Barbara Stiegler est professeure de philosophie politique à l’université de Bordeaux Montaigne. Elle s’est notamment fait connaître pour avoir lancé avec ses collègues un retentissant appel, fin novembre 2020, « pour la réouverture immédiate des universités ».
En ce début d’année 2021, elle est l’auteure d’un petit livre d’une cinquantaine de pages, mordant et salutaire, intitulé « De la démocratie en pandémie », chez Gallimard (collections Tracts, 3,90 euros).
par Yan Legoff
Dans son essai qui se lit d’un trait, Barbara Stiegler dénonce les politiques gouvernementales, qui « ont fait le choix de Ici répression », « nous préparant à nous adapter sans protester à un monde nouveau, dans lequel nous serions appelés à vivre masqués, confinés […] jusqu’à la fin des temps ». Pour elle, « nombre d’experts ont joué ici un rôle trouble de caution » de ces politiques, et elle rappelle que « si le Covid-19 n’est certes pas une grippe, il n’a en réalité rien de commun avec la peste ». Car, pour l’universitaire. « le caractère extraordinaire de cette épidémie » ne tient pas tant au virus lui-même qu’aux « circonstances sociales et politiques qu’il révèle et que le confinement a d’ailleurs durablement aggravées, en augmentant les inégalités, en accélérant le délabrement du système de santé et en abandonnant à eux-mêmes une grande partie des patients (jusqu’à les laisser mourir seuls et sans soins – « restez chez vous », leur disait-on – pour ne pas contaminer les autres »).
SUR LE BANC DES ACCUSÉS
Paradoxalement, dit-elle plus loin, « c’est la démocratie – plutôt que la destruction de l’environnement et de nos systèmes de santé – qui se retrouve sur le banc des accusés » dans le discours ambiant. Et de relater cet échange ahurissant, en octobre dernier, sur les ondes du service public, entre le président de la Ligue contre le cancer et une journaliste, où le premier, avec l’assentiment de la seconde, déclare qu’« en contexte de pandémie, la démocratie est un inconvénient » ! Loin d’être une incongruité isolée, celte déclaration est dans l’air du temps politique et médiatique : la France est à cette date sur le point de connaître un couvre-feu, vite transformé en un nouveau confinement, dans un état d’urgence sanitaire sans cesse prolongé, où le droit de se déplacer, de manifester, de revendiquer est placé sous le contrôle tatillon et les interdictions édictées par les ministres, les préfets et leur police.
La « pandémie » est décrite, sous la plume de Barbara Stiegler. comme « un nouveau continent mental », inspiré des modèles autoritaires et désormais acclamé par « une bonne partie des classes dirigeantes qui a assisté arec effroi […] au réveil des révoltes populaires un peu partout dans le monde » ces dernières années.
« UNE SPECTACULAIRE INVERSION DES RESPONSABILITÉS »
L’universitaire conclut la première partie de son essai par un appel bienvenu à « briser la loi du silence qui s’est imposée dans nos milieux et les médias », à retrouver « une forme de résistance » et « le sens de la grève, de la manifestation et de la mobilisation générale ».
Barbara Stiegler fait ensuite le récit des mois de confinement, déconfinememt, reconfinement, dressant le réquisitoire d’un pouvoir sans cesse plus autoritaire, concentré dans des organes d’exception (conseil « scientifique », Conseil de défense). Elle dénonce au passage l’infantilisation, la culpabilisation permanente de la population. « Une spectaculaire inversion des responsabilités, dit-elle. Alors que les citoyens étaient les victimes d’une politique qui avait désarmé le système sanitaire, le gouvernement inversait la charge en l’imputant aux citoyens eux-mêmes, c’est-à-dire aux victimes non consentantes de ces décisions. » Tant il est vrai, conclut-elle, rappelant l’affaire des masques, l’hécatombe planifiée dans les Ehpad, les dizaines de milliers de lits d’hôpitaux fermés en vingt ans, que « les décisions du gouvernement ne furent jamais guidées par un souci réel de la vie et de la santé ».
MACRON TROUVE DES APPUIS
Stiegler s’insurge aussi à raison contre la décision, à la fin du premier confinement, de fermer les universités jusqu’à la fin de l’été (fermeture reconduite à partir de fin octobre). Et de noter : « La décision présidentielle trouva même des appuis du côté, des partis de gauche, et des syndicats. Enfermés dans une opposition simpliste entre la « santé » et « l’économie », ces derniers crurent résister au grand capital en prônant un confinement volontaire à durée indéterminée et tombèrent à leur tour dans le panneau des chroniqueurs, qui présentaient la peur du virus « pour soi-même et pour ses proches » comme un nouveau civisme, celui d’une société où primerait le collectif ». Ce fut, ajoute-t-elle, « le début d’une longue séquence politique inédite, dans laquelle tous les partis d’opposition renoncèrent à discuter, dans les médias, les décisions sanitaires du gouvernement.
Son récit s’achève par la mobilisation contre les mesures gouvernementales liberticides (loi sécurité globale, décret sur les fichages, loi sur le séparatisme), notamment le 28 novembre 2020, où, « bravant partout en France le confinement, des centaines de milliers de citoyens signifiaient au gouvernement qu’ils étaient désormais prêts à lui résister ». Et de lancer : « II est temps que l’on rouvre nos universités », de constituer des réseaux de résistance »»… A lire, assurément !
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Yan Legoff
Informations Ouvrières du 4-10 février 2021
Barbara Stiegler, De la démocratie en pandémie, Éditions Gallimard (collections Tracts), Paris, 2020, 58 pages, 3,90€
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