Dimitri Chostakovitch est né à St-Pétersbourg le 25 septembre 1906 et s’est éteint à Moscou le 9 août 1975.
« Et s’ils me coupent les deux mains, je tiendrai ma plume entre les dents et je continuerai à écrire de la musique » Dimitri Chostakovitch
« II n’y a pas d’art patriotique ni de science patriotique. L’un et l’autre, comme tout ce qui est haut et bon, appartiennent au monde entier et ne peuvent progresser que par la libre action réciproque de tous les contemporains, et en tenant sans cesse compte de ce qui nous reste et de ce que nous connaissons du passé. » Goethe
« Un pouvoir authentiquement révolutionnaire ne peut ni ne veut se donner la tâche de »diriger » l’art, et moins encore de lui donner des ordres, ni avant ni après la prise du pouvoir. » L. Trotsky (1938).
« Toute licence en art » Breton-Rivera-Trotsky (1938)
Verena Nees présente le compositeur ainsi : « Né en 1906 dans une famille érudite de Leningrad à l’ascendance révolutionnaire polonaise, il était l’un des nombreux artistes soviétiques inspirés par la révolution d’Octobre.
A l’âge d’onze ans, pendant la révolution de février 1917, il commençait à former ses premières impressions politiques à la vue d’un cosaque qui faucha un garçon à coups de sabre devant ses yeux. « Je ne l’oublierai jamais », dit-il dans ses mémoires. Le morceau de piano qui commémore cet incident – « Marche funèbre en mémoire aux victimes de la révolution » – est l’une de ses premières compositions. Il avait seulement récemment commencé l’apprentissage du piano.
En avril 1917, lui et des camarades d’étude se rassemblèrent à la gare de Finlande, où Lénine arriva de l’exil, bien entendu sans être pleinement conscients du rôle que ce dernier allait jouer dans les événements suivants. A seize ans, il fut admis au Conservatoire par Alexander Glazounov. Lorsqu’on lui demanda de soumettre une thèse finale en vue d’obtenir son diplôme, il écrivit sa Première Symphonie, dont l’optimisme révolutionnaire pétillant lui valut un succès immédiat et retentissant.
Le directeur de théâtre légendaire Vsevolod Meyerhold, qui tombera victime des purges de Staline, l’appela plus tard à son théâtre à Moscou, où se retrouvait l’avant-garde artistique après la fin de la guerre civile. Ici, Chostakovitch collabora avec Meyerhold pour produire son opéra « Le Nez » (basé sur un récit de Gogol), mit en musique « La Punaise » de Maïakovski et écrivit également son opéra « Lady Macheth du district de Mzensk« . Cet opéra fut joué avec succès plus de vingt fois avant d’être soudainement condamné dans un article dicté par Staline paru dans la Pravda sous le titre « Du chaos à la place de la musique« . De plus, l’article dénonça le compositeur de l’opéra comme « ennemi public« . Chostakovitch fut interdit de faire jouer ses œuvres pour presque deux ans et était menacé chaque jour d’arrestation. A la différence de beaucoup d’autres compositeurs tels Prokofiev [qui pourtant revint en URSS en 1933 NDR] il refusa d’émigrer vers l’Ouest, cherchant plutôt de trouver une façon de continuer de composer en Union Soviétique sans capituler devant Staline (…) Il dit, au début de ses mémoires : « Je suis passé dans la vie non comme un badaud, mais comme un prolétaire ! »
« Pendant la guerre civile, il devait gagner de l’argent pour pourvoir aux besoins de sa famille en accompagnant les films dans des cinémas au piano. Jusqu’à la fin de sa vie, Chostakovitch avait une aversion presque physique contre les intellectuels privilégiés qui cherchaient la faveur de Staline dans l’intérêt de leur propre avancement (…)
Il réserva une critique particulièrement tranchante aux intellectuels occidentaux gauchistes qui venaient à Moscou en tant qu’ « amis de l’Union Soviétique » et écrivaient des articles minimisant la barbarie des procès de Moscou. Ceux-ci incluaient Lion Feuchtwanger, André Malraux, George Bernard Shaw et « l’humaniste encore plus célèbre Romain Rolland », qui lui donnaient des « nausées » ».
« J’ai voulu évoquer le combat de l’homme avec son destin et chanter la victoire de l’esprit, obtenue au prix de longs efforts d’un labeur persévérant » D. Chostakovitch.
« La mort résout tous les problèmes : pas d’hommes, pas de problèmes » Joseph Staline
Дмитрий Дмитриевич Шостакович
Le « réalisme socialiste » pour assujettir les artistes
Jean-Jacques Marie : Août 1946, Staline, « pour reprendre en main la population, il frappe d’abord les intellectuels… André Jdanov est chargé de mettre au pas l’intelligentsia : les écrivains, puis les philosophes, les historiens, les musiciens. L’ère du « jdanovisme » commence. » « Après la littérature le cinéma : le 4 septembre 1946 le Comité central dénonce la 2ème partie-du film d’Eisenstein, Ivan le Terrible… En janvier 1948, Jdanov dénonce les « dirigeants de la tendance formaliste » en musique, à savoir les seuls vrais musiciens de l’URSS : Chostakovitch, Prokofiev, Khatchaturian ! »
Le « réalisme socialiste » vu par L. Trotsky (1938 Coyoacan).
