Interview de Pierre Stambul membre de L’Union Juive française pour la Paix


Pierre Stamboul est membre de l’Union Juive pour la Paix, auteur de plusieurs ouvrages sur le sionisme, l’antisémitisme et militant pour les droits du peuple palestinien.

Dans la situation dramatique qui se déroule en Palestine, nous lui avons demandé de nous éclairer sur les origines du conflit et ce qui se joue dans cette partie du monde.

Tout d’abord, peux-tu te présenter aux lecteurs de notre journal* ?

Je m’appelle Pierre Stambul, j’ai 73 ans. Je suis professeur de mathématiques retraité. J’ai milité principalement comme syndicaliste (dans la tendance révolutionnaire « Émancipation ») et plus anciennement dans divers comités. Mes parents, juifs bessarabiens, sont arrivés en France en 1938 et ont été des résistants. Ma mère, agent de liaison de la MOI, a été la seule survivante de sa famille exterminée. Et mon père, membre du groupe Manouchian, a été déporté à Buchenwald. Je suis athée.

Tu es un des porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix.

Quels sont les objectifs de cette organisation, ses actions et pourquoi combat-elle pour les droits du peuple Palestinien ?

L’UJFP est une association juive laïque qui a été fondée en 1994 sur la position « pas de crimes en notre nom ». Très vite, nous avons découvert les mots qu’il faut mettre sur ce que l’État d’Israël inflige à la Palestine : occupation, colonisation, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et aujourd’hui génocide. Nous décrivons Israël comme un État colonial d’apartheid.

L’UJFP est antisioniste. Le sionisme est à la fois une théorie de la séparation qui a toujours considéré que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble, un colonialisme de remplacement qui a prémédité l’expulsion des autochtones, un nationalisme qui a inventé le peuple, la langue et la terre, une idéologie qui a inventé hors de toute vraisemblance historique (pour « justifier » la conquête coloniale) que, après 2000 ans d’exil, les Juifs rentraient chez eux. Le sionisme s’est appuyé sur l’antisémitisme en partageant avec lui l’idée que les Juifs devaient quitter l’Europe. Il était logique qu’Israël ait aujourd’hui à sa tête des fascistes suprémacistes pour lesquels la vie du Palestinien n’a aucune valeur.

L’UJFP appartient à de nombreux collectifs en France ou avec d’autres organisations juives progressistes dans le monde. Cette guerre n’est ni raciale, ni religieuse, ni communautaire. C’est une guerre coloniale et il est important de regrouper les Juifs opposés à l’apartheid.

Depuis 2016, l’UJFP a des actions de solidarités avec la société civile de Gaza où je me suis rendu deux fois.

L’UJFP lutte également contre le racisme sous toutes ses formes, qu’il s’exerce contre les Noirs, les Arabes, les Juifs, les Roms ou les Musulmans.

Depuis le 7 octobre sous prétexte de vengeance contre les crimes perpétrés par le Hamas , le gouvernement Nétanyahou sème la mort et la désolation à Gaza. Le peu d’images qui sont diffusées par les médias font penser à une politique de la terre brûlée.

Je ne valide pas l’expression « crimes perpétrés par le Hamas » parce que la violence de l’occupé n’est pas symétrique à celle de l’occupant. La Palestine a été victime d’un nettoyage ethnique prémédité il y a 75 ans. La Cisjordanie et Gaza sont occupés depuis 56 ans. Près de 900 000 Palestiniens ont connu la prison depuis 1967. Et Gaza est bouclé par terre, par air par mer depuis 17 ans et régulièrement bombardée. C’est cette violence infinie qui explique que la cocotte-minute a explosé.

Il ne s’agit ni de « riposte », ni d’une guerre d’Israël contre le Hamas. C’est une guerre d’éradication du peuple palestinien menée par un gouvernement fasciste. En trois mois, en pourcentage, il y a eu plus de morts à Gaza qu’en France pendant toute le deuxième guerre mondiale. L’occupant a systématiquement détruit 70% des infrastructures et déplacé 90% de la population, beaucoup ayant été déplacés plusieurs fois. L’occupant a visé les hôpitaux, les ambulances, les journalistes, des familles entières. Priver une population de nourriture, d’eau, d’abri, ça s’appelle un génocide. 70% des morts sont des enfants, des femmes et des vieillards. Pour les fascistes au pouvoir, ce sont des cibles.

Les médias occidentaux et les gouvernements complices qui feignent de ne pas savoir ce qui est à l’œuvre portent une lourde responsabilité.

À l’heure où nous écrivons, quelle est la situation à Gaza ?

L’UJFP a plusieurs correspondants à Gaza que nous aidons financièrement. Tous vont de refuge en refuge. Au début, ils ont pu secourir la population en trouvant des tentes, des couvertures, du plastique pour se protéger de la pluie, de l’eau potable, du riz, des cantines collectives, en construisant des latrines… Avant le 7 octobre, Gaza avait une société civile pluraliste fourmillant d’associations petites et grandes pratiquant l’entraide et le partage.

L’occupant ne se contente pas d’exterminer méthodiquement en visant les immeubles d’habitation, les écoles, le personnel de l’UNRWA, les camps de réfugiés. Il organise la famine.

Les gens commencent à mourir de malnutrition, d’épidémies, de blessures non soignées.

Le monde le voit et laisse faire les génocidaires.

Selon toi, quelle est l’objectif du gouvernement d’Israël et de ceux qui le soutiennent ?

Le sionisme a toujours eu comme but essentiel le maximum de territoire et un État ethniquement pur. Il y a actuellement entre Méditerranée et Jourdain 50% de Juifs israéliens et 50% de Palestiniens, ces derniers n’ayant aucun droit et ayant été fragmentés avec des statuts de domination divers.

Il n’y a pas que l’offensive à Gaza. En Cisjordanie, colons et armée tuent, détruisent et font de véritables pogroms. Avec le soutien états-unien, les dirigeants israéliens veulent réaliser une nouvelle « Nakba » (= catastrophe, cela désigne l’expulsion forcée de 1948). Ils veulent forcer par la souffrance et la famine le maximum de Palestiniens à partir. Ils ont un problème. Les Palestiniens savent que partir, c’est pour toujours et ils s’accrochent à ce qui leur reste de territoire. Et les opinions des pays arabes n’accepteront jamais qu’un pays se rende complice de cette expulsion programmée.

L’urgence est à la mobilisation pour le cessez-le feu immédiat, mais au-delà, quels sont selon toi les conditions nécessaires pour l’établissement de la Paix en Palestine

C’est en Occident et dans le monde arabe que se joue cette guerre. Nous devons être assez fort pour contraindre nos pays à cesser d’être complice et à forcer Israël à cesser ce massacre.

  • * Propos recueillis par Claudette Coudeville
    in « L’impertinent » le Journal des Libres Penseurs des Bouches du Rhône