La participation de Donald Trump à la cérémonie de la cathédrale Notre-Dame a abondé de commentaires jusqu’à saturation médiatique. On a pourtant peu signalé combien celle-ci procédait d’une stratégie de communication présidentielle peu scrupuleuse de la déréliction de la démocratie américaine.
par Jean-Philippe Domecq – Revue Esprit – Décembre 2024
Emmanuel Macron s’est empressé d’inviter et de faire trôner à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris Donald Trump, incarnation politique particulièrement respectable, et tout ce que nous trouvons à lire et entendre à ce sujet s’arrête à la dimension diplomatique du rendez-vous international et au coup d’« audace » d’un président de la République tenu par la presse étrangère et par une nette majorité de Français pour responsable de la crise que subit son pays.
On salue le succès géopolitique d’avoir fait se rencontrer Trump et le président ukrainien, comme si cette rencontre ne pouvait attendre l’entrée en fonctions du président américain – outre la mauvaise manière, qui laissera des souvenirs politiques, d’évacuer de facto l’actuel président en exercice et toujours actif sur le front ukrainien. Il y eut et il y a, dans l’Histoire, des stratégies de Realpolitik qui, au nom d’un réalisme qui se veut mieux compris que tout le monde, ne comprennent pas que s’il suffisait d’être cynique pour être réaliste, la vie serait simple. L’invitation à Trump, dont on savait qu’il en profiterait pour absorber toute la lumière événementielle autour de laquelle papillonne Macron, fait hystériquement fi d’éléments essentiels du réel. Au mieux c’est un lapsus, énorme, au vrai c’est voulu et cela constitue une aveuglante infraction. Si aveuglante que les commentateurs la gomment ou ne voient pas que c’est là une utilisation inversée de la dimension symbolique de Notre-Dame.
Faire entrer Trump dans la cathédrale avant même qu’il soit président officiel, relève d’un empressement de communiquant prêt à tout.
Emmanuel Macron le sait, lui. Fervent adepte de communication disruptive, il n’a l’esprit qu’à jouir de porter un coup à « effet cathédrale » comme on dit en musique de certains échos. Et personne ne va dire la gêne profonde qu’il suscite ? Que l’on soit croyant ou pas, tout le monde sait et sent que cette cathédrale est un monument de sacralité ; preuve en est que tous les cœurs, non-croyants compris, furent atteints en voyant brûler Notre Dame ; le sacré n’est pas que religieux, même pour un édifice religieux. Mesurée à cette aune, « l’audace » du président Macron crée un choc symbolique par dévoiement de tout sens symbolique, et par là mine encore un peu plus le champ des valeurs politiques et communes. Il adoube un homme qui a bafoué le suffrage populaire en refusant les résultats avérés de l’élection précédente ; qui conséquemment a poussé au coup d’État contre les représentants du peuple au Capitole ; un homme réélu par une majorité d’électeurs qui ont approuvé en pleine connaissance de cause son mensonge ressassé pendant quatre ans ; qui ont fermé les yeux sur la déviation idéologique de la Cour suprême qui l’a protégé ; fermé les yeux sur les déviations morales et comportementales d’un homme qui donne l’exemple de la prévarication, du népotisme, de l’insulte sans limites de vulgarité et de la mauvaise foi sans vergogne ; approuvé un candidat à la responsabilité nationale qui se vante de ne pas payer ses impôts et dit au peuple qui l’approuve que « c’est une preuve d’intelligence » ; etc., etc. et, comme quoi, un vote ça ne se conteste pas mais ça s’interprète.
De fait, le résultat de l’invitation prématurée d’un tel homme dans la plus célèbre des cathédrales aura été, comme tous les commentateurs l’ont pieusement admis, que « Donald Trump est sorti de disgrâce » ; mieux, et il faut en féliciter Macron, il est rentré en grâce, c’est le double cas de le dire. On ne sait ce que pensent de ce couronnement subliminal les chrétiens pratiquants, dont beaucoup certes ont soutenu Trump ; mais le pape François, en allant en Corse et pas à Notre-Dame, a suggéré diplomatiquement quelque chose. Pour quiconque, athée ou pas, faire entrer Trump dans la cathédrale avant même qu’il soit président officiel, relève d’un empressement de communiquant prêt à tout ; c’est pousser à bout la communication pour la communication et le désir de soi que partagent des personnalités comme Emmanuel Macron et Donald Trump. C’est adouber ce qu’incarne historiquement celui-ci : le langage renvoyé au « fake », autrement dit : la Fin des faits. C’est bénir ce nouvel Ubu qui a libéré le peuple de l’effort de réfléchir, de prouver, d’être honnête ; c’est fermer les yeux sur cette sacralité profane qu’est la démocratie, orchestration pacifique de la nature conflictuelle des hommes. Par ce geste culminant, Emmanuel Macron rejoint Donald Trump dans le sans foi ni loi, au profit de la seule loi du moi ; effet pervers d’un chef d’État qui tord le désir de sens dont les citoyens sont plus conscients et demandeurs que lui. L’actuel sentiment de pertes de valeurs éthiques et de perspectives politiques n’avait pas besoin de cette fort trouble confusion symbolique.■
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