Au secours ils reviennent…


Jacques Lafouge

Supplice du Chevalier de la Barre

Elle sortit de son trou l’air hagard. C’est une taupe très bouleversée. Elle me souffla : « Ils reviennent ! » – « Qui ? » – « Tu sais bien, les corbeaux qui apportent le malheur. Ça n’a pas mis longtemps, le pape jésuite a déjà frappé. Tu n’entends pas le bruit des fagots qu’on coupe, qu’on lie et qu’on entasse. L’Inquisition est de retour ! »

Tu t’imagines, grand naïf que l’Église a changé, lorsqu’elle s’enveloppe dans la cape des “droits humains”– elle ne dit pas “de l’homme”– comme si elle les avait inventés, lorsqu’elle clame être pour la laïcité. De ses séides on entend les mots d’ouverture d’esprit, de liberté face aux coutumes, de distanciation vis-à-vis des dogmes, des divergences idéologiques avec une papauté totalitaire et paternaliste.

On verse une larmichette, rien qu’une sur des “erreursGiordano Bruno, Michel Servet, Campanella, Galilée, c’étaient d’autres temps mais maintenant, hein maintenant… On oublie simplement Augustin, évêque de son état, il y a longtemps bien sûr : “Il n’y a pas de mort pire pour l’âme que la liberté de l’erreur” (Ep. CLXVI). Donc ne pas se tromper, élémentaire mon cher Watson, et suivre ce bon Grégoire XVI : “De cette boueuse source de l’indifférence surgit cette absurde et fausse, ou mieux ce délire qui affirme et défend coûte que coûte et pour tous la liberté de conscience.

Tout ça c’est du passé, des billevesées fumeuses. Sauf que… Sauf que tout a changé pour que rien ne change. Par exemple un pauvre petit curé des Alpes qui a eu l’idée saugrenue, il faut bien le dire, de se faire franc-maçon. Il avait trouvé intelligent de passer un tablier sur sa chasuble. Peut-être pensait-il qu’un peu d’humanisme rachèterait beaucoup d’obscurantisme. Et comble de l’abjection il était allé se faire initier au Grand Orient de France, ce repaire de mécréants et de bouffeurs de curés. Ça ne l’avait pas gêné et il maçonnait comme tout un chacun à l’amélioration de l’homme et de la société.

Mais un délateur veillait, courageux à n’en point douter, anonyme sans doute. L’évêque, le cardinal, le nouveau grand chef du truc, l’ayatollah (pour celui-là, c’est peut être une erreur, c’est pas la même paroisse mais c’est le même obscurantisme), enfin tout ce beau monde fulmina… tant et si bien que le pauvre petit curaillon et cependant frère fut suspendu a divinis, non mais sans blague. Il avait simplement pensé que sa liberté de conscience lui permettait d’aller chercher la vérité où elle se trouvait.

Bien entendu être franc-maçon c’est un bien gros péché. Penser se joindre à des olibrius qui n’ont jamais allumé le moindre bûcher, qui n’ont jamais traité les juifs de déicides voués à la vindicte publique, qui ont toujours affirmé la liberté, l’égalité et la fraternité… Des fous, on vous dit, destinés aux flammes éternelles.

Ça permet de glisser avec souplesse sur la pédophilie cléricale. Quoique là il faille s’interroger sérieusement. Bien sûr l’Église a parlé abondamment de la masturbation, du coït hors mariage, de la fellation, toutes choses aussi intéressantes qu’interdites, pourquoi d’ailleurs ? Mais la main de velours dans la culotte du petit garçon, ça on n’en parle jamais. On a tant couru dans les couloirs des collèges dits libres pour échapper à l’effleurement des fesses et au patin gourmand et goulu ! Sauf quand un cardinal se fait pincer la main dans le sac, si on peut dire. Non, se taper un gamin rien à dire, par contre être franc-maçon, ça c’est gravissime !

C’est la raison pour laquelle on comprend mal l’acharnement clérical contre le mariage pour tous. On aurait pu penser “homos de tous les pays unissez-vous”, on était en pays de connaissance. Mais voilà l’homo civilis est condamnable et condamné, l’homo clericalus est absous. Logique religieuse et mystère de la foi.

Et c’est normal car conforme aux Écritures. Augustin dans La Cité de dieu : “rien ne rabaisse tant l’esprit de l’homme que caresser une femme.” Thomas d’Aquin : “La femme est une erreur de la nature…” Jean Damascène : “La femme est un vers terrible dans le cœur de l’homme, fille du mensonge, sentinelle de l’enfer.

François qui vient d’arriver et qui en tant qu’évêque écrivait : “La femme est naturellement inapte pour l’exercice des charges politiques. Les Écritures nous démontrent que la femme est toujours une auxiliaire pour l’homme qui pense et agit, mais rien de plus.” Après ça rien à dire, en quelque sorte la messe est dite.

On peut alors manifester dans les rues pour la famille normale qui ne fait l’amour que pour la procréation. À voir de près, dans certains cas ça paraissait désespéré, dans d’autres pourquoi pas, avec des fioritures. Il faut en revenir à l’Esprit. D’ailleurs on a vu nombre de politiciens au premier rang avec écharpe et tout, de tous les partis et même de ceux qu’on n’aurait pas voulu voir. Ça permet toujours de gagner quelque voix pour les élections, de préparer des retours triomphants et de faire une place au bout à droite de l’hémicycle à ceux qui en rêvent.

L’Inquisition n’est pas morte, elle a changé de nom. Elle veille et n’oublie pas les allumettes pour le cas où. Les ratichons sont en ordre de bataille, le jésuite soldat du Christ est à leur tête. Les politiques à qui mieux mieux votent des subventions aux Églises de toutes sortes. Tout va bien puisque la liberté de conscience est celle de se taire.

La victoire en chantant. Au secours ils reviennent. »

Jacques Lafouge – La Raison n°588 – février 2014

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Jean Damascène (675-749) : moine, prêtre, théologien, apologiste et hymnographe chrétien.