La démocratie implique la reconnaissance des classes sociales, de leurs représentations et de leur lutte. C’est ainsi que la démocratie implique la liberté de constitution de partis politiques, de syndicats et, d’une manière générale, la liberté d’association. C’est sur cette base qu’a été établi tout le système international (Organisation Internationale du Travail, OIT) et dans les pays démocratiques des relations sociales, le plus souvent paritaires entre les patrons et les syndicats de travailleurs.
Lorsque la majorité politique au pouvoir vote une loi avec ne fût-ce qu’une voix de majorité, cette loi s’impose à tous les citoyens, quelle que soit l’opinion de chacun sur cette loi. Et pour faire respecter cette loi, la majorité fait usage de la police et de la justice.
Lorsque la classe des travailleurs décide par le biais de sa représentation, son ou ses syndicats, à la majorité, de recourir à la grève (moyen de lutte reconnu par la démocratie), cette décision s’impose à tous les travailleurs concernés. Pour faire respecter cette décision, les travailleurs ne disposent pas de la police, ils recourent à des piquets de grève qui sont donc inséparables du droit de grève. Remettre en cause les piquets de grève au nom d’un soi-disant droit individuel de se rendre au travail équivaut à inventer un droit individuel à ne pas respecter les lois décidées à la majorité et les injonctions par la police ou la justice de les respecter.
D’aucuns diront que tous les travailleurs ne sont pas syndiqués et que les non-syndiqués ne sont pas tenus par ces décisions. La plupart des citoyens ne sont pas membres d’un parti politique ; ils sont cependant tenus de respecter les lois élaborées par les partis politiques. Il en va de même pour les décisions prises par la représentation syndicale des travailleurs.
C’est dans le cadre de ce point de vue – bien entendu soumis à discussion – que nous portons à votre connaissance les deux documents ci-joints.
Bruxelles, 26 février 2016
Communiqué de la LDH
Remise en question du droit de grève : un danger pour tous les autres droits fondamentaux
29 octobre 2015 – La proposition de loi MR équivaut à rétablir un article du code pénal abrogé en 1921 et qui pénalisait « les réunions d’ouvriers à proximité des usines » : une grave régression du droit social.
Une nouvelle contestation du droit de grève s’est singulièrement développée, critiquant sévèrement les syndicats, voire visant à pénaliser certains actes de grève. La question divise régulièrement les défenseurs de ce droit fondamental et ses opposants, souhaitant favoriser plutôt le droit au travail. La question ne se limite pourtant pas à un simple clivage pour/contre et recèle des enjeux démocratiques importants.
Ce 22 octobre, Le Premier Ministre a été interpellé à la Chambre suite aux incidents survenus durant les grèves successives de ces derniers jours. Le blocage des axes autoroutiers de la région liégeoise par des manifestants de la FGTB aurait retardé l’arrivée d’un chirurgien, entraînant le décès d’une patiente. Un homme est également décédé dans sa voiture dans le contexte de la grève. Alors qu’il convient de garder une certaine prudence sur les circonstances de ces décès et les éventuelles responsabilités qui en découlent, le centre hospitalier chrétien de Liège (CHC) a choisi de déposer plainte contre X pour homicide involontaire dans le premier cas tout en ne souhaitant pas « faire de commentaire, ni participer à la médiatisation » de la deuxième affaire. Le centre a indiqué avoir déposé plainte pour « conscientiser par rapport aux débordements survenus au cours de la grève et non d’entamer un débat de fond sur le rôle et la manière dont les syndicats mènent leurs actions ». C’est pourtant tout le contraire qui a lieu, ce débat faisant rage et étant alimenté par cette plainte. À présent, toute l’attention se focalise sur ces accidents tragiques sans qu’aucune preuve formelle n’ait été apportée jusqu’à présent d’un lien direct de cause à effet entre les décès constatés et l’action syndicale. Si l’on peut bien naturellement comprendre l’émotion suscitée, il ne faudrait pas que cela entraîne des changements législatifs importants sans une prise de recul pourtant indispensable.
Une récupération malsaine
Ces événements semblent en effet avoir servi de prétexte à certains pour remettre en question le droit de grève. Dans la foulée, des partis et des organisations patronales ont appelé le législateur à doter les syndicats de la personnalité juridique, dans l’objectif de permettre d’éventuelles poursuites pénales et civiles. C’est également la liberté de travailler qui est mise en avant pour tenter de justifier une interdiction des piquets de grève alors même que, selon la Constitution, le droit de travailler ne peut pas limiter le droit de grève ! Rappelons-le à celles et ceux qui tentent de discréditer le mouvement syndical et de détruire ainsi un contre-pouvoir essentiel en démocratie.
