Écœuré par les massacres, l’absurdité du conflit, indigné par les commémorations militaires nationalistes, les propos du soldat Louis BARTHAS en février 1919 expriment clairement la volonté de pacifisme des anciens soldats et non pas le militarisme, la glorification de la guerre :
« Dans les villages, on parle déjà d’élever des monuments de gloire, d’apothéose aux victimes de la grande tuerie, à ceux, disent les patriotards, qui « ont fait volontairement le sacrifice de leur vie », comme si les malheureux avaient pu choisir, faire différemment.
Je ne donnerai mon obole que si ces monuments symbolisaient une véhémente protestation contre la guerre, l’esprit de la guerre et non pour exalter, glorifier une telle mort afin d’inciter les générations futures à suivre l’exemple de ces martyrs malgré eux. »
La guerre de 14-18 a été non seulement une gigantesque boucherie humaine, mais elle a été également le théâtre sur tous les fronts, y compris en Belgique, de soldats exécutés « pour l’exemple ».
Comme tous les 11 novembre, depuis plusieurs années maintenant, nous, libres penseurs – libres penseuses, fidèles à la volonté des soldats de 14/18, célébrons non pas la Victoire, mais la Paix, le refus de la guerre et réclamons la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. En effet, le 11 novembre, comme le disait si justement le soldat Barthas, appartient aux frères de tranchées, aux pères, aux fils qui ne sont jamais revenus, aux fusillés pour l’exemple, aux réfractaires et non aux exaltés des défilés militaires.
Le bilan de la Première Guerre mondiale fut effroyable. 8 000 000 de morts, 20 000 000 de blessés, des centaines de milliers de mutilés, de veuves, d’orphelins… A cette horreur s’ajouta la terreur instituée pour faire obéir les hommes. D’août 1914 à septembre 1918, les conseils de guerre prononcèrent 220 condamnations à mort ; ce sont 11 soldats qui furent fusillés « pour l’exemple« , des hommes jugés rapidement par des conseils de guerre, condamnés à mort au moindre doute…
S’endormir lors d’une garde, se dissimuler pour éviter de monter à un assaut suicidaire ou ne pouvoir y monter en raison de l’épuisement ou d’un état de choc psychologique, battre en retraite sans y être autorisé alors qu’on faisait partie des rares survivants d’une attaque, refuser d’aller rejoindre dans la mort des milliers de camarades des précédentes vagues d’assaut… autant de prétextes à des condamnations à mort par des juridictions qui voulaient à tout prix imposer l’obéissance…
Pour les familles des « traîtres », pour leurs veuves et leurs orphelins, s’ajoutèrent au deuil le déshonneur public, l’humiliation face aux monuments aux morts où ne figuraient pas les noms des « lâches » …
En 2022, comme en 1918, les représentants de l’État font l’éloge du patriotisme, de la nécessité du sacrifice, et taisent le refus de la guerre, la colère des soldats écœurés par les massacres, l’(in)justice expéditive du front avec des soldats fusillés pour l’exemple. Toutes choses partagées par les soldats des différents camps, comme l’ont montré les scènes de fraternisation sur le front.
Fusiller pour l’exemple, expression terrible, avait comme seul but de substituer à l’épouvante d’être tué par « l’autre », une épouvante plus terrible encore, celle de se faire tuer par ses propres compagnons de tranchée, un pas de plus vers l’horreur. Ainsi 11 soldats belges furent fusillés pour l’exemple, 11 de trop !
L’armée belge n’a pas été l’unique armée à avoir pratiqué ce type de terreur. Toutes les armées y ont eu recours. Certains pays ont soit gracié ou soit pardonné leurs soldats fusillés pour l’exemple. Les gouvernements belges successifs se refusent toujours à réhabiliter collectivement ces hommes.
Depuis sa création, le CLP-KVD combat avec énergie pour que justice soit rendue aux Fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale. Il a pris l’initiative de lancer un appel pour une réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple et s’est adressé aux gouvernements pour exiger que justice soit rendue à ces hommes, à leur famille, à l’Histoire. Sur ce chemin de liberté, nous rencontrons des appuis, comme celui de la Ligue des Droits Humains.
Suite à l’impulsion du CLP-KVD, un dégel de la situation officielle a lieu avec la décision de la Ministre actuelle de la Défense de réintégrer des fusillés pour l’exemple dans la mémoire collective en inscrivant le nom des 11 victimes sur les monuments aux morts de la première guerre mondiale. La ligne de la réhabilitation collective n’est toujours pas franchie. Madame la ministre s’est arrêtée au milieu du gué !
Nous ne pouvons l’accepter. Nous ne renoncerons pas à agir pour que la mémoire de ces malheureux soit lavée de la marque d’infamie dont ils ont été stigmatisés. Nous ne renoncerons pas à la réhabilitation collective.
Combattre pour la réhabilitation des Fusillés pour l’exemple, ce n’est pas un simple devoir de justice pour le passé, c’est un formidable message pour le présent et l’avenir. Car qui peut prétendre que ce monde inquiet, qui sent la poudre, à force de s’armer et de se surarmer, pourrait-il, un jour, éviter un conflit généralisé ? Qui peut prétendre que la cupidité, la folie de quelques-uns n’entraînera pas le cataclysme pour tous les autres ? Qui peut prétendre que nous, ou nos enfants, ne seront pas obligés de revêtir un jour l’uniforme pour défendre des intérêts qui ne sont pas les nôtres ? Qui peut prétendre que nous, ou nos enfants, ne seront pas fusillés pour l’exemple ?
Réhabiliter les fusillés, c’est refuser l’arbitraire et le crime en toutes circonstances, d’où qu’ils émanent. Cette revendication s’appuie sur la liberté absolue de conscience et contre l’oppression qui faisait dire à Emmanuel Kant : « Mais j’entends présentement crier de tous côtés : Ne raisonnez pas ! L’officier dit : Ne raisonnez pas, exécutez ! le financier dit : Ne raisonnez pas, payez, le prêtre dit : Ne raisonnez pas, croyez ! »
Ni grâce, ni pardon – actes d’essence religieuse – , ni inscription « Mort pour la patrie » mais simplement la justice pour ces hommes « Mort PAR la patrie » !
Dans ce monde troublé, où les canons se font entendre, où la barbarie se profile encore plus, unissons-nous pour exiger la réhabilitation des fusillés, dire Non à la Guerre !
En obtenant la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple, c’est la guerre, toutes les guerres qui seront délégitimées. C’est un coup qui sera porté au militarisme !
Maudite soit la guerre !
Maudites soient toutes les guerres !
La paix, partout, maintenant !
Bruxelles, 8 novembre 2022
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