Politique scolaire : Rupture ou continuité ?


Le projet gouvernemental pour un « Pacte de confiance pour un enseignement d’excellence »1 porte un titre provocateur et à tout le moins inapproprié parce qu’il suscite plutôt la défiance, celle des enseignants, des organisations syndicales et celle des laïques. En particulier, ses ambitions idéologiques portent atteinte à l’excellent principe énoncé par Condorcet en 1791 : « Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation. ».

Dans la continuité de leurs prédécesseurs, le gouvernement et l’actuelle majorité (libérale – chrétienne) s’écartent encore plus, en matière d’instruction, de l’esprit du service public au profit d’une logique de concurrence dont l’enseignement privé2 dit libre essentiellement catholique est le premier bénéficiaire au détriment de l’École Publique et de l’intérêt général. Le projet du gouvernement concrétise les bouleversements structuraux, porté en germe dans le « pacte d’excellence », au regard de l’histoire du combat pour une École Publique. Il est un élément qui s’ajoute au projet de destruction de l’Instruction publique en général ou de la réduire à un rôle supplétif.

L’Église n’a pas changé, ses prétentions non plus !

Exigée par les cléricaux, qui ont laissé leur soutane aux vestiaires pour mieux manœuvrer (Engagés, alias CDH, alias PSC alias Parti catholique), une heure de « dialogue interconvictionnel est imposée en lieu et place d’une seconde heure de « Philosophie et de citoyenneté » dans l’École Publique ; les moyens alloués à l’enseignement privé confessionnel vont à nouveau augmenter et enfin la mise à mort à terme du statut de la fonction publique des enseignants.

Pour la Séparation des Églises et de l’École Publique !

En premier lieu, l’idée même du droit à la liberté de conscience des élèves continue à être foulée aux pieds.

Alors que le nombre d’élèves inscrits aux cours de religion baisse, alors que les églises se vident, alors que la crise de recrutement des ministres du culte touche quasi toutes les confessions, les représentants des cultes s’accrochent bec et ongles à l’obligation des cours de religion.

Elle permet ainsi aux professeurs de religion de s’introduire dans le cours de philosophie et citoyenneté !

Pour le CLP/KVD, l’enseignant doit instruire les enfants et leur apprendre la liberté de jugement. C’est-à-dire l’esprit critique. Cela suppose un enseignement débarrassé de tout endoctrinement politique ou religieux. L’École publique laïque, n’a pas à connaître des débats théologiques entre les croyants, ni à s’intéresser au dialogue inter-religieux. Sous le masque de la tolérance, il y a toujours celui de l’obscurantisme. La religion à l’Église, l’instituteur à l’École Publique !

En deuxième lieu, l’Église catholique obtient la parité de financement ! Le gouvernement place l’enseignement privé sur le même plan que l’enseignement public, légitimant le détournement des fonds publics au profit des écoles privées et le maintien de déserts scolaires publics, voire leur extension.

La puissance publique finance sa propre concurrence et en outre accepte que les fonds publics détournés au profit de l’enseignement privé échappe au contrôle de la Cour des Comptes ! L’École Publique – au-delà des propos calomnieux dont elle est l’objet – se trouve entre les deux mâchoires de l’étau clérical : d’un côté on cherche à la détruire en lui amputant de plus en plus de moyens pour fonctionner, et de l’autre, on favorise avec l’argent public le développement de l’enseignement confessionnel.

Contrairement, à certains laïques le CLP-KVD estime, lui, que le combat pour la laïcité ne consiste pas dans un financement public d’enseignements d’inspirations religieuses, philosophiques diverses, mais dans le financement du seul enseignement public, laïque, démocratique et gratuit. Il ne consiste pas à distribuer les fonds publics entre l’enseignement public et l’enseignement privé même sur base de critères « objectifs ».

En troisième lieu, ubérisation de l’enseignement avec le recours généralisé à la contractualisation des personnels. Là comme sur les autres terrains, ce gouvernement entend poursuivre et approfondir les politiques de ses prédécesseurs et pousser les feux en modifiant cette fois-ci profondément le statut des enseignants. Après le décret « Évaluation », il s’agit de substituer au statut de fonctionnaire celui de contractuel. Est-ce à dire celui de l’école privée ? Est-ce à dire des enseignants recrutés directement par le chef d’établissement comme dans l’enseignement officiel ? C’est un pas de plus vers l’alignement de l’école publique sur l’école privée, vers sa privatisation.

