Tuer un peuple pour voler sa terre : le génocide de prédation
Dans le droit commun, les crapules qui tuent, pour les voler, d’honnêtes gens, sont durement châtiées. Tout au contraire, le banditisme d’État de notre époque, destiné à voler le territoire d’un peuple, en massacrant des familles entières de civils, par les bombes, la famine, la maladie, bénéficie des plus hautes complicités et protections. Ce film est à voir, qui démonte scrupuleusement la mécanique coloniale du génocide de prédation.
Michel Sérac
L’auteur montre les différents procédés de la tuerie de masse, par l’armée des accapareurs de terres. Celle-ci, dotée d’armements perfectionnés reçoit l’ordre d’un carnage méthodique. Toutes les offres de négociations, de cessez-le-feu sont systématiquement écartées, et pour cause : il ne s’agit pas de cohabiter avec le peuple présent depuis des siècles, mais de le supprimer, de vider la nation de ses habitants, d’occuper l’espace par la terreur. Officiers et soldats sont conditionnés pour ne pas différencier hommes, femmes et enfants. La population civile est concentrée de force, encerclée, afin de faciliter le carnage.
En disposant des groupes de tireurs près des points d’eau et de ravitaillement, on s’assure que la faim, la soif, les épidémies « finiront le travail » dit un officier. Tuer l’une des mères « pour l’exemple » fait fuir les autres, avec leurs enfants mourants. Les secours humanitaires sont interdits, les refuges détruits.
Le génocide s’appuie sur un « arrière », intellectuel et médiatique. Le but est de déshumaniser les victimes, de les ravaler, dans l’Etat-prédateur et chez ses alliés, au rang de dangereux sauvages, afin de parer les génocidaires du drapeau de la civilisation. Cette tâche de supplétifs coloniaux revient à des intellectuels, des universitaires, qui savent que leur carrière se situe « du côté du manche ».
Le film de Lars Kraume dont nous parlons relate le génocide, par l’armée impériale allemande, à partir de 1904, des Herreros et des Namas, expulsés de la terre, en Namibie, où ils vivaient depuis le neuvième siècle. Chacun comprendra donc son actualité.
« L’ARMÉE CRIMINELLE »
Il ne s’agit pas seulement d’histoire : dans la Namibie d’aujourd’hui, après la destruction physique de 75 % des Herreros et Namas, après la sanglante période de l’apartheid, 6 % de Blancs « Afrikaners » possèdent toujours 70 % des terres…
On a coutume d’appeler les exterminations du général von Trotha « le premier génocide du XX e siècle ». Mais le génocidaire allemand ne faisait qu’imiter avec application la tradition coloniale française.
Les généraux Bugeaud, Lamoricière, Saint-Arnaud, Pélissier ont inauguré en Algérie la conquête des terres par le carnage de civils, l’assassinat de tout homme de plus de 15 ans, les centaines de villages brûlés avec leurs habitants, « les femmes violées au milieu d’un monceau de cadavres ». Les bouchers de cette « armée criminelle française » ne s’arrêtaient pas là : récoltes et bétails étaient soigneusement détruits pour que la famine complète leur besogne (1). Et s’ils ne pouvaient alors, comme Netanyahou, lancer sur les enfants des bombes d’une tonne, ils provoquèrent l’indignation générale par les « enfumades », dans des grottes, de tribus entières : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, enfumez-les à outrance, comme des renards », ordonnait Bugeaud, en qui M. Zemmour voit un grand Français. De nos jours, l’hypocrisie colonialiste se reconnaît chez ceux qui font commencer en 1954 les violences en Algérie, ou feignent d’ignorer les atrocités, vols de terres et exactions criminelles frappant les Palestiniens depuis 1948…
Revenons au génocide de 1904.
DES PENSEURS ET « SAVANTS »,
AUXILIAIRES DU GÉNOCIDE
L’art du cinéaste a été de créer le personnage d’un « candide », évoluant dans ce génocide en qualité d’ethnologue. A cette époque, la mesure des crânes humains est enseignée dans les universités occidentales, comme « preuve » de l’infériorité génétique des « races inférieures » que les troupes coloniales sont censées civiliser (2).
Le film débute par une scène située dans le « zoo humain » de Berlin. Comme tout le reste de la barbarie coloniale, ces spectacles honteux de Paris, Berlin, New York, produisant des attractions scénarisées avec des « sauvages » venus de toutes les colonies, et où se pressèrent des millions de visiteurs, sont dissimulés aux générations actuelles. Dans l’un des rares documentaires existants, Lilian Thuram, commentant les images du zoo humain de Berlin, parle à juste titre d’une « culture » raciste inculquée longuement aux citoyens (3).
Dans son film, Lars Kraume, à rebours des poncifs de l’industrie hollywoodienne, où des « chevaliers blancs » (Blancs) à l’âme pure incarnent une bonne conscience rétroactive, choisit le réalisme. Dans « l’élite » universitaire bourgeoise, la carrière et l’intérêt l’emportent le plus souvent sur l’humanisme.
COLONIALISME ET LUTTE
DES CLASSES
« Notre idée de la France est fausse », écrit J.-M. Aphatie, au terme de son évocation des crimes coloniaux en Algérie. Il s’indigne avec raison que des mères déposent chaque jour leurs enfants dans des écoles portant les noms de criminels de guerre comme Lamoricière ou Bugeaud, massacreurs-affameurs de centaines de milliers d’Algériens.
Nous pensons quant à nous plus juste et plus simple de dire qu’il y a deux France, celle des oppresseurs, celle des opprimés. Car le sabreur Cavaignac, rentrant d’Algérie les bottes trempées de sang, commanda ensuite la cruelle répression, le bain de sang français des ouvriers insurgés de juin 1848.
Ceux qui hurlent à la mort aux côtés du génocidaire Netanyahou, aboient leur haine contre la courageuse Rima Hassan, approuvent le meurtre des médecins, des humanitaires de l’Onu à Gaza, lancent contre LFI des calomnies sciemment fabriquées, sont ceux qui mènent la guerre sociale en France contre les salariés, la jeunesse et les pauvres.
Ceux qui applaudissent l’armement européen et américain pour le génocide palestinien veulent déchaîner en France le racisme, la ségrégation, l’apartheid des « préférences nationales », pour mieux diviser la classe travailleuse.
Les généraux colonialistes von Trotha ou Bugeaud furent les modèles du nazisme. Celui-ci, disait en 1940 le Manifeste contre la guerre impérialiste de la IVe Internationale, fut « une distillation chimiquement pure de la culture de l’impérialisme ». Face aux fournisseurs et complices du colonialisme d’aujourd’hui se dressent et se dresseront sans relâche, sur tous les continents de la planète, par millions, les défenseurs du genre humain et des libertés. ■
Michel Sérac
Le film L’homme mesuré peut être visionné en ligne (accès libre) jusqu’en janvier 2025 sur ARTE
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(1) Voir le blog de Jean-Michel Aphatie : « La conquête de l’Algérie par une armée criminelle : l’armée française » ; le journaliste a documenté en plusieurs chapitres brefs l’histoire de la conquête de l’Algérie et « l’apartheid à la française » des 132 ans d’occupation.
(2) Cette « science » a été décrite par le célèbre darwiniste Stephen Jay Gould dans La mal-mesure de l’homme. Il s’y amuse de la perplexité des savants devant le crâne d’un prestigieux politicien français, nettement plus petit que ceux des « primitifs » qu’il appelait à coloniser…
(3) Sauvages, au cœur des zoos humains, de Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet, 2018.
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