Excellente nouvelle sur le front de la laïcité au Québec. Le ministre de l’Éducation, M. Jean-François Roberge, a annoncé en octobre dernier le retrait du cours Éthique et culture religieuse (ECR), cours qui était obligatoire depuis 2008 pour tous les élèves du primaire et du secondaire au Québec. Selon ses concepteurs, ce cours était censé être basé sur une approche historique et culturelle du fait religieux et visait à remplacer les anciens cours optionnels de formation morale et d’enseignement religieux confessionnels.
Dans les faits, une aberration intellectuelle
Mais l’intention avouée des anciens gestionnaires du système scolaire confessionnel était tout autre. Le cours ECR ne visait en réalité qu’à maintenir du contenu religieux dans une école supposément laïque. La prétendue approche culturelle s’est avérée être une approche multiconfessionnelle : au lieu de n’offrir que de l’enseignement religieux catholique ou protestant (offert en option avec la formation morale), le cours ECR présentait les croyances religieuses de l’ensemble des religions de la planète, y compris les croyances para-religieuses allant de l’astrologie au balancement des chakras.
En 2016, nous avons procédé a l’analyse de contenus de divers manuels et cahiers d’exercices utilisés à chacun des niveaux d’enseignement et les constations ont été pires que ce a quoi nous nous attendions. Non seulement ce cours visait la transmission de croyances, de dogmes et de pratiques religieuses mais il ignorait totalement toute critique des religions, ignorait leur aspect violent au cours de l’histoire et ignorait l’existence de l’incroyance1.
Sur plusieurs aspects, ECR était plus religieux que les anciens programmes d’enseignement confessionnel puisqu’il invitait les élèves a reproduire en classe les rituels de leur religion. Ceux qui n’avaient pas de religion n’avaient qu’à s’en créer une en puisant dans le bouquet garni qui leur était offert.
La diversité religieuse et culturelle était réduite pour sa part à des stéréotypes illustrés par des fillettes musulmanes voilées et des Autochtones portant des plumes. Les fondements relativistes et multi-culturalistes du cours faisaient de la culture québécoise une composante sociale de même niveau que les us et coutumes des communautés issues de l’immigration.
Avant même son implantation, le Mouvement laïque québécois (MLQ) s’élevait contre ce programme qui, a l’évidence, n’était pas construit sur une approche culturelle ni historique du fait religieux. D’ailleurs, comment peut-on présenter, en contexte pédagogique et à des enfants de 6 ans, les croyances religieuses sous une approche « culturelle » ?
Une bouffée d’air frais
Pendant 13 ans, le MLQ n’a cessé de réclamer le remplacement d’ECR soit par un cours de philosophie pour enfants, soit par un cours d’éducation à la citoyenneté. L’annonce de l’abandon de ce cours, qui passera à l’histoire comme une aberration intellectuelle et un désastre sur le plan social, constitue une véritable
Selon ce que le ministre Roberge nous annonce, ECR sera remplacé par un cours de Culture et citoyenneté québécoise à partir de septembre 2022. Les contenus, qui restent encore à préciser, reposeront sur trois axes principaux, soit la culture québécoise comprendre comment la culture définit la société), la citoyenneté québécoise (partager les valeurs et les principes fondamentaux de la vie civique), ainsi que le dialogue et la pensée critique développer l’esprit critique par la pratique du dialogue et le questionnement à partir de dilemmes moraux).
Ce changement de cap radical va exactement dans le sens de ce que réclamaient le MLQ et les autres associations vouées a la laïcité. La notion de religion, qui inclut aussi la non appartenance religieuse et l’athéisme, redevient l’une des composantes de la culture et non plus la seule lunette par laquelle l’élève apprenait a connaître l’autre et a interagir avec lui.
La culture québécoise devient le pôle de référence plutôt qu’une culture parmi les autres. Dans son désir de « rallier plutôt que diviser », on sent chez le ministre Roberge le désir de redonner la fierté à la nation québécoise et de renverser la mentalité des accommodements religieux qui constituaient la base d’ECR.
Il convient aussi de saluer l’intention de mettre l’emphase sur le développement de la pensée critique. Il s’agit la d’un autre aspect qui était totalement évacué du cours ECR. Il est à souhaiter que la pensée critique s’exercera également à l’endroit des croyances religieuses et des pseudosciences.
Une pierre de plus dans l’édification de la laïcité
L’annonce du retrait d’ECR nous a grandement réjouis au MLQ. Il s’agit en fait d’une nouvelle victoire pour les défenseurs de la laïcité et l’une des cinq excellentes nouvelles sur ce front depuis deux ans.
Rappelons que le gouvernement du Québec a adopté, en juin 2019, la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21). Cette loi inscrit les principes de la laïcité dans la Charte québécoise des droits et libertés et proscrit le port de signes religieux pour les représentants de l’Etat en autorité et pour le personnel enseignant des écoles publiques.
Une telle déclaration de la laïcité constituait l’objectif premier du Mouvement laïque québécois. Nous voyons dans le retrait du cours ECR un corollaire de cette loi qui accorde aux citoyens le droit à des institutions publiques laïques.
Par ailleurs, le ministre responsable de la laïcité, M. Simon-Jolin Barrette, a créé cette année le Prix de la laïcité Guy-Rocher qui vise a récompenser une personnalité ou un organisme ayant contribué à la laïcité. Le premier lauréat de ce prix est le Mouvement laïque québécois, qui célèbre cette année ses 40 ans de combat.
Autre bonne nouvelle, le gouvernement du Québec a annoncé au début de décembre la création de la Direction de la laïcité qui aura notamment pour mandat d’assurer un rôle-conseil auprès du ministre responsable de la laïcité et de maintenir une expertise de pointe, avec une veille stratégique en matière de laïcité. La création d’une telle unité faisait partie des demandes du MLQ pour compléter la Loi sur la laïcité de l’Etat.
Finalement, le gouvernement se dote d’un Programme d’appui à la laïcité visant à financer des activités de recherche et de vulgarisation ainsi que la publication d’ouvrages ou l’organisation de colloques portant sur la laïcité républicaine.
ll ne faut par contre pas croire que la victoire est acquise. Non seulement la loi 21 a une portée limitée mais elle est violemment contestée devant les tribunaux par une coalition d’organismes multi-culturalistes pan-canadiens principalement anglophones. Ces opposants ne comprennent rien à la laïcité qu’ils associent à du racisme. C’est la Cour suprême du Canada qui aura le dernier mot dans… trois ou quatre ans.
Daniel Baril, président du Mouvement laïque québécois
1 Voir à ce sujet le volume collectif La face cachée du cours Ethique et culture religieuse. Leméac, Montréal, 2016, sous la direction de Daniel Baril et Normand Baillargeon.
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