Ici, il nous faut rappeler que le statut de la Fonction publique est le garant de la qualité du service rendu par la protection qu’il confère au fonctionnaire, en le détachant des sources de conflits d’intérêts, et en lui permettant un engagement stable et entier sur sa mission. La contractualisation, c’est l’instauration d’une forme de « clientélisme » et l’encouragement de la méritocratie. Mais n’est-ce pas cela que recherche ce gouvernement ?

L’enseignement dans l’École Publique doit être débarrassé de tout endoctrinement politique ou religieux. Pour Condorcet, « La première condition de toute instruction étant de n’enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique ». Cela suppose donc des professeurs avec un statut qui leur garantit la sécurité, l’indépendance professionnelle. Pour une École publique véritablement laïque, il faut des personnels indépendants des groupes de pression c’est-à-dire fonctionnaires de l’État. Pourquoi le gouvernement veut-il en finir avec la titularisation des enseignants, si ce n’est en réalité pour en finir avec l’indépendance des personnels de l’Éducation vis-à-vis du pouvoir en place ? Pour le CLP/KVD, défendre les statuts des personnels, leurs traitements, leurs pensions, c’est défendre leur indépendance et c’est indispensable pour l’école, publique, laïque et obligatoire.

En quatrième lieu, la question en matière de neutralité en matière d’affichage des convictions politiques, philosophiques, syndicales ou religieuses des élèves dans l’enseignement public n’est toujours pas réglée.

À l’École Publique, on comprend bien que l’abstention en matière d’affirmation de religion et d’opinions doit s’appliquer strictement à ses personnels, mais pourquoi alors devrait-elle s’appliquer aussi aux élèves ? Comme le développe C. Kinzler, « parce que les élèves de l’enseignement public obligatoire ne sont pas des usagers ! Il leur est demandé, durant le temps scolaire, une réserve plus grande que lorsqu’ils sont dans l’espace public (rue…). L’École Publique n’est pas un lieu ordinaire assimilable à une portion de la société civile où peuvent s’afficher les opinions en tant que telles. L’École Publique doit être soustraite à l’espace public ordinaire parce qu’elle fait partie des dispositifs constitutifs de la liberté, parce qu’elle accueille des libertés en voie de constitution. »

La laïcité de l’École Publique doit offrir aux élèves les conditions pour exercer leur libre arbitre. Elle doit les protéger de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix. Par conséquent, les élèves, tout comme les personnels doivent être astreints à une stricte neutralité philosophique, religieuse, politique, syndicale… dans l’exercice de leur fonction.

Pour le CLP/KVD, l’école privée, confessionnelle, catholique pour l’essentiel, n’est pas un service public de l’État. Ces institutions, à caractère propre reposent sur la reconnaissance des textes et religieux. Pour ces raisons l’État n’a pas à les financer.

Pour le CLP/KVD, le combat pour obtenir la laïcité de l’École Publique est tout aussi essentiel que celui pour la laïcité de l’État. Le CLP/KVD continue à se battre pour l’abrogation de la loi « Pacte scolaire » et autres textes anti-laïques qui autorisent le financement par l’État des écoles privées, à plus de 90% catholiques. Le mot d’ordre « A l’école publique, fonds publics, à l’école privée, fonds privés » conserve à nos yeux toute son actualité. Ce combat est toujours à l’ordre du jour !

L’heure est à la mobilisation laïque !

A l’École publique, fonds publics, à l’école privée, fonds privés

Abrogation du Pacte scolaire

L’État chez lui, l’Église chez elle

Bruxelles, 16 juillet 2024

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1. Déclaration de Politique Communautaire (DPC) du 11 juillet 2024.
2. La justification de l’utilisation de l’expression « enseignement libre » à la place de l’« enseignement privé » s’expliquerait dans le sens du respect de l’engagement des familles à contrario de celles de l’enseignement public ! Le fait qu’on ne dise plus enseignement privé, mais enseignement libre, n’y change rien. Ce n’est que le manteau de Noé qui cache une volonté de tromper.