les intellectuels qui se retrouvent dans la revue Communia pour aider le pape à mettre la science au service de la foi. Ces repentances, qui mettent sur le même plan Galilée et Bellarmini, les faits établis par la science et les soi-disant vérités de la foi, qui font silence sur les responsabilités du pape, de l’Eglise comme institution dans la barbarie nazie, ne sont que des regrets fictifs pour tenter de rendre acceptable la lecture spiritualiste de l’Histoire.
Cette repentance serait-elle une farce dont nous devons nous désintéresser ? Non, l’Eglise tente d’intégrer dans une théologie du monde des faits devenus aujourd’hui incontestables. Il nous appartient de poursuivre le combat d’Hypathia, de Galilée, de Champollion, de Darwin, de Diderot, de Rostand. Il ne nous revient pas d’interférer dans les débats interreligieux, laissons cela aux théologiens. Il nous appartient de dévoiler la falsification historique, comme le souligne notre camarade Christian Eyschen dans «La Libre Pensée contre l’Eglise». L’Eglise ne fut ni silencieuse ni victime en Allemagne, en Italie, en France, en Croatie, en Espagne. La thèse du pape prisonnier de Mussolini puis des nazis au Vatican ne tient pas. De qui était-il le prisonnier lorsqu’il organisait des filières d’évasion pour les criminels de guerre vers l’Amérique ? Il nous revient donc de tout faire pour que les vérités de l’Histoire soient respectées et non falsifiées. La démocratie, comme la laïcité ont tout à y gagner.
(Ce texte est extrait d’une conférence donnée par notre camarade Louis Couturier, président de la fédération de l’Essonne de la Libre Pensée).
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