FÉDÉRATION NATIONALE
DE LA LIBRE PENSÉE
Membre de l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP)
10/12 rue des Fossés-Saint-Jacques 75005 PARIS
Tél. : 01 46 34 21 50libre.pensee@fnlp.fr https://www.fnlp.fr
______________________________________________________________________________
Georges Corm :
le Liban, la Palestine et l’enfer
Des amitiés communes reliaient la Libre Pensée et Georges Corm, intellectuel libanais disparu le 14 août dernier. Ses livres et ses analyses restent l’expression d’une pensée indépendante extrêmement précieuse.
Georges Corm était né en 1940 à Alexandrie d’une famille libanaise, palestinienne et syrienne, il expliquait : « J’avais huit ans lorsque est survenue la catastrophe palestinienne de 1948, cela m’a frappé, et 16 ans lors de l’expédition de Suez, alors que ma famille habitait l’Egypte.
A l’époque j’étais au Caire, je me souviens avoir vécu ces événements avec une intensité très forte. Je me souvenais des Pères jésuites qui nous faisaient aimer la grande littérature française et les Philosophes des Lumières ; soudain je vois surgir les avions français qui se mettent à bombarder un des peuples les plus pacifiques de la terre, qui n’avait commis aucune agression militaire…
Depuis cette date, soit 1956, la vie que j’ai menée, comme celle de plusieurs dizaines de millions de concitoyens de différents pays arabes n’a été qu’un enfer, fait de guerres à répétition et d’exils, dont l’énumération serait trop longue, en particulier à partir de 1990. Nous vivons en enfer, le comprenez-vous ? » (1)
Dans une autre interview, un peu plus récente, à la revue « Orient XXI », il répond au journaliste Sylvain Mercadier : « Les dernières années de la Guerre froide durant la décennie des années 1980 vont alors être caractérisées par la mobilisation occidentale des trois religions monothéistes contre la pensée marxiste et le neutralisme positif du mouvement des pays non alignés qui s’était constitué à Bandung en Indonésie en 1955 sous l’impulsion du Yougoslave Josip Broz Tito, de l’Égyptien Nasser et de l’Indonésien Ahmed Soekarno. Dans le monde arabe et musulman, le Royaume-Uni, puis les États-Unis vont faire du wahhabisme saoudien et de son extrémisme religieux la « norme » en Islam, alors que cette doctrine virulente et délirante avait été considérée dans tout le monde musulman dès sa naissance au début du XIXe siècle comme une hérésie. Cela leur apparaîtra la meilleure façon de faire reculer la pensée marxiste, nationaliste et progressiste dans ce qu’on appelait alors le tiers-monde.
C’est ainsi que l’anticommunisme occidental a entraîné une indulgence envers les idéologies réactionnaires islamistes comme le wahhabisme et le djihadisme en plein essor aujourd’hui, ayant succédé à une haine violente des différents nationalismes arabes anti-impérialistes et à orientation laïque. »
S. M. : Pourquoi y a-t-il une focalisation sur la religion musulmane au détriment d’une identité arabe dans nombre d’analyses des conflits au Proche-Orient ?
G. C. : « C’est la Guerre froide qui a conduit à ce dérapage, d’autant qu’elle continue après l’effondrement de l’URSS. Car le bloc occidental et l’OTAN mobilisent l’Islam contre leurs ennemis, je pense notamment à la Turquie qui oriente et encadre les rebelles djihadistes en Syrie, mais aussi à la France et au Royaume-Uni. L’islam militant que l’Arabie-Saoudite pratique est devenu dominant au point qu’on croit qu’il est l’islam authentique. La doctrine américaine de contention (containment) contre l’URSS a historiquement intensifié l’instrumentalisation des trois religions abrahamiques : islam militant (moudjahidines, talibans, islam pakistanais), christianisme (notamment en Pologne) et judaïsme (dans sa forme politisée du sionisme militant) pour contrer l’idéologie laïque marxiste comme les différentes formes de nationalisme arabe. » (2)
Georges Corm avait été membre du Tribunal Russel pour la Palestine. Même au temps du grand âge Georges Corm s’efforçait d’encourager celles et ceux qui au Liban, en Syrie, en Palestine, tentaient de travailler à éteindre les flammes de l’enfer.
