« Dieu, la science et les preuves » Une tromperie !


L’auteur de la préface de ce livre va jusqu’à écrire : « Ces connaissances nouvelles sont venues dynamiter les certitudes ancrées dans l’esprit collectif du XXe siècle, au point que l’on peut dire aujourd’hui que le matérialisme, qui n’a jamais été qu’une croyance comme une autre, est en passe de devenir une croyance irrationnelle. » Rien de moins !

Une publicité provocante à propos de ce livre au titre racoleur nous a incités à publier ce commentaire d’universitaire, poli, mais ferme ! Ce titre est le sien.

L’abus du mot preuve

Le livre de Michel-Yves Bolloré et d’Olivier Bonnassies, Dieu, la science, les preuves, prétend prouver l’existence de Dieu. Cela est de prime abord passionnant. Ce livre met en avant des termes fondamentaux en science : preuve, raison, démonstration. Les auteurs prétendent démontrer et prouver l’existence de Dieu par la science. Or, force est de constater que ce livre ne prouve en rien l’existence de Dieu. Il faut analyser les termes utilisés dans ce livre et la manière de procéder afin d’en évaluer la pertinence.

Or il apparaît très vite qu’il y a un abus. Les auteurs prétendent être guidés par la raison et la science et font pourtant un usage abusif des conclusions scientifiques, notamment avec l’utilisation du terme « preuve ». Les sciences, en fonction de leurs recherches, proposent des réponses expérimentales sur la réalité du monde et les auteurs de ce livre en tirent des conclusions extra-scientifiques fondées sur leur foi.

Il y a un abus pas très honnête de la rigueur scientifique, car ce qui est présenté comme étant des preuves n’en sont pas. Toutes les références scientifiques peuvent faire illusion, mais aucune n’affirme stricto sensu l’existence de Dieu. Cette conclusion est exclusivement celle de la foi des deux auteurs.

Commençons par analyser ce mot. Qu’est-ce qu’une preuve ? Une preuve est un fondement qui permet de conclure de manière irréfutable qu’une affirmation correspond à la réalité. Elle est un fait qui permet d’affirmer de manière indéniable la réalité, la vérité d’une idée, d’une parole, d’un discours, d’une théorie.

Le sophisme des auteurs consiste à identifier une preuve d’existence avec l’hypothèse d’une existence. La différence peut passer inaperçue mais elle est majeure.

Rappelons qu’un sophisme est un raisonnement qui a l’apparence de la vérité mais qui est en réalité faux et trompeur.

Les éléments qui sont avancés ne montrent, ni ne démontrent l’existence de Dieu, mais portent à penser à l’hypothèse de son existence. Ce n’est pas du tout la même chose.

Aucun scientifique digne de ce nom ne dira qu’il a scientifiquement prouvé l’existence de Dieu, à moins d’être guidé par la foi et de transgresser la rigueur scientifique. Un scientifique, cependant, peut fort bien affirmer qu’il y a des éléments pour poser l’hypothèse de l’existence d’un dieu. Voilà tout si on en reste à l’exigence scientifique.

La prétention du livre est donc nulle et non avenue.

L’hypothèse
n’est pas une preuve

Que l’univers soit ordonné de manière extrêmement complexe porte à songer à l’existence d’un ordonnateur, ou d’un architecte pour utiliser le terme de Kant dans la Critique de la raison pure, mais ne prouve pas son existence. Cet argument est vieux comme le monde. Il est simplement réactualisé par nos auteurs. On peut rappeler les vers de Voltaire : « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. »

L’ordre complexe du monde a toujours interrogé les scientifiques et les philosophes. Et il est certainement tout à fait naturel de se poser la question face à l’architecture de l’univers, face à la complexité infinie de la vie, du génome, de l’ADN, etc.

Mais insistons sur la nuance dans les deux phrases qui suivent :

S’il y a un ordre, alors il y a un ordonnateur, à savoir Dieu.

S’il y a un ordre, alors on peut conjecturer qu’il y a un ordonnateur, à savoir Dieu. On en reste, ainsi, à une supposition.

C’est en définitive la foi des auteurs qui en fait une preuve, non la science.

Dieu reste en somme une hypothèse, d’où l’abus du mot « preuve ».

Rien ne naît du néant. Voilà un principe qui est inclus dans le raisonnement abusif suivant :

* Rien ne naît du néant

* L’univers n’a pu naître du néant

* Donc l’univers a été créé par Dieu, et bien sûr celui de la Bible.

Ce principe que rien ne naît du néant n’est pas nouveau, loin s’en faut. Il est réchauffé avec la science moderne qui n’apporte rien de plus. Pourquoi la cause de l’univers serait forcément un dieu créateur, un dieu biblique de surcroît ? Nous avons l’habitude qu’un ordre provienne d’un ordonnateur intelligent et nous élargissons cela à l’univers entier, comme nous avions l’habitude de penser avec évidence que le soleil se levait et se couchait et que la terre était immobile.

