La sexualité et les religions


Lorsqu’on évoque les rapports entre la sexualité et la religion, on pense immédiatement à la notion de péché et aux différents interdits qui en découlent et nous y reviendrons en détail. Mais les interdits sexuels religieux sont surtout le fait des monothéismes et plus particulièrement des trois religions du livre : le judaïsme, le christianisme et l’Islam. Ce texte est issu de la conférence donnée à l’ouverture du Banquet gras contre les Interdits religieux organisé par la fédération de Paris de la Libre Pensée, le jour du Vendredi-dit-saint.

Le taoïsme et l’art d’aimer

Lorsqu’on étudie les religions orientales, les choses ne s’avèrent pas aussi simples. Le taoïsme est une des références religieuses, ou philosophiques, majeures en Chine depuis l’Antiquité. Selon les préceptes taoïstes, chaque individu naît avec une durée de vie déterminée et le taoïsme vise à procurer à chacun la joie de vivre. On est bien loin du caractère mortifère des religions du Livre qui promettent le paradis et ses vierges, aux serial killers ou qui se prosternent devant un supplicié. Mais revenons au taoïsme. Tout ce qui existe, vivant ou non, est constitué en proportions variables, du yin et du yang. Ce sont des concepts difficiles à appréhender pour un Occidental, on pourrait parler d’essences. La sexualité masculine est plus Yang, puissante mais superficielle, tandis que la sexualité féminine est plus lente, mais profonde. La sexualité vise donc à trouver un équilibre entre le yin et le yang pour augmenter sa vitalité. Dans cette optique, la jouissance des deux partenaires est essentielle, mais elle n’est pas chose facile. La jouissance masculine, yang, est assez simple, presque mécanique alors que la jouissance féminine, yin, est plus intime, elle est un mystère que l’homme doit percer.

C’est pourquoi l’enseignement du « Tao de l’art d’aimer » s’adresse essentiellement aux hommes. Nous ne rentrerons pas dans les détails, qu’il nous suffise de savoir que la voie de la longévité passe par une dissociation de l’orgasme et de l’éjaculation, nous laisserons aux plus curieux le plaisir de lire et d’expérimenter…

Le bouddhisme et l’hindouisme

Bas relief du temple du Kama Sutra

Poursuivons notre voyage au sein des religions orientales. Pour les principales d’entre elles, le bouddhisme et l’hindouisme, par l’acte sexuel, on unit ce qui est divisé et l’on accède à l’unité divine. C’est la raison pour laquelle l’Inde entre les IVe et VIIe siècles est à la fois une société très religieuse et remarquablement permissive en matière de sexualité, où l’homosexualité, l’échangisme ou le sexe pluriel sont des pratiques courantes. C’est d’ailleurs à cette époque qu’est rédigé le célèbre Kama Sutra qui signifie littéralement « Les aphorismes du désir ». Le Bouddha ne prône, à proprement parler, aucune morale sexuelle, polygamie, polyandrie, peu importe, du moment que ce soit dans un cadre de respect et de non-violence. L’homosexualité ne fait l’objet d’aucun jugement moral, même si le bouddhisme affirme que c’est l’union du phallus (lingam) et de la vulve (yoni) qui est la source d’une énergie créatrice primordiale. Mais cette religion qui donnera naissance à des pratiques secrètes telles que le yoga sexuel, n’est pas exempte de contradictions puisqu’elle considère qu’il n’y a « pire feu » que le désir qui peut mener à des réincarnations inférieures dans le monde animal. Un cochon, par exemple ? Notons enfin, pour le regretter, que le puritanisme des colons anglais imposera à l’Inde au XIXe siècle une morale sexuelle toute victorienne.

 

La prostitution sacrée

Statuette d’Ishtar ?