La proposition de loi MR visant à mieux défendre le droit au travail et la liberté de se rendre à son travail stipule : « Si certains décident d’exercer leur droit de grève, d’autres peuvent décider librement d’exercer leur droit de travailler en temps de grève, chacun de ces droits devant être exercés dans les limites de l’autre ». Ce que le MR propose, ce n’est rien moins que le retour à l’article 310 du Code pénal abrogé en 1921. Cet article prévoyait que les réunions d’ouvriers « qui se tenaient à proximité des usines et autour des usines et portaient atteinte à la liberté de travail » étaient interdites. Avec ce simple article, les ouvriers étaient conduits en prison pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. La Ligue condamne cette volonté de criminaliser les mouvements sociaux et de revenir en arrière sur des conquêtes fondamentales du droit social.
Un droit au travail effectif
De plus, l’opposition maintes fois réchauffée entre le droit de grève et le droit au travail est non seulement simpliste, mais contribue à diviser la société et à dissuader les travailleurs de recourir à la solidarité collective par peur de perdre ses – précaires – acquis. Le droit au travail s’applique-t-il seulement à ceux qui ont (pour le moment) un travail ? Les 650.000 personnes qui, en Belgique, sont privées de travail, aimeraient probablement aussi que ce droit soit également mis en œuvre à leur égard. Et ceux qui risquent de perdre leur travail ne profiteront-ils jamais du droit de grève pour contester des décisions de licenciement et revendiquer de cette façon leur droit au travail ?
La LDH soutient le gouvernement dans son désir manifeste de mettre en œuvre le droit au travail, mais en rendant l’accès à l’emploi pour chacun réellement effectif plutôt qu’en limitant un autre droit fondamental et en proposant de réelles mesures pro-travail plutôt qu’anti-grève.
Droit de grève, droit fondamental et démocratique
Il serait dangereusement anti-démocratique de limiter un droit fondamental qui ne se borne pas à l’arrêt concerté de travail, mais fait partie intégrante d’un droit plus large à l’action collective, qui comprend le droit de grève mais également le droit d’utiliser des moyens d’action collective comme les piquets de grève. Il y a trois ans, le Comité européen des droits sociaux a rappelé à l’Etat belge que les interventions en référé sur requête unilatérale dans les conflits collectifs qui ont pour volonté de restreindre les piquets de grève violent l’article 6 de la Charte sociale européenne révisée et sont tout simplement illégales. Porter atteinte au droit de grève aura des conséquences néfastes sur tous les autres droits fondamentaux.
Droit de grève, Droit de l’Homme!
18 février 2015 – Carte blanche publiée dans Le Soir – Par les temps qui courent, il est de bon ton d’opposer au droit de grève le doit au travail. Comme si l’un excluait l’autre. Et comme tout le monde a besoin de travailler, on a vite fait de choisir lequel a la priorité sur l’autre…
C’est aller un peu vite en besogne. Tout d’abord le droit de travailler, si on y réfléchit, ne devrait pas s’appliquer seulement à ceux qui ont un travail. Les quelques 650.000 personnes qui dans notre pays sont d’une façon ou d’une autre privés de travail, aimeraient bien qu’on leur reconnaisse aussi le droit au travail. Et ceux qui ont un travail et à qui on décide de l’enlever, sont bien contents de disposer du droit de grève pour au moins tenter de conserver ce travail dont on leur dénie tout à coup le droit.
Nos démocraties qui peuvent se targuer d’être le rempart des Droits de l’Homme, et qui pour cela attirent tous les persécutés du monde, peuvent-elles restreindre le droit de grève, soit parce qu’il coûte à certains, soit parce qu’il en gêne d’autres dans leur vie quotidienne, soit parce qu’il gêne le pouvoir en place ?
L’article 23 de la Déclaration universelle des Droit de l’Homme dit :
1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.
4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
Le droit de grève est un moyen de pression qui s’inscrit dans le fonctionnement de la démocratie, mais qui est nécessaire pour garantir cet article 23 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Au point qu’il en est devenu consubstantiel.
Existe-t-il en effet une démocratie sans droit de grève ? Il y a-t-il quelque part une dictature qui le reconnaisse ? Non.
Aujourd’hui, il apparaît comme une évidence qu’aucune hiérarchie ne peut être envisagée entre les droits de l’homme qui au fil du temps se sont additionnés pour former ce que nous appelons la démocratie.