Oui, il y a peut-être un dieu qui a ordonné tout cela, mais cela reste une hypothèse. Nos auteurs sont orientés par un biais cognitif qui consiste à penser qu’un ordre renvoie nécessairement à une intelligence organisatrice.

La seule explication de l’inexplicable est-elle l’existence de Dieu ? Soyons sérieux. Ce qui était inexpliqué hier l’est aujourd’hui. L’absence de compréhension d’un phénomène n’est pas une preuve de l’existence de Dieu.

Il y a une chance sur des millions d’être frappé par la foudre. Or cela arrive. Mais cette improbabilité ne nous satisfait pas, alors on met derrière cela le destin, le karma ou autre raison. Scientifiquement, on ne peut qu’en rester aux probabilités et au constat du fait. Le reste relève de la croyance. C’est exactement le procédé de ce livre qui veut donner un sens divin à des faits qui ne renvoient qu’à eux-mêmes eu égard à la méthode scientifique. Cette croyance ne pose aucun problème en soi. Le souci, ici, c’est que les auteurs de ce livre font de leur croyance une science. La confusion des genres ne peut passer inaperçue.

Un discours trompeur

Autre abus que l’on peut lire dans la quatrième de couverture, et non des moindres : « Le matérialisme, qui n’a jamais été qu’une croyance comme une autre, est en passe de de-venir une croyance irrationnelle. »

Cette phrase n’a strictement aucune rigueur rationnelle ou scientifique, car elle fait un usage trompeur de ce qu’est une croyance et de ce qu’est le matérialisme. Analysons ce dernier. Puisque nos auteurs prétendent tenir un discours rationnel et scientifique, le matérialisme en question doit être étudié en ce sens. La science, malheureusement pour eux, est en partie matérialiste. En effet, la science procède par théorie (hypothèse, mathématique, idée), et par expérimentation, autrement dit par mise en relation de théories avec des supports physiques, sensibles, matériels, factuels. Ce qu’on appelle précisément une preuve matérielle.

La science est matérialiste au sens indiqué. Un scientifique peut avoir la foi, bien entendu, mais dans le contexte scientifique, il doit rigoureusement s’en tenir à la méthode scientifique, autrement dit chercher des supports matériels pour poser une affirmation. On peut avoir toutes les idées du monde, elles restent des hypothèses tant qu’on n’a pas un fondement expérimental. Ainsi, dire que le matérialisme, défini ici, est une croyance, comme le font les auteurs, est parfaitement insensé.

Rappelons qu’une croyance est une adhésion que l’esprit donne à une affirmation considérée comme vraie sans qu’il y ait de preuve de cette vérité. Pour dire les choses autrement, la croyance est le fait de considérer qu’une doctrine, une théorie, une idée, etc., est vraie a priori sans qu’il y ait de fondement expérimental. Le matérialisme en ce sens-là ne peut pas par définition être une croyance. C’est tout à fait le contraire. En revanche, les affirmations extrascientifiques de ce livre relèvent bien de la croyance.

Ce livre met sur le même plan deux positions qui sont pourtant radicalement différentes :

Je crois qu’il existe des dragons volants roses invisibles.

Je crois qu’il n’existe pas de dragons volants roses invisibles.

Or, ces deux affirmations ne sont en rien assimilables. La seconde utilise le verbe croire de manière erronée.

Pour la première, il n’y a aucun fait qui atteste de leur existence.

Pour la seconde, tout atteste de leur inexistence.

Ainsi, la première est bien une croyance, la seconde est la constatation factuelle de l’absence de dragons roses, d’autant plus qu’ils sont définis comme étant invisibles. L’utilisation alors du verbe croire, pour cette seconde affirmation, est totalement impropre. Les auteurs sont alors en plein sophisme et négligent la plus élémentaire rationalité.

Ils affirment que s’appuyer sur la réalité pour donner une pertinence à une théorie est une croyance irrationnelle. Il fallait oser. Si l’on est attentif, on verra qu’ils transforment leur croyance en preuve et la preuve en croyance. Leur livre est à cet égard un phénomène, peut-être de librairie, sûrement d’artifices fondés sur deux faiblesses : une faiblesse conceptuelle, une faiblesse rationnelle.

Ce livre est donc une tromperie, intentionnelle ou non : il laisse penser clairement que la science permet d’affirmer que Dieu existe de manière irréfutable. Aucun scientifique n’affirme cela sans sortir de la science. Il est manifeste que les deux auteurs sont mus par leur foi et que leur appel à des fondements scientifiques n’est qu’un abus. Le titre du livre est un enjeu marketing qui marche, car le livre se vend très bien. Dire qu’on a les preuves de l’existence de Dieu est bien sûr attirant.

Le résultat n’est pas loin de l’escroquerie.

Denis FAÏCK

Philosophe,
maître de conférences

Source : Dieu, la science, les preuves: une tromperie! Philotude