Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée. Victor Hugo
A’ vot’ bon cœur M’onsieur Dame ! Ce couplet revient de manière régulière. La fin de l’année est l’occasion de grandes sollicitations publiques pour ce que l’on considère, au moins temporairement, comme « les grandes causes » humanitaires à l’image de l’action « Viva for life » de la RTBF, qui n’est pas ici visée en particulier. Participer à ces actions en pianotant sur un clavier d’ordinateur pour créditer les soupes populaires plutôt que de jeter quelques pièces à la sortie des églises n’est-ce pas la façon moderne de faire acte de charité ?
Qu’on le veuille ou non, le principe est celui de la charité. La charité sollicitée à coups d’images misérabilistes introduisent l’arbitraire du donateur et le comparatif des mérites réciproques des différentes victimes, là où la solidarité n’attend rien en retour. Certes, les fonds récoltés pourront apporter un réel soulagement mais, limités, ils ne représenteront qu’une solution provisoire ou ne toucheront qu’une partie du public cible – marketing oblige. L’action aura cependant eu le mérite de donner un sentiment gratifiant, bonne conscience ou une bonne image aux donateurs, avec le sentiment du devoir accompli, de l’amour du prochain et de cette vertu spirituelle qui s’apitoie sur des créatures dans le besoin.
La pratique est tellement intégrée à la vie de tous les jours qu’elle occupe une place importante dans les programmes des médias et les artistes et autres se pressent, notoriété oblige, pour assurer le parrainage et la réussite de la collecte de fonds. Ces manifestations de collectes de fonds par médias interposés, surtout celles organisées par un service public, provoquent en moi une réaction de gêne. Dans mon adolescence, j’ai comme beaucoup de camarades de classe, pratiqué la collecte pour lutter contre la tuberculose, contre la lèpre, etc. et j’ai encore les échos de nos instituteurs de l’École publique qui commentaient l’événement en essayant d’éveiller en nous, les notions de solidarité.
Nous n’avons pas l’intention de faire un mauvais procès aux bénévoles mais le caritatif n’a pas à déroger à la solidarité. Répétons-le, la charité n’a rien à voir avec la solidarité. La charité n’est pas le registre des libres penseurs pour qui, au fondement du lien social, il y a l’égalité des droits, la liberté absolue de conscience, le respect de la dignité de chacun, bref tout ce qui fait le citoyen, le peuple souverain, avec les services publics et la démocratie politique pour garantir l’égalité des droits et de traitement.
Solidarité ou Charité ?
Au début du XIXème siècle, alors que les coalitions ouvrières étaient interdites, que le suffrage universel n’existait pas, que seules étaient admises les sociétés de charité, la classe ouvrière, sans droits et sans protection, organisa les premières sociétés ouvrières de secours mutuels pour établir un début de protection collective contre la maladie et la vieillesse. Il s’agit d’actions organisées de solidarité entre démunis en direction des plus fragiles d’entre eux. Ces sociétés témoignent de l’esprit de fraternité qui traverse la classe ouvrière.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les assurances sociales, puis la Sécurité sociale, ont progressivement pris en charge les besoins et les frais de santé financés par la solidarité de toutes et de tous, en faveur de toutes et de tous.
Alors comment ne pas être excédé lorsqu’un comédien commente son appel en déclarant que l’argent collecté sera directement affecté aux soins des malades, renvoyant ainsi la Sécurité sociale, qui reste le financement majeur des soins de santé et de l’hôpital public, au second rang. On valorise ainsi la société de compassion, les riches devant financer les pauvres. A quand les indulgences ?
La solidarité ne divise pas le monde entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Chacun doit contribuer au régime selon ses capacités par ses impôts et cotisations sociales, et chacun, en tant qu’assuré social et usager des services publics, a le droit d’en bénéficier selon ses besoins. Les pauvres ne sont plus prisonniers d’une relation inégale, où ils n’ont aucun droit, mais considérés comme des citoyens égaux aux autres, bénéficiant des mêmes droits.
Le principe de la solidarité est aux antipodes de la charité
La solidarité, les libéraux et les Églises n’en veulent pas. Ainsi tout en promouvant des œuvres caritatives religieuses en particulier, ils s’emploient inlassablement à détruire les services publics et la Sécurité Sociale imposés par la classe ouvrière à la bourgeoisie et aux Églises, à l’Église catholique essentiellement.
N’oublions pas que le catholicisme a une histoire et que sa continuité c’est aujourd’hui, s’appuyant sur sa « doctrine sociale »1, d’agir encore et toujours pour faire accepter l’ordre social. Cette doctrine de soumission, du maintien du « joug du capital » a évolué dans la forme, mais elle est toujours restée fidèle sur le fond à la déclaration du dénommé Saül de Tarse, entré dans l’histoire sous le nom de Saint Paul : « L’esclave doit obéir à son maître, comme la femme à son mari. ».
Ainsi, l’Eglise par crainte de périr, changea de tactique et offrit sa « doctrine sociale » à la bourgeoisie contre les prolétaires ; la première encyclique sociale fut « Rerum Novarum » en 1891, suivie par « Quadragésimo anno » en 1931 qui énonça : « Dans la détermination des salaires, on tiendra compte des besoins de l’entreprise et de ceux qui l’assument : Il serait exagéré d’exiger d’eux des salaires trop élevés ». La même encyclique dénoncera aussi la lutte des classes et affirmera que l’ouvrier doit s’unir à son patron. Jean XXIII, précisa par la suite : « la propriété privée, même des biens de production, est un droit naturel que l’État ne peut supprimer. Elle est un droit exercé à l’avantage personnel du possédant et dans l’intérêt d’autrui. ». Le « social » doit rester du domaine du privé et bien évidemment la charité, dont l’église est l’ardente prosélyte, doit s’exercer pleinement.
A côté de la police répressive, exercée par l’État, il est une police pro-active, exercée par les églises. Curés, prêtres, imams, rabbin sont des gendarmes de surcroît. Comme Napoléon Bonaparte l’avait cyniquement formulé : « Comment avoir de l’ordre, dans un État sans religion ? La société ne peut exister dans un État sans religion. La société ne peut exister sans l’inégalité des fortunes, et l’inégalité des fortunes ne peut exister sans la religion. Quand un homme meurt de faim à côté de celui qui regorge, il lui est impossible d’accéder à cette différence, s’il n’y a pas là, une autorité qui lui dise : « Dieu le veut ainsi, il faut qu’il y ait des pauvres et des riches dans le monde ; mais ensuite pendant l’éternité, le partage sera fait autrement. »
Par delà les apparences et les cautions politiques, ces campagnes caritatives ont pour fonction première d’être le vecteur de la Doctrine sociale parmi les citoyens alors que les droits sociaux et les services publics sont mis à mal par les politiques de liquidation et de privatisation. ■
L. Taram
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1. H. Huile : La Charité dans la Doctrine Sociale de l’Église
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