Terminons notre voyage antique par un petit tour en Mésopotamie. Dans la mythique Babylone, la sexualité est on ne peut plus naturelle et décomplexée. Dans l’Épopée de Gilgamesh, c’est une prostituée, fort joliment nommée Lajoyeuse, qui permet à l’un des héros d’accéder à la civilisation par l’art de l’amour. Les Mésopotamiens, tout comme les Grecs et les Romains, considéraient que les dieux étaient très proches des hommes en raison de leurs passions et comportements et que, de ce fait, la sexualité et ses passions ne leur étaient en rien étrangères. Quand j’évoque les dieux mythologiques, je devrais plutôt parler des dieux et déesses, car les religions antiques n’étaient nullement patriarcales. Ainsi, en Mésopotamie, la déesse Ishtar régnait-elle sur l’amour physique. Ses incantations étaient on ne peut plus explicites : « Quant à moi, à ma vulve, tertre rebondi, moi, jouvencelle, qui me labourera ? Ma vulve, ce terrain humide que je suis, moi, reine, qui y mettra ses bœufs (de labour) ? (..) Laboure-moi donc la vulve, ô homme de mon cœur ! » On fait même mention d’un rite religieux aux IIIe et IIe millénaires avant notre ère : le mariage sacré, dit hiérogamie. Cette cérémonie se déroulait au Nouvel an. L’union charnelle entre le roi et la déesse de l’amour, suivie d’un banquet, de chants et de danses, devait apporter la fertilité au pays, ce dont témoigne un poème « La Bénédiction de Shulgi », un souverain de la fin du IIIe millénaire : « Lorsque le seigneur, le pasteur Dumuzi, couché près de moi, la sainte Inanna, aura pétri mon sein laiteux et succulent, lorsqu’il aura porté la vie sur ma sainte vulve (…). Lorsque, pareil à son bateau élancé, il y aura porté la vie, lorsqu’il m’aura caressée sur le lit : alors, je le caresserai et lui décréterai une destinée heureuse ! » Lors de cette cérémonie, le rôle d’Ishtar était tenu soit par la reine, soit par une prostituée sacrée appelée Hiérodule. De telles prostituées, véritables prêtresses œuvraient dans les temples avec une prédilection pour la sodomie pour éviter les grossesses non désirées.

Les religions du LIVRE : Patriarcat et misogynie

David et Bethsabéé par Jan Massys (1562)

On a pu constater que les plaisirs charnels n’étaient pas incompatibles avec la recherche spirituelle et pourtant tout change avec les religions du Livre. Le judaïsme, le christianisme et l’islam vont multiplier les interdits religieux. Les religions monothéistes ne manquent pas d’ambiguïtés concernant les relations sexuelles. Certes, la sexualité n’est pas à proprement parler bannie, et qui a lu le célèbre « Cantique des Cantiques » ne peut douter qu’il décrive autre chose que les liens entre dieu et le peuple d’Israël, c’est plus précisément l’érotisme qui est la cible des interdits, c’est-à-dire la représentation de la sexualité, notamment artistique, tendant à provoquer désirs et fantasmes. Les religions monothéistes visent à confiner la sexualité à sa seule fonction reproductrice : « Croissez et multipliez- vous ». Il convient de faire prospérer le troupeau des fidèles et par la même occasion l’armée de réserve des travailleurs. Dans cette optique, on comprend aisément le rejet par les monothéismes de tout ce qui peut détruire la cellule familiale traditionnelle, son rôle reproducteur et la promotion d’une morale sexuelle stricte et intangible. Les amours adultérines sont proscrites et David sera jugé indigne de bâtir le temple de Jérusalem pour avoir entretenu une liaison illicite avec Bethsabée. Ce roi volage aurait pu changer la face de la franc-maçonnerie … La masturbation est vouée aux Gémonies ; Onan qui « verse sa semence par terre » est une insulte au développement durable. Quant à l’homosexualité elle n’est rien moins qu’une abomination, un acte contre nature et par là même une insulte au dieu créateur. 

