Hawking « contre » Trinh Xuan Thuan ?


par Georges Douspis

La Nature se dévoilant à la science (1899) – Ernest Barrias (1841-1905) – musée d’Orsay – cliché Idée Libre

Publié en 1998, « Le Chaos et l’harmonie », qui porte le sous-titre « La fabrication du Réel », est une œuvre de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Il y « rejette l’hypothèse du hasard (…) en dehors même du non-sens et de la désespérance qu’il entraîne… » . Dans « The Grand Design » (2010), Stephen Hawking semble lui répondre en postulant, comme il est dit dans le chapitre premier, que la « création [des univers multiples] ne requière [aucune] intervention d’un être surnaturel ou divin. »

D’emblée, l’auteur, dans son avant-propos, affirme : « Non seulement les lois physiques ont été réglées de manière extrêmement précise pour que la vie émerge, mais elles ont aussi permis l’apparition de la conscience ». Serait-il malséant de poser la question : « Réglées par qui ? ».

La réponse, selon M. Trinh Xuan Thuan, va de soi. Il existerait une puissance supérieure (qu’il nommera dans sa conclusion « une Cause Première ») qui a décidé de tout, un être, sans doute préexistant à toute chose, dont on ne dit pas ce qu’il est, mais que l’auteur affirme concepteur d’un « grand dessein » qui se traduit par le paramétrage des « lois physiques » en vue de « l’émergence de la vie » jusqu’à « l’apparition de la conscience ». Nous sommes là dans ce que l’on appelle le « principe anthropique fort » qui aboutit à cette affirmation, pour le moins gratuite, qui veut que « les observateurs sont nécessaires non seulement à la constatation, mais même à l’existence d’un univers observable ».

La science avait permis de chasser, par la grande porte, cette trouble métaphysique philosophico-religieuse, il la réintroduit en fraude par la fenêtre : « II nous faut donc faire appel à d’autres modes de connaissance, comme l’intuition mystique ou religieuse ».

Monsieur Trinh Xuan Thuan avoue : « Je rejette l’hypothèse du hasard, car, en dehors même du non-sens et de la désespérance qu’il entraîne… ».

Ce type de raisonnement qui procède à rebours et entend expliquer la cause par l’effet, est la négation de toute méthode scientifique.

Contrairement à ce que l’on pourrait légitimement supposer en fonction du titre et de la qualité d’astrophysicien de l’auteur, cet ouvrage n’est pas un livre de vulgarisation scientifique mais une œuvre philosophico-théologique qui manipule la science pour étayer une démonstration visant à prouver l’existence d’une « Cause Première » c’est-à-dire, in fine, d’un dieu. L’auteur avoue d’ailleurs qu’il a « tenté de montrer dans cet ouvrage que le matérialisme [était] mort ».

Le livre de Stephen Hawking, publié en 2010, peut apparaître comme une réponse au créationniste Trinh Xuan Thuan, en cela qu’il postule que la « création [des univers multiples] ne requière [aucune] intervention d’un être surnaturel ou divin ».

Le titre original est « The Grand Design » surtraduit par M. Filoche : « Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? » qui trahit ainsi la pensée de l’auteur.

La première partie fait la part belle aux découvertes de la science au cours du XXème siècle, relativité, physique quantique… C’est un texte de vulgarisation, efficace et bien écrit, qui se lit avec plaisir, parsemé qu’il est de traits d’humour comme : « II est très possible que des aliens dotés de dix-sept bras, d’une vision infrarouge et aux oreilles pleines de crème fraîche… ».

Cependant, on peut poser quelques questions, voire émettre certaines réserves.

Ainsi que le rapporte Hawking en 1999, l’expérience de diffraction de C60 (fullerène), réalisée par des chercheurs de l’Université de Vienne, a montré que la dualité onde-particule s’applique aussi à une macromolécule comme le fullerène. Hawking s’est demandé : « jusqu’à quelle taille et quel niveau de complexité un objet pouvait présenter de telles propriétés ondulatoires ».

Mais n’est-on pas en droit également de se demander si le principe d’indétermination d’Heisenberg s’applique aussi quelle que soit la taille de l’objet ?

Par ailleurs, Hawking et Trinh Xuan Thuan évoquent certains aspects qui fondent la dialectique. Ainsi dans « Le chaos et l’harmonie », on trouve ce passage : « Dans certains systèmes où le tout est plus grand que la somme des composantes… ». Cela renvoie à l’une des caractéristiques fondamentales de la dialectique comme science de la contradiction. Chez Hawking, on retrouve exactement le même élément : « Aussi étrange que cela puisse paraître, il arrive très souvent en science qu’un assemblage important se comporte différemment de ses composants individuels ». Chez Hegel cela s’appelait : « transformation de la quantité en qualité ».

Cependant la réflexion à ce sujet chez l’un et chez l’autre se limite à ces rares remarques. Il serait sans doute intéressant de se pencher sur le problème des relations de la dialectique avec la physique quantique.

Au delà des questions purement scientifiques, on a reproché à Hawking d’utiliser un vocabulaire à connotation religieuse ce qui n’est pas complètement faux. Par exemple, il emploie à plusieurs reprises le terme « création » ce qui ne va pas sans une certaine ambiguïté. Dans son ouvrage, Hawking ne prétend nulle part que Dieu n’existe pas. Le titre original : « The Grand Design », ne signifie nullement que le livre a pour but de démontrer que Dieu n’existe pas, mais que point n’est besoin de lui pour expliquer l’origine de l’Univers, ce qui n’est pas du tout la même chose.

