Mozart, le musicien qui faisait rêver le siècle des Lumières… avant le basculement de l’ordre ancien !
Robert Mandrou conclut ainsi son ouvrage « La raison du Prince-l’Europe absolutiste 1649-1775 » :
« Mozart se promène à travers l’Europe et sa musique en-chante ce temps où les plus graves difficultés se traitent avec le sourire et avec des mots spirituels…Talleyrand, l’a dit, plus tard, au cœur de la tempête : c’était le temps de la douceur de vivre. Non seulement en France, mais dans toute l’Europe des Cours et des salons, des loges et des académies. Point de volcan, qui ne serait même pas soupçonné…Voltaire se moque de Rousseau, lorsque celui-ci tempête et prédit le pire, c’est à dire la destruction brutale de cet ordre ancien. » […] « La fête des grands continue pour quelques années encore. »
On ne trouve dans l’abondante correspondance de Mozart, disparu en 1791, aucune mention ni réflexion sur la Révolution française dont il est pourtant contemporain. Le courrier certes était surveillé et Mozart prenait les précautions d’usage.
Élève du grand compositeur Joseph Haydn, Mozart ne rompt pas avec la composition classique mais avec lui la création musicale s’émancipe de la musique galante, poudrée et perruquée qui ravit les cours européennes pour devenir profondément humaine et universelle. L’indépendance revendiquée de l’artiste annonce déjà comme chez Beethoven, le romantisme (l’exaltation du moi). L’artiste n’est plus le valet-porte-coton d’un puissant fortuné. (En l’occurrence, l’archevêque de Salzburg, Coloredo, son ex-employeur) !
Vienne, Prague et Berlin, capitales des despotes éclairés accueillent les œuvres de Mozart avec triomphe. Malgré la censure des princes, avec laquelle, lui et son librettiste Da Ponte, tous deux francs-maçons, doivent se jouer : L’adaptation en opéra du Mariage de Figaro de Beaumarchais, pièce interdite par Louis XVI, jugée révolutionnaire, car perçue comme une attaque des privilèges nobiliaires (en l’occurrence le droit de cuissage féodal), avec quelques transformations, passera. Voilà ce qu’on y entendait : « Par le sort de la naissance, L’un est roi, l’autre est berger ; L’esprit seul peut tout changer. De vingt rois que l’on encense, Le trépas brise l’autel ; Et Voltaire est immortel… bis » […] Or, messieurs, la comédie Que l’on juge en cet instant, Sauf erreur, nous peint la vie du bon peuple qui l’entend. Qu’on l’opprime, il peste, il crie ; Il s’agite en cent façons ; Tout finit par des chansons… Inversion de la hiérarchie sociale, on y chante liberté et égalité… la fraternité suivra…
Et qu’ajouter de plus concernant l’adaptation de Don Juan, en « Don Giovanni », quand on sait que la version théâtrale de Molière fut également interdite en France : B.A, sieur de Rochemont, avocat en Parlement, porte-parole des dévots et des bien-pensants dénonçait “cette pièce qui a fait tant de bruit dans Paris et causé un scandale public” et “la hardiesse d’un farceur qui fait plaisanterie de la religion, qui tient école du libertinage, et qui rend la majesté de Dieu le jouet […] d’un athée qui s’en rit, et d’un valet, plus impie que son maître, qui en fait rire les autres.”. Bossuet dans un sermon condamnait le théâtre qui affaiblit « la crainte de Dieu » et la fait tomber « d’excès en excès, de désordre en désordre. »
Eduard Mörike verra dans le “Don Giovanni” l’expression d’un monde (la féodalité) qui bascule devant la révolution qui s’avance.
N’y entend-on pas, dans la maison de Don Giovanni, un chœur qui clame « Viva la liberta ! » ?
