Nouvelle offensive religieuse contre le droit des femmes


 

« La morale de toutes les religions est à peu près la même: l’histoire de tous les cultes est la même aussi. Les hommes, dans tous les temps, ont fait de la religion un instrument d’ambition et d’injustice. » Melchior GRIMM

Le droit à l’IVG, qui est le droit des femmes à disposer librement de leur corps, continue à être interdit ou à être restreint dans de nombreux pays. Le 22 octobre 2020, sous l’impulsion des Etats-Unis, une alliance de gouvernements conservateurs religieux – allant de l’Arabie Saoudite à la Pologne en passant par le Brésil – a adopté une position commune (Déclaration de consensus de Genève) selon laquelle l’avortement dépend des législations nationales et non des instances internationales : « Il n’y a pas de droit international à l’avortement, ni d’obligation des États de financer ou de faciliter l’avortement ».

Selon cette alliance, l’interdiction ou les restrictions à l’avortement se justifient pour sauvegarder « les familles traditionnelles » c’est-à-dire les couples hétérosexuels, « protéger les vies innocentes », « préserver la vie humaine » et garantir accessoirement – et sans rire – le « bien-être de la femme ». Nous retrouvons ici la position du Vatican (Encyclique Evangelium vitae de 1995), celle de l’Eglise orthodoxe, d’imams – même si le Coran ne dit rien en particulier sur l’avortement -, des églises évangéliques, pour lesquelles « la femme est tout entière dans son utérus » selon la formule d’Hippocrate.

Le cléricalisme à l’œuvre des USA à la Pologne !

Alors qu’en Pologne l’interruption volontaire de grossesse (IVG) était autorisée et gratuite depuis 1956, en 1993 une loi extrêmement restrictive – la plus dure de toute l’Europe – sur le droit à l’IVG est votée sous la pression de l’Église catholique polonaise, encouragée fermement à l’époque par le pape Jean-Paul II. Depuis cette dernière date, l’IVG n’est plus autorisée que pour des raisons thérapeutiques : en cas de risque pour la santé de la mère ; en cas de malformation ou de maladie du fœtus ; à la suite d’un viol ou d’un inceste. La conséquence en a été que le nombre d’interruptions légales de grossesse est passé de 100 000 par an en 1993 à 194 en 2004, et que le nombre d’IVG clandestines a explosé au péril de la vie des femmes concernées.

Malgré cela, le nombre d’interruptions légales de grossesse est encore trop élevé pour la Fundacja Pro-Prawo do życia (Fondation Pro-Droit à la vie), la Ligue des Familles Polonaises, organisation ultra-catholique. Le gouvernement réactionnaire de Jaroslaw Kaczynski, soutenu par l’épiscopat polonais voulait encore durcir la loi en interdisant l’IVG même en cas de viol et de malformation du fœtus. Selon Malgorzata Owczarska de Ordo Iuris, «Ce n’est pas un projet pour interdire l’avortement mais pour protéger la vie, un enfant non-né n’ayant pas moyen de se protéger» (sic) et pour Karina Walinowicz « Il faut en finir avec la conception stalinienne de la loi qui déresponsabilise automatiquement la femme. » (sic) !

Le 22 octobre 2020, la Cour constitutionnelle, saisie par les fondamentalistes catholiques, a jugé inconstitutionnelle l’IVG pour les femmes enceintes de fœtus souffrant de malformations, même « graves et irréversibles ». Seul serait pris en compte le danger immédiat pour la mère. Mais suite aux importantes mobilisations des femmes polonaises, décrites comme « une manifestation terrifiante de la civilisation de la mort » selon l’archevêque de Lodz, le parti ultra-catholique au pouvoir : Droit et justice (PiS) a temporairement renoncé à étendre l’interdiction de l’avortement aux cas de viol, d’inceste ou de malformation du fœtus.

Qu’en est-il en Belgique ?

La Belgique est souvent montrée comme exemple en ce qui concerne les questions « éthiques » (euthanasie, PMA, GPA, mariage pour tous…) et l’on pourrait penser qu’elle échappe à cette vague obscurantiste et réactionnaire. Cependant…

La législation belge sur le droit à l’avortement est loin d’être exemplaire et subit régulièrement des tentatives de détricotage de la part des partis cléricaux. Les dernières négociations politiques fédérales sur la question nous en ont montré un bel exemple.

Ainsi, pour ne citer que quelques exemples : le délai pour pratiquer l’avortement est de 12 semaines encore en Belgique, alors qu’il est de 18 semaines en Suède, 22 aux Pays-Bas, 24 au Royaume-Uni.

La loi Lallemand-Michielsen sur l’avortement votée en 1990 n’est en fait qu’une dépénalisation partielle de l’IVG et non une libéralisation totale.

Les tentatives du Cd&V et du CDH de donner un statut à l’embryon et au fœtus, la suppression de la déclaration d’enfant né sans vie au profit d’un véritable acte de naissance, entraînent de facto la disparition de la différence entre embryon, fœtus et enfants mort-né. Pain béni pour les adversaires de l’IVG librement choisie par les femmes qui disposent de leur corps.

La dernière proposition de loi déposée par John Crombez (SPa) et Valerie Van Peel (N-VA) qui prévoit que « l’enfant dont une femme est enceinte est présumé déjà né chaque fois que son intérêt l’exige » ;

Et la « clause de conscience » qui indique qu’« aucun médecin, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse. Le médecin sollicité est tenu d’informer l’intéressée, dès la première visite, de son refus d’intervention. » remet en cause l’effectivité du droit à l’avortement.

La clause de conscience du médecin contredit, met en péril

la liberté de conscience et le droit des femmes à l’IVG

Pour le CLP-KVD, s’il est tout à fait légitime pour un médecin de refuser de pratiquer une IVG pour des motifs religieux ou personnels, libre à lui, dans ce cas, d’exercer dans un hôpital privé qui refuse de pratiquer l’IVG.

Le CLP-KVD demande la suppression du financement public des hôpitaux qui invoquent la clause de conscience pour toute l’institution et interdisent à leurs personnels de pratiquer des IVG.

Il s’agit, ici, d’appliquer au secteur public des soins de santé, le principe applicable à la fonction publique : celui de la neutralité. Accepterait-on, qu’un enseignant exerçant dans l’enseignement public refuse pour des raisons religieuses ou personnelles d’appliquer telle ou telle partie du programme ?

En conclusion, même sans valeur juridique, cette déclaration est un dangereux signal envoyé contre les libertés des femmes et leur droit inconditionnel à disposer de leur corps. Le CLP-KVD :

– dénonce la déclaration commune des 32 Etats du 22 octobre 2020 qui remet en cause la liberté de conscience des femmes et donc de leur droit à disposer librement de leur corps ;

– apporte son soutien sans réserve aux partisans du droit à l’IVG, de toutes les libertés démocratiques dont la séparation des Eglises et de l’Etat est l’un des piliers.

– demande la suppression de la clause de conscience pour les personnels soignants exerçant dans les structures relevant du secteur public.

Bruxelles, 15/12/2020