D’ailleurs à la question que j’ai posée à Mlodinov : « Pourriez-vous m’expliquer le sens précis de l’expression « Grand Dessein » ? Est-ce une phrase ironique, une sorte de clin d’œil aux créationnistes ? », ce dernier a répondu : « Oui, le titre est une manière ironique de traiter la science que nous décrivons dans le « Grand Dessein », il n’y a pas de plan de Dieu ! », ce qui confirme que le titre de leur ouvrage, « The Grand Design », est un clin d’œil, une plaisanterie ironique à l’égard des créationnistes.

Cependant il reste dans cet ouvrage certains aspects assez troublants, dont l’adhésion d’Hawking à la théorie du « principe anthropique fort ». Certes, cela gêne un peu notre auteur qui est bien conscient que la manipulation de concepts de ce type est lourde de conséquences. Ces raisonnements fallacieux à la Pangloss, en effet, présentent l’apparence de la plus parfaite logique, mais partent de prémisses totalement erronées. Imprégné d’idéologie religieuse, Hawking ne parvient pas à s’en débarrasser et transmet, en quelque sorte malgré lui, cette pensée régressive. Certes, il s’en défend, mais fort maladroitement. Sa justification repose sur la théorie d’un «  multiver » dont il reconnaît lui-même qu’elle n’est pas « confirmée par l’observation ».

Ainsi pour justifier une proposition plus que douteuse, il en appelle à une autre pour le moins hypothétique !

En ce qui concerne la M. théorie sur laquelle Hawking fonde sa démonstration, l’astrophysicien A. Blanchard est très mesuré dans son appréciation. « Ces théories sont à l’état de spéculations » . Cette prudence semble tout à fait justifiée.

Les œuvres de Trinh XuanThuan et de Hawking semblent donc, de prime abord, s’opposer frontalement, la première postulant l’existence d’un créateur, la seconde tentant de démontrer qu’il n’en est pas besoin. La première condamnant la théorie des univers multiples, la seconde, au contraire, fondant toute sa démonstration sur l’existence supposée de tels univers. Les fondements du livre de Hawking sont très fragiles. En fait, en dehors de son apport passionnant en tant que vulgarisateur scientifique, la seule réflexion vraiment convaincante dans sa démonstration est celle qui affirme que se référer à dieu revient à tenter de résoudre une énigme en en créant une autre :  « … recourir à [Dieu] pour répondre à la question : [quelle est l’origine de ces lois ?] revient à substituer un mystère à un autre. », formule reprise dans le dernier chapitre : « Si la. réponse est Dieu, alors on ne fait que repousser le problème à celui de la création de celui-ci. » Ce qui est on ne peut plus vrai !

Essayer de démontrer, en s’appuyant sur la science, l’existence de Dieu est une absurdité, mais tenter de démontrer que Dieu n’existe pas est une absurdité au moins aussi grande.

Des matérialistes fourvoyés s’acharnent à démontrer que Dieu n’existe pas, ce qui est rigoureusement impossible. C’est ne pas comprendre que la religion est le produit d’un rapport social : « Dieu, c’est-à-dire la domination étrangère du mode de production capitaliste » disait Engels. Ce n’est pas une erreur qu’il suffirait de combattre scientifiquement.

Hawking le sait bien qui ne prétend pas prouver que dieu n’existe pas mais, simplement, qu’il n’y a pas lieu de faire appel à lui pour expliquer l’émergence de l’Univers.

Qu’à l’instar de Hawking, les scientifiques poursuivent leur travail de scientifiques et fassent progresser la connaissance, que, d’autre part, les salariés mènent leur combat pour l’avènement d’une société sans classes, et le jour de la victoire toutes ces illusions tomberont d’elles-mêmes et s’évanouiront comme fumées de cierges.

Georges DOUSPIS,
est Enseignant et Libre penseur
in « En défense de la science » Idée Libre n°327 pp 41- 44

Notes :

1 Œuvre de l’astrophysicien créationniste Trinh XuanThuan.
2 Barrow Tipler & Wheeler – The Antropic Cosmological Principle.
3 Le titre original indiqué par les Éditions Odile Jacob, est d’ailleurs fautif. Il est donné comme « the Great Design » alors que c’est « The Grand Design ».
4 Markus Arndt, Olaf Nairz, Julian Voss-Andreae, Claudia Keller, Gerbrand van der Zouw et Anton Zeilinger.
5 Engels = Anti-During – 1878 – Monsieur Dühring interdit la religion.

L’Idée Libre est une publication de la Fédération Nationale de la Libre Pensée 

Sommaire

DOSSIER / EN DÉFENSE DE LA SCIENCE :

  7. Laurent DELVA : Les cellules souches humaines : un enjeu scientifique majeur

11. Christian LÉVÊQUE : Biodiversité : le lourd héritage de la pensée judéo-chrétienne

17. Alfred SPIRA : Le glyphosate, dangers et risques – science et décision politique

21. Catherine VIDAL : La pensée sur disque dur : science fiction ou futur probable ?

26. Claude BRAUN : Dénoncer la science en vrac pour faire avancer la cause du féminisme, n’est pas la solution

30. Pierre JOUHANET : Pourquoi créer des modèles embryonnaires à usage scientifique ?

36. Charles SUSANNE : L’homme amélioré. Vous avez dit humain

41. Georges DOUSPIS : Hawking « contre » Trinh Xuan Thuan ?

45. Benoît RITAUD : La religion du climat

48. Alexandre LUCRÈCE : Le combat contre l’écologisme politique : l’urgence absolue !

51. Sébastien PIERRE : L’importance de la recherche fondamentale

LES HOMMES DU VATICAN :

58. David MARR : Brutal et dogmatique. George Pell avait déclaré la guerre au sexe, alors qu’il a abusé d’enfants

MAGAZINE :

64. Michel Singer : Käte Kollwitz

70. Fabien JEANNER : Le Brexit et l’impasse irlandaise