C’est cette vision réactionnaire de la cellule familiale reproductrice, commune aux trois religions du Livre, qui peut expliquer le fragile et relatif œcuménisme qui présida aux manifestations cléricales contre « le mariage pour tous ». Relatif, car les juifs et musulmans étaient surtout la force d’ appoint des cohortes catholiques à la manœuvre. Cette même logique réactionnaire conduit les cléricaux de toutes obédiences à s’opposer à la régulation des naissances, à la contraception et à l’avortement ; bref, essentiellement au droit des femmes à disposer de leur corps. Les religions du Livre ont en commun une haine tenace de l’individu, en tant qu’être unique et libre. Le désir, le plaisir sont autant de manifestations de la puissance individuelle, de l’élan vital qui doit être combattu par la religion, une créature ne peut être mue par le désir, son désir. Au-delà même de ce caractère mortifère des monothéismes, il convient de noter que ces trois religions sont patriarcales et que pour assurer le pouvoir masculin, l’image de la femme doit être dévalorisée et la plupart des interdits religieux lui sont destinés. Chacun sait que, selon la Bible, l’être humain est avant tout un pécheur, donc vil et méprisable, mais la femme, Ève en l’occurrence est la cause de ce péché originel.

Bal de pureté

La femme est réduite à n’être qu’une génitrice et la virginité est érigée en vertu. Comme l’immaculée conception est un idéal bien difficile à atteindre, réservée à la sainte vierge, Marie, mère de dieu, les religieux se contenteront de prôner la virginité, jusqu’au mariage, uniquement pour la femme, il va de soi. Cette prescription religieuse est particulièrement en vogue dans le monde musulman où de nombreuses jeunes filles ont recours clandestinement à la chirurgie pour une réfection de l’hymen qui leur évitera l’opprobre familial, mais on la retrouve dans toutes les religions du Livre. Les « bals de pureté » ou « bals des vierges » organisés par les chrétiens conservateurs aux États-Unis sont de bien curieuses cérémonies durant lesquelles des jeunes filles, parfois âgées d’à peine 8 ans, jurent à leur père de rester vierges jusqu’au mariage. Le père passe ensuite au doigt de sa fille un « anneau de pureté ». Il n’est point besoin de se prénommer Sigmund pour se rendre compte que ce cérémonial a une connotation incestueuse particulièrement flagrante. La femme, la tentatrice est l’incarnation du péché, il convient donc, aux yeux des théologiens de la réduire au statut de mère ou de putain. Comme le chantait Jean Ferrat, « une femme honnête n’a pas de plaisir ». On connaît les crimes de l’Église perpétrés au nom de cette morale misogyne, travail forcé des « filles mères » et assassinat du fruit de leur péché. L’affaire des 800 cadavres de bébés découverts récemment au couvent de Tuam en Irlande est la preuve qu’il ne s’agit nullement d’histoire ancienne.

L’hédonisme libre-penseur

Stigma diaboli par Clovis Trouille (1962)

Gravure d’Achille Devéria (1800-1857)

Les libres penseurs ont dénoncé la morale religieuse en matière sexuelle. La caricature est une arme redoutable. Depuis le XlXe siècle, les journaux anticléricaux ont publié des dessins moquant l’hypocrisie des mœurs cléricales. Les hommes et femmes d’Église étant avant tout des êtres de chair, soumis tout autant que les autres à l’action hormonales, y sont souvent représentés dans des scènes érotiques voire pornographiques. Le curé butinant sa servante, l’ecclésiastique se rendant nuitamment au bordel, les bonnes sœurs goûtant aux plaisirs lesbiens ou le prêtre excité par la confession d’une charmante paroissienne sont devenus de grands classiques. La dénonciation de la pédophilie est évidemment à ranger dans un autre registre. L’art s’est également emparé du sujet. On pense à « La religieuse » de Diderot ou aux tableaux de Clovis Trouille par exemple.

A contrario, les libres penseurs, souvent libertaires, prônant l’émancipation totale de l’individu furent à la pointe du combat pour une sexualité libre et épanouie (naturisme, amour libre, etc.) et pour le droit des femmes à disposer de leurs corps (contraception, avortement, etc.).

Le combat est loin d’être achevé mais nous n’aspirons pas au repos.

Christophe Bitaud
est rédacteur en chef et administrateur de la revue La Raison, publiée par la FNLP