La révocation par la Cour suprême de la garantie fédérale du droit à l’avortement aux Etats-Unis en juin 2022, a donné la possibilité pour les États de légiférer pour restreindre, voire interdire, le droit à l’IVG. Cette situation, rendue possible par les juges nommés par Trump à la Cour suprême, est le fruit d’un long combat des cléricaux – pour beaucoup évangélistes mais également catholiques – contre les droits des femmes. Profitant des circonstances, il a désigné trois juges conservateurs à la cour (qui en compte neuf). Extraits d’un article de l’Impertinent.
[…] Leur profil est éloquent :
– Amy Coney Barrett, connue pour ses positions religieuses traditionalistes et son opposition à l’avortement, est membre de la communauté religieuse « People of Praise » où les femmes sont considérées comme soumises à leur mari.
– Niel Gorsuch, juge conservateur, se positionne en faveur de la peine de mort ainsi que des valeurs de la famille et de la religion. En 2013, il tranche en faveur de l’entreprise Hobby Lobby, opposée au remboursement de pilules du lendemain.
– Brett Kavanaugh, homme aux positions conservatrices affichées : catholique traditionaliste, ouvertement anti-avortement et pro armes à feu. Il est également accusé d’au moins quatre agressions sexuelles, notamment par d’anciennes camarades d’étude.
Un chiffre permet de comprendre le choix fait par Trump de ces trois juges : En 2016, 81% des évangéliques blancs ont voté pour lui à la présidentielle.
Les Églises évangéliques et catholiques à la manœuvre
À travers le profil de ces juges se dessine l’influence grandissante des lobbys religieux dans la vie politique américaine, notamment sur les questions touchant aux libertés individuelles.
Dans un livre récent d’André Gagné « Ces Évangéliques derrière Trump », il explique le rôle de la « droite chrétienne », soutien important des candidats républicains, qui ne regroupe pas seulement des évangéliques, mais aussi des catholiques et des protestants Luthéro-réformés. Ensemble, ils défendent les valeurs judéo-chrétiennes comme fondement du pays. Ils se distinguent par leurs vues conservatrices sur l’avortement, les droits des personnes LGBT+, l’euthanasie, etc.
Si toutes les Églises évangéliques ne soutiennent pas Trump (certaines lui étant même hostiles), elles ont en commun une vision littéraliste de la bible, qui les conduit à s’opposer à toutes les avancées en matière de droits humains.
Distinguons les évangéliques dits « charismatiques » : Avec les évangéliques pentecôtistes dont ils se rapprochent, ils représentent en 2020 un quart des chrétiens dans le monde. Leur croissance fulgurante, avec 20 millions de nouveaux fidèles par an depuis 2010, les amènerait à représenter un tiers des chrétiens en 2050.
L’Église évangélique est l’une des instances majeures dans la lutte contre l’avortement. En 2019, elle finance le film « Unplanned », un manifeste contre l’IVG inspiré de faits réels. Le scénario met en scène une femme du Planning Familial aux opinions féministes. Après sa rencontre avec un couple anti-avortement, elle se « convertit » au combat contre le Planning Familial et l’IVG. Lors de sa sortie, le film se hisse au top 10 des meilleures entrées. Il a été d’ailleurs diffusé en France par la chaîne C8, propriété de Vincent Bolloré (qui ne fait pas mystère de ses convictions catholiques traditionalistes).
Le rôle de l’Église catholique
Quant à l’Eglise catholique, elle a exprimé clairement sa satisfaction par la voix de la conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB)1 et a parlé d’« un jour historique dans la vie de notre pays » dans une déclaration de l’archevêque José H. Gomez de Los Angeles et l’archevêque William E. Lori de Baltimore, président de la commission des activités pro-vie de l’USCCB: « Pendant près de cinquante ans, l’Amérique a appliqué une loi injuste qui a permis à certains de décider si d’autres peuvent vivre ou mourir ; cette politique a conduit à la mort de dizaines de millions d’enfants à naître, des générations privées du droit de naître ».
« L’Amérique a été fondée sur la vérité que tous les hommes et les femmes sont créés égaux, avec le droit donné par Dieu à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur», souligne la note des évêques. « Nous prions pour que nos élus adoptent des lois et des politiques qui favorisent et protègent les plus vulnérables d’entre nous. »
La « première pensée », écrivent Gomez et Lori, est pour « les petits dont la vie a été enlevée depuis 1973 », mais aussi pour « toutes les femmes et tous les hommes qui ont souffert à cause de l’avortement » : « En tant qu’Église, nous devons servir ceux qui sont confrontés à des grossesses difficiles et les entourer d’amour ».
Cette position correspond sur le fond avec celle de l’ex-pape Benoît XVI qui en 2004 (il était lors le cardinal Ratzinger, chef de la congrégation vaticane pour la doctrine de la foi) sortait un « mémo » qui mentionne les raisons de refuser la communion aux politiciens catholiques favorables à l’avortement. Le document interne ajoute que les électeurs catholiques qui votent délibérément pour un candidat précisément parce qu’il est favorable à l’avortement (ou à l’euthanasie) sont dans ce cas coupables de « coopération formelle avec le mal » et devraient s’exclure d’eux-mêmes de la communion.
Les dogmes religieux s’opposent à la souveraineté populaire
L’influence des Églises sur les questions de société ne correspond pas à la volonté majoritaire de la population. Ainsi, selon un sondage, seulement 28% des Américains souhaitaient qu’on revienne sur l’arrêt Roe vs Wade qui protégeait le droit à l’avortement, et pas nécessairement pour son interdiction. Les manifestations massives qui se succèdent suite à la décision de la cour suprême expriment le refus majoritaire de la population de cette régression des droits fondamentaux.
Comme le dit le site The conversation, la fin de Roe vs Wade confirme un tournant moins démocratique et plus théocratique aux États-Unis. Cela pose la question de la réforme des institutions Américaines pour contrecarrer l’influence exorbitante des lobbies religieux sur la vie des citoyens et pour rétablir la souveraineté populaire. ■
L’IMPERTINENT n° 123 Juin Juillet 2022
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1. United States Conference of Catholic Bishops
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