L’ancien nonce apostolique condamné à des peines dérisoires pour de multiples abus sexuels


Par Keith Porteous Wood, porte-parole de l’Association Internationale de la Libre Pensée, président de la National Secular Society (de Grande-Bretagne)

Décembre 2020

Le mois dernier, l’ancien ambassadeur du Pape en France, l’ex-nonce papal Luigi Ventura, a été jugé pour avoir agressé sexuellement cinq jeunes hommes, dont un fonctionnaire de la mairie de Paris.

L’avocat des plaignants a laissé entendre que les accusations ne représentaient que « la partie émergée de l’iceberg ».

Ventura a été déclaré coupable et vient d’être condamné à une peine de huit mois de prison avec sursis, soit moins que les dix mois de prison avec sursis recommandés par le procureur1. Quatre victimes doivent cependant recevoir 13 000 euros de dommages et intérêts, mais cela ne représente qu’une fraction du maximum possible.

Le fonctionnaire de la mairie a décrit la « main de Ventura qui me tenait les fesses »2  à deux mètres du maire de Paris à l’Hôtel de Ville : « Je me suis retourné et j’ai vu quelqu’un qui souriait », a-t-il dit. « Ce qui m’a étonné, c’est que ce n’était pas un accident, mais un acte délibéré ». Parmi les accusateurs de Ventura, un séminariste se plaint d’avoir été tripoté dans une sacristie, puis lors de la messe suivante.

Lorsque le séminariste, sous le pseudonyme « Marius », a dénoncé Ventura en interne, il a été averti que, dit-il : « j’attaquais quelque chose de plus fort que moi ». Après que « Marius » ait dénoncé Ventura à la police, il a été expulsé de son séminaire. Son expulsion n’a pas été annulée lorsque l’affaire Ventura a été rendue publique.

En tant que diplomate étranger, Ventura était protégé des poursuites par l’immunité diplomatique. Le Saint-Siège applique cette immunité avec acharnement3. Les gros titres faisant l’éloge du Saint-Siège sont apparus en juillet 2019 lorsqu’il a annoncé la levée sans précédent de l’immunité diplomatique, permettant à Ventura d’être poursuivi par les autorités françaises.

La machine publicitaire du Saint-Siège4 a déclaré : « C’est un geste extraordinaire qui confirme la volonté du Nonce […] de collaborer pleinement et volontairement avec les autorités judiciaires françaises ». L’hebdomadaire catholique anglais, The Tablet, a conclu que cela « indique une prise de conscience des dommages causés par la crise des abus, et comment il n’est plus viable pour le Saint-Siège d’utiliser la protection accordée aux diplomates lorsque des allégations d’inconduite sexuelle surviennent ».

Toutefois, Ventura n’a pas assisté à son procès, en invoquant les risques de la Covid-19, et n’a pas proposé de témoigner par liaison vidéo depuis Rome, où il est hors de portée de la justice française. Le Vatican n’est signataire d’aucun traité d’extradition. Le Saint-Siège est ensuite revenu sur sa décision de lever complètement l’immunité diplomatique de Ventura en la déclarant « partielle », ce à quoi les victimes ont dû résister avec acharnement.

L’avocat de la défense de Ventura a cherché à attribuer les agressions à des problèmes de vision de Ventura. Quels que soient les problèmes de vision, s’il y en a, ils ne semblent pas l’empêcher d’identifier les hommes, et d’agresser à nouveau ces mêmes hommes. Plusieurs des accusateurs se sont plaints de multiples agressions sexuelles.

L’avocat de la défense de Ventura a rejeté toutes les accusations comme « une information mineure » qui ne justifie pas « de devenir la base d’un procès historique » avant de prétendre que le jugement de Ventura a été altéré par une opération du cerveau. Une telle altération n’a pas empêché Ventura de continuer à exercer avec l’autorité du Saint-Siège la fonction de nonce et de servir également en tant que doyen de l’ensemble du corps diplomatique français.

L’expulsion du très jeune Marius de son séminaire envoie un signal clair : signaler un abus sexuel, même si le fait de ne pas le faire contrevient à la loi, entraîne des représailles.

Pour rétablir la confiance du public dans l’Église catholique française, Mgr de Moulins-Beaufort devrait rétablir « Marius », en sanctionnant ceux qui l’ont expulsé, et inviter tout ecclésiastique menacé pour avoir dénoncé ou aidé des plaignants, comme le père Pierre Vignon, à le contacter personnellement5.

L’agression sexuelle est passible d’une peine maximale de cinq ans de prison et d’une amende de 75 000 euros. Le procureur a décrit les accusations des victimes, y compris les agressions multiples, comme étant « crédibles, détaillées, répétées et mesurées ». Il a reconnu la « gravité des faits » et la nécessité de juger « sans faiblesse » avant de demander une peine de dix mois avec sursis sans aucune amende.

La faiblesse de la peine proposée par l’accusation envoie également un signal clair au public français et au monde entier que l’establishment français protège l’Église.

Compte tenu de la sentence et des petites amendes, il est difficile d’échapper à la conclusion que, bien qu’elle se targue d’être l’archétype de l’État laïque, la justice française semble être beaucoup plus indulgente envers les princes de l’Église qu’envers les autres. Ventura a apparemment peu payé pour l’effet sur les victimes de son plaidoyer de non-culpabilité, pour avoir monté une défense dérisoire, pour avoir tenté de revenir sur la levée de son immunité et pour avoir contribué à la ruine de la vocation d’un séminariste.

Pire encore, la sentence envoie un signal épouvantable aux auteurs d’abus cléricaux : le tribunal ne se soucie guère de les punir, et il ne sert pas à grand-chose que les victimes signalent courageusement avoir été abusées, surtout lorsque pour certaines, cela pourrait mettre fin à leur carrière.

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1 L’ancien nonce apostolique en France condamné à huit mois de prison avec sursis pour «agressions sexuelles»

2 « Une main m’agrippe la fesse »

3 Vatican cites immunity in refusal to send French court summons to CDF prefect (catholicnewsagency.com)

4 https://www.thetablet.co.uk/news/11853/analysis-does-the-lifting-of-immunity-in-france-mark-a-shift-in-the-vatican-s-handling-of-abuse-

5 https://www.ouest-france.fr/societe/religions/un-pretre-ecarte-de-sa-fonction-de-juge-canonique-apres-sa-petition-contre-barbarin-6047438