Rhode Island : le premier Etat laïque ?


Explorés depuis le XVème siècle, les îles et le territoire de Rhode Island (île Rouge) ne sont devenus une véritable colonie qu’en 1644.

Ses fondateurs sont des colons fuyant les persécutions religieuses qui avaient cours dans bien des territoires, car très souvent dès qu’une « église » était majoritaire dans la population, les minoritaires et les nouveaux immigrants n’avaient plus qu’à bien se tenir.

Ils fuyaient en particulier le territoire voisin, celui de la « Colonie de la baie de Massachusetts » qui se rendra célèbre en 1692 avec le terrifiant épisode des « Sorcières de Salem ». Ces évènements violents ont tellement marqué les mémoires en Amérique du Nord – comme, dans un autre registre, la St Barthélémy en France – qu’ils serviront de référence pour imposer la laïcité de l’Etat dans la Constitution des futurs Etats-Unis.

Pour les fondateurs de la « Colonie de Rhode Island et des plantations de Providence », il s’agit de se mettre à l’abri en instaurant une « complète liberté de religion ». Mais nos colons sont logiques : pour une liberté complète de religion – ce qui inclut le droit de quitter une église ou de ne pas avoir d’appartenance – il faut quelque chose de supérieur, la liberté absolue de conscience.

La colonie prend des lois abolissant les procès des sorcières, l’emprisonnement pour dettes, la plupart des motifs de peine de mort et le 18 mars 1652, décision hautement significative en Nouvelle Angleterre, elle abolit l’esclavage aussi bien des blancs que des noirs.

1640-1660 : Nous sommes en pleine révolution anglaise et c’est le « Long Parliament » révolutionnaire qui accorde sa première Charte à la colonie en 1644. Après la chute du gouvernement révolutionnaire en Angleterre et le retour de la réaction monarchique – et catholique – avec Charles II, il fallut obtenir une nouvelle Charte royale, pour garantir le statut particulier de la colonie. Clin d’œil de l’histoire : c’est la promesse d’une « liberté complète de religion » qui a aguiché le nouveau roi en lui faisant miroiter la possibilité de réimplanter le catholicisme en Nouvelle Angleterre !

Pour les colons cela signifiait : un gouverneur élu, une législature, bref un Etat de droit. Les fondateurs remarquables de cet Etat de droit, arrivés dans les années 1635-1640, ont pour nom : Roger Williams, Anne Hutchinson et son mari William Coddington, John Clarke et quelques autres.

Arrêtons-nous quelques instants sur la pensée et l’action du plus célèbre d’entre eux : R. Williams. Né à Londres en 1603, il devient théologien « professionnel » après des études à Cambridge; il s’embarque pour l’Amérique en 1630 et s’établit d’abord au Massachusetts. Il veut fonder une église baptiste et faire prévaloir l’idée d’une « neutralité de l’Etat » en matière religieuse.

Il se heurte à une opposition très violente des pasteurs puritains et des autorités qui le font bannir. Il part donc et fonde la future ville de Providence, en même temps que la première église baptiste d’Amérique. Apôtre lui aussi d’une « nouvelle Jérusalem », il se distingue néanmoins de beaucoup de ses concurrents par la qualité de sa pensée philosophique et politique et par son sens pratique.

Précurseur de John Locke, il distingue en effet nettement les « affaires civiles » qui relèvent du gouvernement et les « affaires religieuses » qui relèvent de la liberté de conscience. Il démontre que la volonté d’unifier politiquement une population en lui imposant une unité religieuse ne peut conduire qu’à multiplier les crimes et l’instabilité.

Il préconise un « mur de séparation » – c’est lui qui emploie le premier cette expression, chère à Thomas Jefferson – entre l’Etat et la religion. L’Etat doit être neutre. Il dénonce dans les « actes de tolérance » une limitation de la liberté aux seules églises qui sont « tolérées ». Il réclame une entière liberté de religion, non seulement pour toutes les églises protestantes, mais aussi pour les catholiques, les juifs et les musulmans.

Il utilise une image très forte : les immigrants qui montent dans le bateau ont tous des origines et des appartenances diverses. Cela ne regarde pas le capitaine du vaisseau qui les accueille à son bord. Il ne s’occupera pas plus des objectifs et des destinations de ses passagers une fois arrivés à destination. Mais à bord, c’est lui qui fera la loi, dans l’intérêt de tous. Ce sera lui le gouvernement, pendant toute la traversée. Rien avant, rien après.

Le Rhode Island sera la première colonie à se déclarer indépendante de la Couronne (ami 1776, un mois avant la Virginie). Elle sera la dernière à ratifier la Constitution : seulement après l’adoption des 10 premiers amendements, rédigés pour l’essentiel par Jefferson.

En particulier, le premier amendement, celui qui établit la séparation de la République des Etats-Unis et des églises et instaure une pleine liberté de conscience et d’expression.

Gérard PLANTIVEAU