Les droits civils et politiques dits de la première génération nés des révolutions libérales ; les droits économiques, sociaux et culturels qui reposent sur l’égalité et la garantie d’accès aux biens et services essentiels dans la vie économique et sociale, indispensables pour garantir la dignité humaine; les droits collectifs, dits de la troisième génération qui garantissent aux peuples le droit à un développement durable, à la paix ou à un environnement sain, tous sont liés. Tous sont indissociables.
Ils forment un tout, sont indivisibles et interdépendants. Porter atteinte à l’un d’entre eux a forcément des conséquences sur tous les autres.
Pourtant le déni du droit de grève, et donc la remise en cause de la liberté syndicale comme droit social fondamental, se poursuit et s’intensifie, tant dans les pays pauvres que dans les pays riches.
Même s’il a toujours été menacé et attaqué, y compris en Belgique, les violations ont atteint une dimension nouvelle et cela dans des pays que nous pensions définitivement épargnés.
Aujourd’hui, par exemple, au sein même de l’Europe, plus de 260 syndicalistes espagnols sont poursuivis pour avoir exercé le simple droit de grève. Ces inculpations s’élèvent à un total de plus de 140 années de prisons. Certains accusés risquent même jusqu’à 8 années de prison. Et pour couronner le tout, ces accusations se basent sur un article du code pénal qui date encore de l’époque de la dictature franquiste.
Une des normes les plus fondamentales de l’OIT est la liberté syndicale, définie comme la liberté pour les travailleurs de négocier collectivement leurs conditions de travail. Cette liberté comporte nécessairement celle de décider collectivement de ne pas travailler à des conditions jugées collectivement inacceptables, autrement dit de faire grève. Le refus du groupe des employeurs à l’OIT de reconnaître cette réalité est à l’origine d’une crise importante au sein de cette organisation. C’est loin d’être une discussion en chambre. La position des employeurs participe d’une volonté globale d’affaiblir les droits des travailleurs et travailleuses partout dans le monde. Aucune partie du monde n’est épargnée.
Depuis près d’un siècle, l’OIT élabore des normes internationales du travail. Ces normes du travail concernent avant tout l’épanouissement des hommes et des femmes en tant qu’êtres humains. Dans la déclaration de Philadelphie de l’OIT en 1944, la communauté internationale rappelait que « le travail n’est pas une marchandise ». Le travail n’est pas un produit inanimé comme une banane ou un smartphone que l’on peut négocier pour maximiser son profit ou minimiser son prix. Les normes internationales du travail garantissent que le développement économique reste axé sur l’objectif consistant à améliorer la vie des hommes et des femmes et à préserver leur dignité. La liberté syndicale et le droit de négociation collective font partie des normes fondamentales de l’OIT.
Pourtant, l’état des violations des droits syndicaux demeure inquiétant. Selon le dernier rapport annuel de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), 1.951 syndicalistes ont subi en 2013 des violences et 629 ont été détenus illégalement en raison de l’action collective qu’ils avaient menée. Des syndicalistes ont été assassinés dans dix pays. Rien qu’en Colombie, on compte 26 syndicalistes tués, plus de deux par mois !
La liberté syndicale et le droit de grève sont pourtant intangibles. Les droits du travail sont des droits de l’Homme et de la Femme et en tant que tels ils ne sont ni négociables, ni à géométrie variable. Le droit de grève, pour les travailleurs, c’est comme le suffrage universel : c’est le droit et le pouvoir de s’exprimer, de faire entendre leur voix, de défendre leurs droits là où ils vivent et travaillent, dans leur entreprise, directement, sans intermédiation. Le droit de grève fait partie intrinsèque du syndicalisme. Sans droit de grève, il n’y a plus de syndicalisme libre, progressiste et indépendant. La reconnaissance internationale du droit de grève doit être réaffirmée et la liberté syndicale doit être reconnue et respectée partout dans le monde.
C’est pourquoi la CSI, la CES, la CGSLB, la CSC, la FGTB, la Ligue des Droits de l’Homme et la Liga voor Mensenrechten participent à la journée d’action mondiale du 18 février en défense de la liberté syndicale et du droit de grève comme droit humain fondamental dont la remise en cause porte atteinte à tous les droits fondamentaux.
Sharan BURROW pour la CSI, Bernadette SEGOL pour la CES, Olivier VALENTIN pour la CGSLB, Marie-Hélène SKA pour la CSC, Marc GOBLET pour la FGTB et Alexis DESWAEF pour la Ligue des Droits de l’Homme.
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