L’influence des Lumières (l’Aufklärung) sur les « rois-philosophes » existe bel et bien, « mais ce n’est que peu de chose en regard des continuités qui touchent la masse des populations », « la hiérarchie sociale, la domination de la terre, le maintien de cadres nobiliaires », « ni l’apocalypse ni le bonheur des peuples ne sont annoncés comme une perspective proche par ceux-là mêmes qui élaborent les utopies les plus audacieuses. » « Tout en conservant les fondements traditionnels de la société féodalo-absolutiste, ils s’efforcent de faire place, voire d’aider au développement commercial et “industriel”, c’est à dire de maintenir un équilibre dont l’État – en tant qu’appareil de gouvernement – serait le premier bénéficiaire, en même temps que l’arbitre ultime. » (R. Mandrou)
La bourgeoisie (le Tiers-Etat) avec les idéaux démocratiques qu’elle portait, devait renoncer pour le moment à la place dominante que l’histoire lui donnera. La musique de Mozart les portait déjà haut comme dans un rêve…
Correspondance de Mozart avec son père:
– lettre du 7 février 1777
« Les gens nobles ne doivent se marier ni suivre leur goût ni par amour ; mais seulement par intérêt et avec toutes sortes de considérations annexes… Mais nous, pauvres gens de la canaille, nous ne sommes pas seulement obligés de prendre une femme que nous aimions et qui nous aime, nous nous en arrogeons le droit. Notre richesse s’éteint avec nous parce que nous l’avons dans la tête, et cela aucun homme ne peut nous le prendre. »
– lettre du 20juin 1781
« C’est le cœur qui ennoblit l’homme. Je ne suis pas comte, mais j’ai peut-être plus d’honneur que bien des comtes, et, valet ou comte, du moment qu’il m’outrage, c’est une canaille ! »
Mozart et la Marseillaise… l’Internationale de 1792 !
Les 7 premières notes du second thème du Concerto N°25 en Do majeur de Mozart (https://youtu.be/WIjAGbyQO9M) qu’on retrouve pratiquement dans les 7 premières notes de « la Marseillaise » composée par Rouget de Lisle, chantée d’abord par les fédérés marseillais mobilisés après le manifeste du duc de Brunswick menaçant la France révolutionnaire des pires représailles. Ces derniers rejoignant la capitale vont l’apprendre aux parisiens.
Ce qu’en dit l’historien Jean-Paul BERTAUD – La Révolution française (éditions Perrin- tempus N°82 )
“[…] C’est contre les tyrans et les vils despotes qui rêvent de rendre la France à l’antique esclavage que se dressent les Français, mais aussi contre l’aristocratie […]
Le poème de Rouget dépasse le continent, atteint l’universel. Les Français et aussi les peuples opprimés du monde entier ne s’y tromperont pas qui reprendront l’hymne jusqu’à nos jours.
Expression d’un peuple levé pour son indépendance et sa liberté, le chant est soute-nu par une ligne mélodique incomparable. Incomparable ? Des historiens de la musique reconnaissent dans cette ligne mélodique une réminiscence du thème du concerto n°25 pour piano et orchestre, en ut, K.503, que Mozart avait écrit à Vienne en décembre 1786 et joué à Prague en janvier 1787. Rouget a pu le connaître à travers les interprétations qui en étaient faites pour un public instruit par le Viennois Pleyel.
S’est-il servi de la musique de Mozart ? On ne peut trancher. La rencontre entre Rouget de Lisle et Mozart, sans doute fortuite, ne laisse pas indifférent : Mozart était mort en 1791 après avoir, franc-maçon, consacré sa musique à la liberté et cherché à vaincre par les « Lumières » la Reine des Ténèbres.
L’air et les paroles furent vite populaires. Ils gagnèrent le Midi, et les Marseillais bientôt en marche vers la capitale apporteront ce chant à Paris qui lui donnera le nom sous lequel nous le connaissons : la Marseillaise.
G. Bruno
Libre Pensée des Alpes de Haute Provence
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