Karim Bitar lui a consacré un bel article le 17 août 2024 dans le grand quotidien de Beyrouth « L’Orient-Le Jour » : « Face à ce rouleau compresseur et aux Anti-Lumières, Georges Corm a cherché tout au long de sa vie à allumer des contre-feux. Chacun de ses ouvrages peut se lire comme un manifeste d’autodéfense contre les lectures simplistes, manichéennes, imprégnées de vrais clichés culturalistes et de mythologies ou superstitions ressassées à l’infini. » (3)
Ses livres les plus récents : « Pour une lecture profane des conflits » (La Découverte – 2012) « Pensée et politique dans le monde arabe » (La Découverte – 2015) « La nouvelle question d’Orient » (La Découverte 2017)
Le Tribunal Russel sur la Palestine Le Tribunal Russel sur la Palestine est un tribunal d’opinion fondé en 2009 « mobiliser les opinions publiques pour que les Nations-Unies et les États membres prennent les mesures indispensables pour mettre fin à l’impunité de l’État d’Israël et pour aboutir à un règlement juste et durable de ce conflit ». Il a pris la forme d’une Association de droit belge (asbl), et Pierre Galand, qui fut ultérieurement Président du Centre d’Action Laïque de Belgique en fut un des principaux organisateurs. Le Tribunal Russel pour la Palestine et a tenu plusieurs sessions à Barcelone, Londres, Le Cap, New-York et Bruxelles. La Session du Cap éclaire particulièrement l’actualité. On y a entendu Ahmed Kathrada Sud-africain d’origine indienne, compagnon de captivité de Nelson Mandela tenir le propos suivant (propos rapporté par Gabrielle Lefèvre – qu’elle soit ici remerciée) : « L’humiliation permanente. Le froid, tout était froid, la terre, l’eau, la prison, les gardiens, la nourriture. ». A côté de moi, Stéphane Hessel murmure : « le froid, oh le froid. J’ai bien connu cela. A Buchenwald. » « Le pire était l’absence d’enfants, poursuit Ahmed Kathrada, pourtant, nous avions réussi à humaniser les gardiens et ils nous ont traité mieux, aux pires moments de cette longue détention, nous avions toujours espoir en la victoire. Pour apprécier la liberté, il faut accepter des sacrifices, c’est la force la plus puissante. Même en prison, on ne peut vous empêcher de penser. » Cette session du Tribunal d’opinion fut un moment intense, émouvant réunissant les défenseurs de la liberté des peuples, de la dignité humaine, tant d’années après la fin d’un régime basé sur le racisme, l’oppression de toute une population. En se basant sur les éléments du Droit international, lors de cette session de Cape Town, le Jury du Tribunal Russell sur la Palestine a défini l’oppression israélienne sur les Palestiniens comme un crime d’apartheid et la persécution qu’il exerce sur cette population comme un crime contre l’humanité. Terrible constat d’une forme d’inhumanité exercée par des descendants de ceux qui en ont le plus souffert. Mais aussi, ce fut l’occasion pour des Palestiniens, des Israéliens, des Sud-africains, d’exprimer ce qu’il y a de meilleur dans l’Humanité : la solidarité envers les plus faibles, la dignité dans le combat pour la paix entre les hommes. » Outre les personnes citées des centaines de citoyennes et citoyens ont été associées au Tribunal Russel sur la Palestine : Angela Davis (USA), Jean Ziegler (Suisse), Roger Waters (ex-Pink Floyd), Nurit Peled (militante pacifiste israélienne), Dennis Bank (lutte pour les Droits des indiens aux USA), Mairead Corrigan Maguire (Irlandaise, Prix Nobel de la Paix 1976), Marwad Bargouthi (prisonnier politique d’Israël qui s’est exprimé par la voix de son épouse Fadwa) … |
Solidarité inconditionnelle avec le Peuple palestinien !
Le 22 août 2024
La Fédération nationale de la Libre Pensée
Notes :
(1) Entretien avec Tigrane Yegavian – https://www.revueconflits.com/georges-corm-moyen-orient-syrie-arabes/
(2) Entretien avec Sylvain Mercadier – https://orientxxi.info/magazine/georges-corm-itineraire-d-un-intellectuel-libanais,3287
(3) Karim Bitar – « Georges Corm ou l’esprit des lumières à l’épreuve des réalités moyen-orientales »
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.