par Jean-Marc Schiappa
Les amateurs de western (dont je suis) connaissent « L’étrange incident » de William A. Wellman avec le jeune Henry Fonda.
Empruntons, pour éclairer les novices, le résumé qu’en donne un célèbre site internet, catastrophique en beaucoup de domaines mais remarquable pour le cinéma :
« Dans les années 1880, dans un village du Nevada, se répand la nouvelle du meurtre de Kincaid, éleveur de bétail. En l’absence du Shérif, quelques personnalités influentes ainsi que l’Adjoint forment rapidement une milice afin de retrouver les coupables. La poursuite, menée par le major Tetley, aboutit à l’arrestation de trois hommes qui sont en possession de bétail portant la marque de l’éleveur. Arrêtés en pleine nuit à bonne distance du village, au lieu-dit « Ox-Bow », ils seront pendus à l’aube.
Leur chef, Donald Martin, se défend et prétend avoir acheté les bêtes. Mais ne peut produire aucun reçu prouvant ses dires. Un des habitants de la ville, Arthur Davies, essaie de faire entendre la voix de la raison et demande à la foule d’attendre le retour du shérif pour leur donner un procès équitable. Soutenu par un employé de ferme Gil Carter, qui depuis le début de l’affaire a tenté de freiner les ardeurs et a participé à la poursuite en espérant éviter une erreur judiciaire, Davies parvient à provoquer un vote. Seule une minorité du groupe (7 personnes) étant d’avis d’attendre l’officier de justice pour organiser le procès, les accusés sont exécutés.
En rentrant au village, la troupe rencontre le shérif qui leur apprend que l’éleveur n’a pas été tué ni volé. Qu’il est encore en vie. Le film s’achève sur un marasme général.»
Pourquoi depuis plusieurs longues et douloureuses journées, ce film me revient-il en mémoire ?
Hélas, ce n’est pas la fausseté de la nouvelle qui est en cause. L’éleveur, chacun l’aura compris, est l’enseignant innocent mais, à la différence du premier, ce dernier a été assassiné dans les conditions innommables que nous connaissons. Qui manque à l’émotion à ce sujet manque à tout sentiment humain.
Ce qui est commun, ce qui est courant, ce qui est partagé est la capacité à désigner de faux coupables, pour rester dans le cinéma et citer, ici, Fritz Lang. Parce qu’il s’agit bien de cela.
En effet, les vrais coupables, immédiats, acteurs directs, on les connait ou on le connait. L’action de la justice est éteinte.
Les complices directs, on les devine, et on les sent. On ne peut échapper à sa responsabilité car désigner publiquement un homme, c’est toujours désigner une corde.
Mais l’appel au lynchage n’est pas le propre des vidéos de terroristes.
Comment peut-on se dire responsable (je ne parle pas seulement de tel ancien ministre, naviguant toujours entre deux échecs électoraux) et parler de « complicité intellectuelle » pour viser ses adversaires politiques ? Nous ne citerons que pour mémoire les haineux habitués des réseaux sociaux et des plateaux télés, spécialistes en COVID, réchauffement climatique, terrorisme, pédagogie, demain en politique intérieure américaine… Nous l’avons dit plus haut : désigner publiquement une personne, c’est toujours désigner une corde.
L’article 121-7 du Code pénal définit la complicité. Il peut s’agir d’un acte fait par aide ou assistance ou encore par instigation (don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir). C’est la « criminalité accessoire ».
Le Code pénal est précis.
Le Code pénal méconnait «la complicité intellectuelle ». Il a raison.
Robert Badinter, qui possède quand même quelques titres comme avocat et comme homme politique, lui, demandait que l’on se taise. Qui l’a entendu ?
La meute est en train de passer…
Appelée par le sang, elle a soif de sang.
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