Jacques Prévert: contre le Capital et le militarisme


Disparu en 1977, Jacques Prévert est né en 1900, à Neuilly sur-Seine. Adolescent, il fait les quatre cents coups. Pendant son service militaire, il rencontre Marcel Duhamel et habitera ensuite l’hôtel de la rue du Château où celui-ci hébergeait ses amis désargentés et qui devint un des repaires favoris des surréalistes. Prévert participe un temps à leurs activités. Au moment de la rupture avec André Breton, il suit Robert Desnos. Il y a chez les deux poètes le même amour pour la langue populaire et ses inventions, le même sens de la fantaisie et du merveilleux, la même façon de dire des vérités et de prendre la poésie au sérieux sans se prendre soi-même trop au sérieux…

Il a été parmi les surréalistes qui se sont prononcés pour l’adhésion au Parti communiste et en a été un temps compagnon de route. En 1932, contacté par Paul Vaillant-Couturier, il rejoint Octobre, l’un des principaux groupes de théâtre d’agitprop, lié à la Fédération du théâtre ouvrier et populaire. Il va vite devenir le principal auteur des saynètes que le groupe joue un peu partout, dans les usines en grève comme Citroën, ou lors des olympiades de Moscou en 1933, où il présente La Bataille de Fontenoy (sous titrée Théâtre aux armées) qui se moque de tous les va-t-en guerre. Participent à cette bande Raymond Bussière, le futur cinéaste Jean-Paul Le Chanois, le jeune Mouloudji…

Méfiez-vous… méfiez-vous… méfiez-vous / Il est dur, rusé, sournois… le capital / Il vous passera la main dans le dos / Pour mieux vous passer la corde au cou  ». J. Prévert

Le Front populaire sonne le glas d’Octobre. L’une des raisons est sans doute que plusieurs de ses membres, dont Prévert, ne se retrouvent pas dans la nouvelle ligne politique du PCF, la reprise de La Marseillaise ou la main tendue aux chrétiens… « La vie n’est pas rose / la vie n’est pas tricolore / la vie est rouge », écrira-t-il.

Mais Prévert n’a jamais renié cette aventure et il reprendra plusieurs des textes de l’époque dans ses recueils d’après-guerre. Il restera engagé, comme le montrent ses prises de position contre la guerre du Vietnam en Mai 68 ou en faveur de la libération d’Angela Davis. Toute sa vie, il demeurera fidèle à sa révolte contre l’injustice, et il sera du côté de l’ouvrière de la sardinerie, de l’immigré “l’étrange étranger”, de la femme abandonnée, de l’enfant battu, de l’oiseau mis en cage… en un mot, de la vie.

Dans les années 1940, il travaille beaucoup pour le cinéma et est associé à de nombreux films, parmi les plus beaux : Quai des brumes, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis, de Marcel Carné, Le Crime de Monsieur Lange, de Jean Renoir… Ses dialogues sont pour beaucoup dans ce qu’on a appelé le « réalisme poétique ». Il a aussi écrit des films d’animation comme La Bergère et le ramoneur.

Dès avant-guerre, plusieurs de ses poèmes ont été mis en chansons et il était déjà très connu avant que paraisse, son premier recueil, Paroles, en 1949, qui connaîtra un succès immédiat. Suivront Histoires, Spectacle, Fatras, Choses et autres…

Sauf pour certains de ses films, Jacques Prévert n’écrit pas spécialement des chansons, mais l’extrême poésie de certains de ses textes incite des musiciens, notamment son ami Joseph Kosma, à les mettre en musique. De nombreux chanteurs, comme Juliette Gréco, les Frères Jacques, Yves Montand, interprètent ses chansons et personne n’oubliera : Les feuilles mortes ou Rappelle-toi, Barbara.

Prévert a souvent la réputation d’un poète facile. C’est sa grande force (et sa faiblesse, aux yeux des cuistres). Il ne cesse de jouer avec les mots et les expressions de la langue parlée qu’il a introduite massivement en poésie. Mais ce jeu qui provoque le rire et le sourire n’est pas gratuit. Il fait de ses paroles un chamboule-tout des idées reçues, des gloires établies, des fausses barbes de la morale et de la pensée dominante…

LE TEMPS PERDU

Devant la porte de l’usine

le travailleur soudain s’arrête

le beau temps l’a tiré par la veste

et comme il se retourne

et regarde le soleil

tout rouge tout rond

souriant dans son ciel de plomb

il cligne de l’œil familièrement

Dis donc camarade Soleil

tu ne trouves pas

que c’est plutôt con

de donner une journée pareille

à un patron ?

LA GUERRE

Vous déboisez

imbéciles

vous déboisez

Tous les jeunes arbres avec la vieille hache

vous les enlevez

Vous déboisez

imbéciles

vous déboisez

Et les vieux arbres avec leurs vieilles racines

leurs vieux dentiers

vous les gardez

Et vous accrochez une pancarte

Arbres du bien et du mal

Arbres de la Victoire

Arbres de la Liberté

Et la forêt déserte pue le vieux bois crevé

et les oiseaux s’en vont

et vous restez à chanter

Vous restez là

imbéciles

à chanter et à défiler.