Quand l’église prend soin de sauver les apparences : le tombeau de Galilée


Pour faire suite à l’excellent article sur Giordano Bruno paru dans un précédent numéro de L’Impertinent voici une histoire révélatrice de la capacité de l’Église à tout récupérer y compris la renommée mondiale de ceux qu’elle a persécutés.

Si vous visitez Florence on ne manquera pas de vous conseiller une indispensable étape, la visite de la splendide basilique Santa Croce.

C’est là que sont enterrés, au milieu des tombes des plus grandes familles florentines, des personnages universellement connus : Machiavel, Rossini, Dante, Léonard de Vinci… Tous reposent sous de somptueux monuments funéraires réalisés par les plus grands artistes du moment.

Un des plus imposants d’entre eux, tout en marbre polychrome, est celui du pisan Galileo Galilei plus connu sous le nom de Galilée. On le trouve au centre de la nef, juste en face du magnifique tombeau de Michel Ange. Une large plaque célèbre ses qualités de savant et d’astronome.

On pourrait ainsi croire que l’Église, à sa mort, lui a rendu honneur après l’avoir injustement condamné.

Mais l’histoire est loin d’être aussi simple qu’il n’y paraît. Car si vous poursuivez la visite, en arrivant dans la sacristie, tout au fond d’une très étroite « chapelle », tout juste de la taille d’un placard, vous aurez la surprise de découvrir… la tombe de Galilée !

En réalité, il s’agit de la première tombe, le vrai emplacement, qu’on lui a attribué à sa mort, en 1642. On l’enterra secrètement sous une simple inscription peinte à même le mur, sous lequel son corps est resté pendant près d’un siècle. Car le cas Galilée embarrassait l’Église et elle l’a traité au cours du temps d’une manière qui montre sa duplicité voire son imposture en la matière.

En effet, Galilée fut un immense savant, auteur de nombreuses innovations qui bouleversèrent les connaissances de son temps et confirmèrent les découvertes contestées de certains de ses malheureux prédécesseurs.

Ainsi, son perfectionnement de la lunette astronomique fut tel qu’on lui en attribue à tort l’invention. La qualité de l’observation qu’elle lui procura, associée aux calculs mathématiques, lui permit de découvrir, par exemple, que les tâches solaires correspondaient à des zones plus froides sur la surface du soleil, l’existence des anneaux de Saturne et des quatre plus gros satellites de Jupiter, les cycles de Vénus, etc.

Car s’il excellait dans diverses disciplines comme les mathématiques ou la physique, son apport le plus novateur et le plus lourd de conséquences concerne l’astronomie : Il confirma et démontra la réalité d’un phénomène découvert par Copernic un siècle auparavant, celui de l’héliotropisme, le fait que la terre tourne autour du soleil. Cela lui valut une condamnation impitoyable de l’Église, une des plus dures pour un savant de cette envergure : la condamnation au silence jusqu’à sa mort. En 1633, il comparu devant tribunal du Saint-Office et l’Inquisition lui imposa non seulement d’abjurer ses découvertes sur le sujet, de les renier officiellement mais aussi de ne plus jamais les professer ou les diffuser et d’accepter la surveillance étroite du clergé jusqu’à la fin de ses jours. Pour ne pas subir le sort de Giordano Bruno, il dut s’exécuter et resta jusqu’à sa mort en résidence surveillée.

Mais puisqu’il avait abjuré et que sa conduite respectait les règles de la vie chrétienne, l’Église était dans l’obligation de lui offrir une sépulture. Alors pour éviter qu’une tombe extérieure soit l’occasion pour ses partisans de lui rendre hommage, pour éviter aussi le même phénomène en l’acceptant officiellement à l’intérieur de la basilique, le choix sournois fut fait de le reléguer dans un placard du vestiaire des séminaristes. Là, aucun public non autorisé ne pourrait y accéder, et qui sait, avec le temps, Galilée et ses théories pouvaient être oubliés…

Mauvais calcul !

Durant les décennies suivantes la renom­mée de Galilée ne fit que grandir et ses découvertes devinrent universellement reconnues. La position de l’Église n’était plus tenable, aussi, un siècle plus tard, en 1737, elle « consentit » à ce qu’on construisit un second tombeau dans la nef, monumental et accessible celui-là, celui dont elle s’enorgueillit depuis.

Il est devenu un des fleurons de Santa Croce, alors même qu’il a fallu attendre le pontificat de Jean-Paul II pour que celui-ci nomme en 1981 une « commission d’étude de la controverse Ptolémée-copernicienne » qui finit par admettre, après 11 ans de travaux, en 1992, que « des erreurs avaient été commises envers certains chrétiens » dont Galilée. On pourrait donc dire que l’Église n’a mis que plus de 350 ans pour accepter le fait que la terre tourne autour du soleil !

Et Galilée n’a toujours pas été officiellement réhabilité par elle, ses experts judiciaires arguant que le tribunal d’inquisition n’existant plus, ses jugements ne peuvent être révisés.

Bel exemple de duplicité, non ?

Chantal CHAMPET
L’Impertinent n° 107 2019