« Le réalisme consiste à pasticher les clichés provinciaux du troisième quart de siècle passé : le caractère « socialiste » s’exprime visiblement en ce qu’on reproduit, à l’aide de photographies trafiquées, des événements qui n’ont jamais eu lieu…dans ces œuvres, des fonctionnaires, armés de la plume, du pinceau ou du burin, glorifient, sous la surveillance de fonctionnaires armés de mausers, les chefs « grands » et « géniaux ». »
« Lady Macbeth de Mzensk. ». son opéra condamné par Staline
Jean-Jacques Marie (in Staline-Fayard p.463) : « Le 20 janvier 1936, Staline assiste, dans la loge gouvernementale, à la première, de l’Opéra de Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk. Au troisième acte, il se lève brusquement et quitte la loge. Le lendemain, la Pravda dénonce violemment la musique de Chostakovitch. Les goûts musicaux de Staline, qui adore pousser la chansonnette, étaient assez primitifs, mais la musique n’a rien à voir à l’affaire. L’Opéra met en scène un mari tyrannique. brutal et grossier, empoisonné par sa femme. L’assassinat réussi d’un despote, même domestique, lui a été intolérable, même si l’allusion est involontaire. L’est-elle d’ailleurs ? Staline ne peut y voir qu’un encouragement à se débarrasser des tyrans. »
La 7e Symphonie « Leningrad »
Verena Nees : « Le 9 août 1942, la Septième Symphonie de Dimitri Chostakovitch dite « Leningrad » était jouée dans la ville du même nom, maintenant Saint Pétersbourg. A l’époque, la ville se trouvait assiégée par l’armée allemande depuis plus d’une année, et ses habitants étaient soumis à une famine implacable. Karl Eliasberg conduisit un orchestre composé de quinze musiciens survivants de son orchestre de la radio et d’autres musiciens qui avaient été rappelés du front pour l’occasion. L’Orchestre philharmonique de Leningrad, alors sous la direction d’Evgueni Mravinski, avait été évacué à Novossibirsk, où son interprétation de la Septième Symphonie avait déjà rencontré un grand succès en juillet.
La partition de la symphonie fut transportée dans un avion spécial qui contourna le blocus pour atteindre la ville assiégée. Le jour même du concert, l’armée allemande commença une offensive soumettant la ville à de lourds bombardements. L’année soviétique stationnée à Leningrad imposa le silence à ses canons antiaériens pendant la durée du concert. (…) »
Sur les idées politiques de Chostakovitch :
Verena Nees : « Si cela nous frappe comme une chose contradictoire, ce n’est qu’en apparence. L’opposition de Chostakovitch au régime stalinien n’avait rien à voir avec l’anticommunisme. A la différence de dissidents tels que Soljénitsyne et Sakharov, il rejetait intuitivement l’idée de retourner à des relations capitalistes. »
« Chostakovitch n’était pas politicien, et bien qu’il ait peut-être admiré l’attitude de trotskystes tels que le critique d’art Alexander Voronski, il n’arriva pas à saisir l’importance des disputes politiques et théoriques entre l’Opposition de Gauche et la bureaucratie stalinienne. A un moment, il déclare dans ses mémoires que ces conflits avaient « plutôt une valeur scolastique », et que « peut-être aurait-il mieux valu que Voronski se soit entendu avec Staline sur la question du socialisme… » ; peut-être serait-il alors resté en vie et aurait pu continuer à aider d’autres artistes.
Néanmoins, Chostakovitch était conscient, d’un point de vue artistique, de deux positions fondamentales de l’Opposition de Gauche, même s’il ne saisissait pas entièrement leur signification.
Premièrement, la bureaucratie stalinienne ne pouvait être réformée parce qu’elle était « rongée de l’intérieur », et deuxièmement, le fait que Staline commettait ses crimes au nom du socialisme avait les conséquences les plus graves et était « particulièrement odieux ». C’est pourquoi Chostakovitch avait une telle affinité avec des sympathisants de Léon Trotski tels que Meyerhold et Toukhatchevski.
La Symphonie « Leningrad » est une expression de la solidarité de Chostakovitch avec les traditions révolutionnaires de l’Union Soviétique qui continuaient d’inspirer les ouvriers en 1941, en dépit de la brutalité du régime de Staline. Ils n’hésitaient pas à défendre ce qui restait des acquis de la révolution d’Octobre. Quelques cinquante ans plus tard, en 1991, la bureaucratie stalinienne commit son ultime crime en démantelant l’Union Soviétique.
Chostakovitch coula en un chef d’œuvre musical l’histoire de l’Union Soviétique, avec toutes ses contradictions et sa tragédie. Il voyait la mobilisation des ouvriers pour la défense de l’Union Soviétique comme une chance pour un renouveau culturel de l’Etat ouvrier et le renversement du régime réactionnaire stalinien. C’est là l’énigme de sa Septième Symphonie. ».
G. Brun
Mouton noir 24 et 25
Bulletin trimestriel des libres penseurs des Alpes de Haute-Provence
Symbole si l’en est, Chostakovitch, ayant refusé de quitter la ville, s’engagea comme pompier volontaire avant de composer en pleine famine sa fameuse symphonie n°7 « Leningrad ». Cette photo et sa musique feront le tour du monde. Sa renommée mondiale comme « pompier-compositeur » lui sauva sans doute la vie… face aux menaces de liquidation physique staliniennes !
NDR : Les mémoires de Chostakovitch sont disponibles mais d’une seconde main, celle de Salomon Volkov ce qui induisit doutes, interprétations contradictoires et reniements à posteriori. J.J. Marie : Staline éd. Fayard p 463, 686, 770. |
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